Épisode 15 – Isabelle et les médecins à Paris au XVIIIème siècle (Passion Modernistes)
Que sait-on sur les médecins à Paris au XVIIIème siècle ?
En 2018, Isabelle Coquillard a soutenu une thèse sur les médecins parisiens entre 1707 et 1789 à Paris, sous la direction de Laurence Croq (Université Paris Nanterre). Elle a voulu étudier un groupe professionnel sous « tous les angles » en mobilisant des sources institutionnelles (celles de la Faculté de médecine de Paris et des autres centres savants ) mais aussi notariales afin de saisir les docteurs dans leur vie professionnelle (marché de la santé et honoraires, clientèle, lieu de réception à domicile) et leur vie privée (habitat, mariage, fortune).
Elle montre ainsi la pluralité d’activités des médecins au XVIIIème siècle (en ville, dans l’espace militaire, dans les campagnes, les ports et les colonies) et leur affirmation progressive en tant qu’experts de la médecine et acteurs à part entière de la politique sanitaire balbutiante du roi.
En 1707, le roi Louis XIV décide de repenser l’enseignement médical en promulguant l’édit de Marly, et d’uniformiser la profession. Isabelle se sert de ce point de départ pour étudier les médecins parisiens tout au long du XVIIIème siècle, pour comprendre comment l’on devient médecin et comment ces hommes (et femmes) pratiquent dans leur quotidien.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
Coquillard Isabelle, « Le marché des remèdes antivénériens et les docteurs régents de la faculté de médecine de Paris au xviiie siècle », in Rieder Philip, Zanetti François (éd.), Materia medica. Savoirs et usages des médicaments aux époques médiévales et modernes, Genève, Droz, 2018, pp. 161-188. Un chapitre pour aborder les questions de liberté professionnelle et de réputation des médecins, l’usage de son pouvoir coercitif par la Faculté.
Lunel Alexandre, La Maison médicale du roi, XVIe-XVIIIe siècles. Le pouvoir royal et les professions de santé, Seyssel, Champ Vallon, 2008. Une mise au point précise sur l’histoire de la profession médicale et sur l’organisation des professions de médecin, de chirurgien, et d’apothicaire entre le XVIe siècle et la fin du XVIIIe siècle.
Pauthier Céline, L’exercice illégal de la médecine (1673-1793) : entre défaut de droit et manière de soigner, Paris, Glyphe & Biotem, 2002. Une mise au point sur la façon dont la Faculté de médecine défend ses privilèges, une réflexion sur le champ d’intervention des médecins et sur les marges de la profession médicale.
Perez Stanis, Histoire des médecins, Paris, Tempus, 2020. Une fresque allant de l’Antiquité à nos jours sur l’histoire à la fois sociale, politique et économique des médecins.
Rieder Philippe, La figure du patient au XVIIIe siècle, Genève, Droz, Bibliothèque des Lumières, 2010. Pour découvrir ce qu’est un malade au XVIIIe siècle, la construction sociale de l’expérience de la maladie, et la culture médicale du professionnels de la médecine.
Fanny : Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de Passion Modernistes. Je m’appelle Fanny Cohen Moreau, et dans ce podcast, nous vous proposons de rencontrer de jeunes chercheurs et chercheuses en master ou en thèse qui étudient l’histoire moderne. Et pour rappel, l’histoire moderne c’est cette période qui s’est un petit peu glissée entre le Moyen ge et l’époque contemporaine, c’est-à-dire, en gros pour l’Europe occidentale, entre les années 1500 et 1800.
Épisode 15, Isabelle et les médecins au XVIIIe siècle, c’est parti !
Bonjour Isabelle Coquillard.
Isabelle : Bonjour Fanny Cohen-Moreau, je suis ravie d’être là [rires].
Fanny : Tu me donnes plein de pêche dès le début ! Isabelle, je te reçois parce que tu as soutenu une thèse en décembre 2018 sur le sujet Les médecins parisiens entre 1707 et 1789. Tu étais sous la direction de Laurence Croq à l’Université Paris Nanterre. Et oui, on avait déjà fait l’épisode 3 sur les sages-femmes, on avait déjà fait un épisode sur les épidémies, donc aujourd’hui, avec toi, on va parler de la médecine et surtout des médecins au XVIIIe siècle.
Alors, déjà Isabelle, pourquoi tu as voulu travailler sur ce sujet ?
Isabelle : Alors, c’est une longue histoire le choix de ce sujet, puisqu’au départ, j’étais intéressée par les femmes dans la résistance…
Fanny : Ah oui, rien à voir !
Isabelle : … Donc on est très très loin du sujet. Et puis, j’ai fait une maîtrise sur les salons parisiens au XVIIIe siècle, et je travaillais sur les Mémoires de Jean-François Marmontel, donc une source imprimée. J’ai découvert, moi, le XVIIIe siècle, j’étais vraiment très enthousiaste, j’étais très heureuse avec ce sujet, et – quelque part, malheureusement pour moi – Antoine Lilti a travaillé également sur le sujet en thèse, il a publié une magnifique étude aux éditions Fayard sur les salons parisiens, et arrivée en Master 1, je cherchais un sujet. Et je voulais travailler sur plutôt l’élite, et surtout travailler en histoire sociale.
Donc mon directeur de l’époque, Monsieur Dumas, m’a posé différents thèmes, là aussi j’ai eu encore un truchement par les substituts du procureur général du Parlement de Paris.
Fanny : Non, mais tu as fait combien de sujets, là ? [rires]
Isabelle : Alors, celui-là, il n’a pas été mené à terme, mais il m’a permis de découvrir ce qui pour moi était l’archive mais avec un grand A, c’est-à-dire l’archive imprimée, la belle archive, donc les beaux volumes, là, de Joly de Fleury [NdT magistrat au Parlement de Paris]. Et j’avais une petite frustration avec ça parce que je travaillais donc sur mes mémoires imprimés, je les avais toujours sur moi, donc ça c’est extra, c’est le bonheur de l’historien, mais le contact même et cette recherche-là, je ne l’avais pas. Donc, avec les substituts du procureur général, je n’avais pas ce que Monsieur Dumas appelait l’enthousiasme pour son sujet, l’empathie pour son sujet. Alors, c’était super intéressant mais ça me parlait pas, je ne me voyais pas travailler là-dessus sur plusieurs années. Et les docteurs régents sont arrivés.
Fanny : Ah. Voilà. Et pourquoi tu as voulu travaillé sur le XVIIIe siècle ? Est-ce que c’est une époque particulière ?
Isabelle : C’est une époque qui fait résonance en moi. J’y suis arrivée par cette histoire culturelle et sociale, l’histoire des réseaux de sociabilité m’intéressait beaucoup, et l’arrivée aussi de la « bourgeoisie à talents ». La « bourgeoisie à talents » en fait, ce sont des personnes qui ont une certaine aisance sociale et qui arrivent à vivre de leur activité, qui n’est pas « dérogeante », c’est-à-dire qu’elle ne fait pas perdre la noblesse. Et on y trouve des groupes tels que les avocats, les notaires, et les médecins.
Fanny : Pourquoi on les appelle « à talents » ?
Isabelle : Parce qu’il y a une formation à la faculté, à Paris, il y a une structure, donc l’université, et au sein de cette université on a plusieurs facultés, dont la faculté notamment de médecine, et la faculté de droit, qui sont des facultés doctorales, donc on peut y enseigner, et elles délivrent surtout un diplôme qui permet d’exercer l’activité, donc véritablement de vivre de son talent.
Fanny : Alors, pour qu’on se resitue un peu, est-ce que tu peux nous parler, en gros, du contexte historique au XVIIIe siècle, même si les auditeurs le connaissent parce que dans l’épisode précédent on en a un petit peu parlé aussi.
Isabelle : Donc, en ce qui concerne mon sujet proprement dit, moi, je débute en 1707, parce que c’est la date de l’édit de Marly, qui correspond à une décision du roi de repenser l’enseignement médical. Quand je dis « l’enseignement médical », c’est un abus de langage. C’est plutôt d’uniformiser la profession, et c’est consécutif en fait à une réforme générale des études, donc ce qui me permettait de démarrer. Et puis, ce qui est intéressant dans cet édit, c’est que, à demi-mot quand même, le roi prend la faculté de médecine de Paris comme exemple, comme modèle.
Fanny : C’est quel roi à l’époque ?
Isabelle : Alors, en 1707 c’est Louis XIV, qui va mourir en 1715. Ce qui est intéressant aussi, c’est que cet édit a été pensé par un docteur régent, qui est Fagon. Fagon était aussi le premier médecin de Louis XIV. Donc il est évidemment favorable à la faculté qui lui a décerné le titre.
Fanny : Et tu t’arrêtes en 1789, parce que bon…est-ce que c’est en lien avec la Révolution ? Ça a changé beaucoup de choses ?
Isabelle : Alors, on a choisi comme date 1789 parce que c’est une date qui fait écho chez les lecteurs, parce que je pense aussi à un futur lectorat. Effectivement, il va y avoir une évolution, notamment en ce qui concerne la clientèle des docteurs régents, puisque le contexte politique – qui est celui de la Révolution française – fait que les nobles fuient Paris. Or, des clients extrêmement importants pour mes docteurs, ce sont ces nobles, qui sont capables de financer les services médicaux, qui coûtaient, pour une visite au domicile du médecin, j’ai estimé que c’était environ 2 livres 15, ce qui est une somme extrêmement importante. Et la date officielle de la fin de cette étude est plutôt 1792, qui est la suppression des corporations, c’est-à-dire des groupements professionnels, et la faculté de médecine est une corporation. D’où le jeu en fait dans le titre de mon travail, « corps et lumières », « corps » parce que corps du malade, mais aussi « corps » parce que corporation.
Fanny : Et Isabelle, qu’est-ce que tu as montré dans ta thèse ?
Isabelle : Alors c’est une thèse d’histoire sociale, donc l’idée c’est de comprendre comment on devient médecin, et ce qui m’intéressait aussi, c’est la pratique quotidienne de ces médecins. Donc j’ai toute une étude sur, justement, comment on exerce la médecine, quel est l’environnement du médecin, par exemple comment il va agencer sa demeure, pour recevoir à domicile. J’ai pu également montrer que les médecins immobilisent une pièce de cette demeure, et cette pièce, c’est ce que j’ai appelé le cabinet-bibliothèque. Donc cabinet, pour faire référence à l’accueil du client, et bibliothèque parce que l’un des instruments des médecins, c’est véritablement le livre qui leur permet d’avoir des recueils de cas, de retrouver par exemple des recettes de médicaments à prescrire.
J’ai également retravaillé la question de la société royale de médecine, qui est créée en 1775, et l’historiographie classique présente cette société royale de médecine comme extrêmement novatrice, par rapport à une faculté jugée conservatrice. Or, mon travail montre que les têtes pensantes de cette société royale de médecine sont des docteurs régents. Donc on voit bien le passage de l’un à l’autre, et ils gardent la même doctrine médicale. C’est juste une façon de recueillir les cas, et un fonctionnement. La société royale de médecine est l’œuvre du Premier médecin du roi, donc Lassone, et les membres sont tout à fait soumis à Lassone. Au contraire, la faculté, modèle corporatif, on est plutôt dans le cadre d’une société des égaux, où chaque docteur peut s’exprimer, chaque docteur peut exercer les charges de la corporation.
Fanny : Qu’est-ce qu’on a comme évolution dans la médecine au XVIIIe siècle ? Je le rappelle, j’ai fait un épisode sur les épidémies au XVIIIe siècle, mais qu’est-ce qu’on a comme changement par rapport au XVIIe siècle, notamment ?
Isabelle : Les changements sont pas extraordinaires au XVIIIe siècle. On a plutôt cette doctrine médicale et une conception du corps qui va guider l’approche du médecin. Donc, au début du XVIIIe siècle, c’est un héritage du XVIIe, les médecins adhèrent à la doctrine iatromécaniste, c’est-à-dire que le corps est considéré comme une machine, et c’est ainsi qu’[il] fonctionne. Ensuite, à la mi-XVIIIe siècle, il y a un docteur régent, Théophile de Bordeu, qui va avoir une approche qui relève du vitalisme. Il y aurait un fluide vital dans notre corps, qui nous permet de fonctionner correctement et, à la fin, à la toute fin du XVIIIe siècle, on a l’avènement de la médecine clinique. Donc c’est plutôt, encore une fois, une évolution en termes de doctrine, d’approche du corps, qui va guider la façon dont les médecins vont le traiter et l’envisager.
Les docteurs régents sont fidèles à la doctrine hippocratique, qui est la doctrine médicale officielle de la faculté de médecine de Paris, qui repose sur la théorie des quatre humeurs. Donc selon Hippocrate, les quatre humeurs sont le sang, la bile jaune, la bile noire et la lymphe, et un corps en bonne santé, c’est-à-dire un corps où nous avons un silence des organes, c’est ainsi qu’est définit l’état de bonne santé au XVIIIe siècle…
Fanny : Silence des organes ? C’est là où on a pas mal ?
Isabelle : Exactement. Et on peut remplir son rôle social, les bonnes apparences sont maintenues. [rires] Donc, l’idée c’est qu’il faut que toutes ces humeurs soient à égalité. Et cette conception est aussi influencée par le régime de vie des individus, donc la consommation alimentaire, l’activité physique.
[extrait du film Ridicule]
Fanny : On va s’intéresser maintenant, donc, aux médecins, c’est le sujet de ta thèse. Qui sont ces hommes de médecine que tu as étudiés ? Est-ce qu’ils formaient plutôt un groupe social homogène ou on avait des gens qui venaient d’un peu partout ?
Isabelle : Alors c’est une très bonne question. Mon étude montre qu’on a un groupe extrêmement ouvert. J’ai toutes les situations. J’ai des cas de reproduction sociale, donc des enfants de docteurs régents qui deviennent docteurs régents.
Fanny : D’ailleurs « docteur régent », pourquoi tu dis docteur régent et pas juste docteur ?
Isabelle : En fait, le titre exact de ces médecins c’est « docteur régent de la faculté de médecine en l’université de Paris ».
Fanny : Mmmh
Isabelle : Parce que, déjà, pour exercer la médecine à Paris, il faut avoir une licence en médecine, qui est une autorisation professionnelle, qui permet d’exercer uniquement dans le ressort de la faculté qui l’a décernée, en l’occurrence Paris et ses faubourgs.
Mon travail montre que tous les licenciés en médecine, à quelques rares exceptions, je pourrais y revenir par la suite, deviennent ensuite docteurs en médecine. Le doctorat permet au médecin de faire partie du corps de la faculté. Mais il y a des degrés. Le plus haut degré de membre de cette faculté, c’est régent. La régence donne le droit d’enseigner la médecine au sein de la faculté de Paris. Ce qui est une fonction prestigieuse, parce qu’elle va permettre aussi la reproduction du groupe, et la transmission, ce qui est très important, d’habitus de docteur régent, c’est-à-dire d’habitude de médecin, de savoir-être.
Fanny : Et tu as étudié combien de personnes ?
Isabelle : Alors j’ai 453 docteurs régents qui ont obtenu le titre et j’en ai une petite dizaine qui est dite « docteurs non régents », ils n’ont pas pu atteindre cette régence, alors pour diverses raisons. Soit parce qu’ils se sont présentés trop tard à l’examen. Certains ont été rayés du catalogue de régent, ce qui est une tache professionnelle importante, puisque le public est au courant qu’ils ont manqué en fait à cette doctrine médicale. Donc j’ai un exemple, qui est celui du docteur Guilbert de Préval, qui invente un remède qu’il appelle l’eau antivénérienne. Donc un remède prophylactique, ce qui est déjà un changement par rapport à la doctrine officielle de la faculté puisqu’il s’agit de prévenir une maladie. Là-dessus, la faculté est un peu réticente mais sans plus. Ce qui lui pose problème à la faculté, c’est que Guilbert de Préval va faire la publicité de son remède. Or, faire la publicité de son remède, c’est adopter le même comportement que d’autres individus que la faculté nomme les charlatans, les empiriques, les illégaux. Et en plus, Guilbert de Préval va avoir plus ou moins d’accointances avec une tenancière, qui n’est pas d’excellentes mœurs, donc ça gâche la réputation du groupe. Et la faculté intervient à ce titre-là. Donc là, elle est vraiment dans son rôle d’instance qui protège la corporation.
Les docteurs régents doivent sans cesse respecter les règles de la corporation, et en même temps, ils ont une liberté professionnelle. Ils sont complètement libres de leur pratique, de leur choix de remèdes, à partir du moment où ça ne remet pas en cause les intérêts du groupe et cette corporation.
Fanny : Mais est-ce qu’on a aussi des médecins qui viennent d’un milieu social qui n’a rien à voir, où vraiment c’est un peu le style des « self made men » qui viennent vraiment de la campagne, pour devenir médecin à Paris ?
Isabelle : Alors, oui, on a ce genre de cas parce que le doctorat c’est le seul diplôme qui sanctionne une formation scientifique. Donc il y a des médecins, effectivement, qui viennent de milieu qui ne les prédestinent pas du tout à la médecine. Parce que, ce qui les intéresse, c’est plutôt d’avoir un diplôme qui sanctionne une formation scientifique. Et la faculté de médecine est la seule à délivrer ce type de diplôme. On peut penser, par exemple, au Jardin du Roi, qui est une institution parisienne, où il y a des cours de sciences, de médecine, de botanique, de chimie, mais le Jardin des Plantes ne délivre pas de diplôme. Et certains, d’ailleurs médecins, vont…alors ils pratiquent tous l’exercice privé de la médecine, ce qu’actuellement on appelle la pratique libérale, mais tous n’en vivent pas. On a aussi des rentiers qui vivent en fait de leurs rentes.
Fanny : Qui juste ont passé ce diplôme comme ça, pour s’amuser ? En fait, ils n’exercent pas ?
Isabelle : Non, ils n’exercent pas mais il y a en fait un véritable engouement pour la science.
Fanny : A cette époque-là, les gens sont intéressés par ça.
Isabelle : Tout à fait, on a un mouvement qui touche aussi le grand public. Il faut savoir que la particularité des docteurs régents c’est d’enseigner. Et certains se montrent être des professeurs extrêmement investis et développent cet aspect de leur carrière. Au XVIIIè siècle, lorsqu’on regarde la presse d’annonce, on trouve en fait des annonces de cours privés de professeurs. Donc ils enseignent chez eux, ce sont des cours payants, et ils peuvent développer de nouvelles approches également en termes de pédagogie. Donc plus de pratique, plus à l’écoute des élèves. Par exemple, Jussieu va faire des cours de botanique et il emmène ses élèves herboriser, c’est-à-dire rechercher des plantes dans les environs de Paris, et il leur explique comment faire, il leur apprend à reconnaître les plantes à diverses époques, puisque, évidemment, la forme végétale va varier selon la saison.
Fanny : Est-ce qu’on a des femmes parmi tous ces médecins régents ?
Isabelle : Alors, il n’y a pas de femme médecin au XVIIIè siècle. En fait, la première femme médecin en France, elle est diplômée à la fin du XIXè siècle. En revanche, les femmes ont un rôle dans la carrière de leur époux. C’est-à-dire que quand on étudie les contrats de mariage des docteurs régents, on se rend compte que la dot de la femme est extrêmement importante parce qu’elle va permettre de financer les études médicales qui avaient un coût extrêmement important, qui est chiffré à environ 5 000 livres, ce qui est conséquent. Et toute la dot de l’épouse peut être investie pour financer, justement, l’accès à la régence.
Fanny : Donc le mariage permet à ces médecins de financer leurs études et de progresser dans leur carrière ?
Isabelle : Exactement. Et d’accéder au titre parisien qui permet d’exercer la médecine à Paris. Paris est un marché médical recherché puisqu’on va avoir des populations relativement aisées qui peuvent payer ces services médicaux, et qui peuvent notamment décider d’avoir un abonnement médical, c’est-à-dire d’avoir un médecin à demeure qui va les soigner en fait sur une année. Donc l’abonnement médical est de l’ordre de 200 à 300 livres.
Fanny : Et juste pour dire aux auditeurs, on avait fait un épisode, donc l’épisode 3, sur les sages-femmes en Alsace au XVIIIè siècle, où on voit qu’effectivement, enfin là c’était un cas particulier, où on voit une professionnalisation du métier de sage-femme, mais parce qu’il y a aussi les hommes qui imposent des études où en fait ils récupèrent un petit peu tout le prestige du côté sages-femmes. Là, on a vraiment pas encore ça dans la médecine générale à Paris, les femmes n’ont vraiment pas du tout de place, même pour rentrer à l’académie ?
Isabelle : Alors, non. Les femmes effectivement ne sont pas médecin. En revanche, on a des femmes qui exercent la profession de garde-malade. Alors, on ne les trouve pas mentionnées en tant que telles, par contre on trouve la femme garde-malade dans les actes du post-mortem, c’est-à-dire dans les inventaires après décès. Dans les dettes restant à payer, je trouve des frais de garde-malade.
Fanny : Et c’est précisé que c’est des femmes ?
Isabelle : Oui, c’est précisé que c’est des femmes. Et j’ai retrouvé un cas de litige dans les papiers des commissaires de police, dans la série Y des archives nationales.
Fanny : Est-ce qu’il n’y a pas des infirmières ?
Isabelle : Alors, en fait, ces garde-malades sont quelque part les prémices de la profession d’infirmière, qui va vraiment être institutionnalisée et posée au début du XIXè siècle.
Fanny : Alors, ces médecins, donc tu en as parlé, ils ont plein de rôles différents, ils enseignent, mais est-ce qu’ils pouvaient aussi avoir un rôle politique, voire même influencer les décisions politiques générales ?
Isabelle : Alors, effectivement, on peut penser déjà en termes de proximité avec le pouvoir [avec le] Premier médecin du roi, qui est chargé de la personne royale, donc il y a une relation de confiance. D’ailleurs, Lassone va utiliser cette relation pour créer la société royale de médecine. On trouve également des médecins, cette fois-ci, qui vont intervenir dans le cadre de la santé publique, notamment Jean Colombier qui va mettre en place tout le système d’alerte en cas d’épidémie. Il travaille en collaboration notamment avec les services de l’état et avec Necker. La réforme hospitalière, c’est aussi Colombier, en lien avec Necker. Et on les trouve également aux colonies, donc on a des médecins du roi aux colonies.
Alors, c’est l’une des particularités du sujet, quand j’ai débuté, donc, des médecins parisiens, pour moi c’était Paris. Et je me suis rendue compte que pas du tout. Certains sont médecins des ports donc à Brest, d’autres sont médecins aux colonies. Ensuite, on a cette diversité sociale, tous mes médecins ne sont pas parisiens, ce qui m’a permis aussi de faire un petit tour des archives de France, ce qui était fort agréable, et j’ai découvert différentes sources et différents dépôts d’archives.
Fanny : Donc, ce qu’on voit en fait c’est qu’au XVIIIè siècle, il n’y a pas forcément des avancées médicales mais qu’on a des avancées de santé générale, d’hygiène, de structuration en fait de tout le corps de santé.
Isabelle : Exactement. Les avancées sont plus sur la pratique que sur les sciences et la façon de… voilà… les nouveaux traitements.
Fanny : Est-ce qu’on voit des différences entre la médecine qui est pratiquée à Paris et la médecine qui est pratiquée dans les colonies ?
Isabelle : Alors, en fait, dans les colonies, les médecins parisiens n’avaient pas de formation particulière. Donc, il faut déjà s’adapter au climat, il faut s’adapter aussi aux besoins locaux. Donc ils avaient tendance plutôt à calquer la façon dont ils auraient pu soigner des individus dans le royaume de France. En revanche, ils rentrent en contact avec les pharmacopées locales, ils les décrivent, mais quant à la mise en œuvre réelle, c’est assez timide. En plus, il y a toute une terminologie qu’ils ne maîtrisent pas. Et ils ont accès à la pharmacopée locale via les ouvrages notamment des missionnaires jésuites.
Fanny : Est-ce que dans la façon de considérer les populations indigènes – c’est un petit peu anachronique dit comme ça – les populations locales, est-ce que du coup ils se comportent différemment qu’envers les patients parisiens ?
Isabelle : Alors, dans les colonies, ils ne soignent que les colons européens. Et je pense que tu penses à l’esclavage ?
Fanny : Notamment, oui.
Isabelle : Alors les esclaves étaient soignés par le chirurgien de la plantation. Le docteur régent n’ira pas soigner ce genre de population. Par contre, le docteur régent justement, parce qu’il applique cette conception hippocratique et qu’il est sensible à l’environnement de son malade… J’en ai un qui s’appelle Louis Gardanne, qui développe un ouvrage sur la façon de soigner les colons européens, parce qu’ils vivent différemment qu’en France et qu’ils ont un régime alimentaire différent, donc il va falloir adapter la façon de les soigner.
Fanny : Comment circulaient les savoirs à l’époque ? À part, j’imagine, dans les Académies, est-ce qu’on sait si les médecins pouvaient parler entre eux des différentes avancées ? Est-ce qu’il y avait des échanges d’idées, peut-être directement entre deux personnes ?
Isabelle : Alors, il y a deux éléments à prendre en compte. Il faut savoir que les médecins peuvent donner des consultations à plusieurs, à la demande du malade. Donc, ils sont plusieurs médecins et ils discutent sur un cas. Ce qui permet d’échanger des points de vue, d’échanger des recettes de remèdes. Donc ça, c’est le cas on va dire pratique.
[Dans] la deuxième situation, les docteurs régents sont des vulgarisateurs. C’est-à-dire que certains sont patrons de presse, ils développent une presse médicale, donc notamment le journal de médecine, de chirurgie et de pharmacie. Vandermonde, par exemple, est directeur de journal. Il va rester d’ailleurs entre les mains des docteurs régents pendant un certain temps. Gardanne développe également son propre journal, Barbeu du Bourg aussi. Donc, ils reprennent les connaissances qu’ils peuvent acquérir de leurs lectures, parce qu’un des devoirs du docteur régent, c’est de se former constamment, donc il y a tout un pan d’autoformation, il y a un budget quand même dans la dépense d’ouvrages qui n’est pas rien, ils y tiennent.
Et puis, à la faculté, il y a ce qui s’appelle les assemblées de prima mensis, donc à la demande des doyens, qui rassemblent l’ensemble des docteurs régents et ils discutent sur des cas pratiques. Ils répondent à des demandes parfois d’autres facultés ou d’autres médecins, et certains docteurs régents sont chargés de présenter des ouvrages. Donc c’est le doyen, c’est-à-dire le chef de la faculté, qui est un docteur régent qui a été choisi, qui dirige le corps, et qui charge certains – donc [nomment] des commissaires – de faire ces compte-rendu.
Fanny : Donc là, le médecin dans la société au XVIIIè siècle a une forte position sociale, c’est vraiment quelqu’un d’important.
Isabelle : C’est quelqu’un qui en impose, qui – il faut le savoir – ne peut pas faire son autopromotion. Y’a toute une question de la gestion de l’apparence. Donc, il faut habiter dans une maison à porte cochère, tel les nobles, parce que le carrosse passe, et ce carrosse – d’ailleurs La Mettrie le décrit comme ça – c’est une publicité roulante, puisqu’on sait que c’est le carrosse du médecin qui passe, et qui va fréquenter certains quartiers. Or, si on fréquente certains quartiers, on soigne une certaine population. Même chose, certains médecins sont dits « médecins en Cour », c’est-à-dire soignent les patients nobles à Versailles – alors quelques mois, ça se passe par quartiers – et là encore, on peut forger sa clientèle et on s’affiche comme fréquentant les nobles, donc on est membre de la bonne société. D’autre part, certains médecins fréquentent les salons et les loges maçonniques. Faut savoir que c’est un nombre de médecins restreints et, en ce qui concerne les salons, alors on trouve des médecins, mais – pour l’instant j’ai pas de preuve, je continue à chercher sur ce thème-là – je pense que, quand même, leur présence devait être limitée parce que la majorité de leur temps est consacré à la pratique privée de la médecine. Il faut absolument rentabiliser tout cet investissement, dans la location – ils sont locataires – de la demeure, dans l’entretien des chevaux, l’entretien du carrosse…
Fanny : …De la famille…
Isabelle : Exactement, donc tout ça coûte… et puis les livres, n’oublions pas les livres, très importants. La pratique privée reste quelque chose de chronophage.
Fanny : Alors tu as beaucoup parlé des patients nobles, des patients aisés, mais alors, qui soignent les parties un peu plus pauvres ou même plus modestes de la population à Paris ? Est-ce que c’est ces médecins, ou est-ce qu’on a d’autres types de médecins ?
Isabelle : Alors, les docteurs régents soignent également les populations plus pauvres et, dans ce cas-là, la fonction est institutionnalisée puisque certains sont médecins de paroisse. Et ils apprécient d’être médecins de paroisse parce que ça leur permet d’abord d’explorer Paris. Le médecin de paroisse se déplace chez les populations pauvres, et le médecin de paroisse est en relation directe avec les dames de charité et les sœurs. Donc il se fait reconnaître, ça sert aussi sa réputation : c’est un homme charitable, un homme de bonne mœurs, à qui on peut faire confiance. Et ce qui est intéressant également pour eux, c’est que, lorsqu’on est médecin de paroisse, on est rétribué régulièrement. Les patients, même nobles, ont l’habitude de payer à crédit. Alors, c’est pas spécifique aux docteurs régents, le crédit est une forme de paiement extrêmement importante au XVIIIè siècle, mais enfin, en attendant, y’a un petit retard de trésorerie pour les docteurs. Donc ils sont très contents d’être médecins de paroisse.
[interlude musical : Music For The Royal Fireworks – La Paix: Largo Alla Siciliana]
Fanny : D’après tout ce que tu me dis, je vois que tu as beaucoup été dans les archives, tu as fouillé un petit peu partout. Alors, raconte-nous comment est-ce que tu as travaillé sur ces médecins, à partir de quelles sources ?
Isabelle : Alors, comme je fais de l’histoire sociale, la source principale a été les actes notariés. Donc, les actes notariés, ce sont les contrats de mariage, les inventaires après décès. Ce qui peut paraître paradoxal lorsqu’on parle de médecine, puisque ces documents me renseignent sur la filiation, sur le choix de l’épouse, donc le réseau social, on y revient, et puis tout l’aspect matériel : où vit-on ? qu’a-t-on ? Les bibliothèques. J’étudie en fait les bibliothèques des docteurs régents, qui sont riches d’enseignement, parce qu’on voit, encore une fois, la fidélité à la doctrine hippocratique et en même temps l’intégration de nouveaux ouvrages, le fait que les docteurs régents se lisent entre eux. Donc là, ça répond aussi à ta question précédente.
Donc ça, c’était un gros travail de retrouver tous ces actes. Et ça a été un vrai bonheur aussi. Je dois avouer qu’ouvrir le carton et trouver l’acte que je cherchais, ça a toujours été très satisfaisant. Donc j’ai travaillé au minutier central. J’ai travaillé également au service historique de Vincennes, puisque j’ai des docteurs régents militaires. Là, je dois dire que j’ai trouvé peu de sources sur ma période. J’ai travaillé à la Bibliothèque interuniversitaire de médecine, et me sont arrivés Les Commentaires. Donc pour les auditeurs, Les Commentaires sont un gigantesque ouvrage, très lourd, avec des renforts métalliques à chaque coin, des gigantesques pages, donc on ouvre ça et, à l’intérieur, alors là… à l’intérieur il y a une partie en latin. Donc, je ne maîtrise pas le latin, et il semblerait que ce soit en plus assez complexe à cette époque puisque c’est du latin médical donc c’est un petit peu du latin de cuisine. [rires] Et en-dessous, il y a quand même une partie en français. Donc, un de mes problèmes a été « mais qu’est-ce qu’ils peuvent bien écrire en latin ? ». Et finalement, en feuilletant les différents volumes de Commentaires, je me suis rendue compte que les textes en latin, c’était plutôt des textes de loi, et les parties qui étaient en français relevaient plutôt de la vie de la corporation. Donc ça m’a permis d’approcher cette vie de la corporation. Et ces Commentaires étaient rédigés par le doyen, donc le chef de la faculté, à la fin de chaque décanat, avec apposition de la signature de tous les docteurs régents à la fin pour approuver ce qui était écrit. En fait, ces Commentaires c’est vraiment la mémoire de la faculté.
Fanny : Comme une sorte de chronique en fait ?
Isabelle : Exactement ça. Et puis, les derniers tomes de Commentaires ont été publiés.
Fanny : Est-ce que tu as travaillé aussi sur des écrits, peut-être, je sais pas… des journaux, mais des journaux tenus par la main de certains médecins ?
Isabelle : Alors, je n’en ai pas retrouvés. Par contre, j’ai retrouvé leur mention dans les inventaires après décès. Pour un de mes docteurs, qui s’appelle Edme Bourdois de la Motte, sa femme a brûlé son journal dans lequel il y avait le répertoire de tous ses clients.
Fanny : Pourquoi elle a fait ça ?
Isabelle : Une crise de folie [rires gênés]. Qu’est-ce que j’ai eu ? J’ai eu quelques témoignages dans les mémoires de femmes nobles qui décrivent leur santé et décrivent quelques relations avec leur médecin. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas de pièce véritable…
Fanny : …Pas de correspondance, de choses comme ça ?
Isabelle : Alors, il y a les consultations par lettre de Geoffroy qui sont étudiées par Isabelle Robin-Roméro, qui sont conservées à la bibliothèque interuniversitaire de médecine, mais c’est vraiment le pan médical. Alors que moi, je travaille sur, encore une fois, l’aspect social, les relations. Alors par contre, si, ça me fait penser à autre chose. Il y a un fond, qui est un fond privé, auquel j’ai pu avoir accès, par la diligence de la famille, qui est celle du docteur Bourdier, avec des échanges qui expliquent justement que ce docteur Claude Bourdier réussit bien à Paris et grâce à cela il peut prendre en charge sa famille. Donc il va financer les études de médecine de son frère, il va également prendre en charge l’enfant de la domestique, par reconnaissance, et on a comme ça quelques lettres.
Fanny : Isabelle, dans ta thèse, qu’est-ce que tu as rencontré comme difficultés ?
Isabelle : D’abord celle de comprendre ce latin, que je n’ai pas compris mais enfin j’ai trouvé moyen de me dépatouiller avec ça. Une autre difficulté a été de me familiariser avec ces différents dépôts d’archives, puisque je n’avais jamais fait, moi, de recherches dans ces centres. Donc chaque dépôt d’archive à son petit mode de fonctionnement, il faut se familiariser avec les séries, se familiariser avec les documents, donc tout un travail de critique externe des documents. Et puis moi, je fais de la prosopographie, c’est-à-dire que je travaille sur un corpus de 453 individus, et j’essaye de renseigner différentes rubriques que j’ai prédéterminées. Donc par exemple : date de naissance, lieu de naissance, cursus… voilà pour les principales. Donc la prosopographie, effectivement, c’est quelque chose de chronophage, il faut y consacrer du temps, mais c’est en cherchant, en fait, que… voilà… et puis on a envie de savoir. Et moi, ma difficulté, ça a été de me dire « bon, bah maintenant ça suffit, on va peut-être arrêter de chercher dans les dépôts d’archives, on va se mettre à tout coordonner et commencer à rédiger ». Et ce qu’il y a, c’est qu’à force de fréquenter ces 453 personnes, on veut tout le temps en savoir plus, on veut tout le temps aller vraiment dans la précision.
Fanny : Je comprends.
Isabelle : Mais il faut savoir s’arrêter.
Fanny : C’était une difficulté pour toi de dire « bon, allez, maintenant je garde ce que j’ai et je passe à la rédaction, et je finis la thèse » ?
Isabelle : Voilà, exactement. La synthèse, et me dire qu’il y a une suite à cette thèse, et je pourrai reprendre tous ces dossiers qui ont été laissés un petit peu en friche.
Fanny : Et justement, depuis que tu as fini ta thèse, qu’est-ce que tu fais Isabelle ? Est-ce que tu continues de faire des recherches, ou pas encore ?
Isabelle : Alors, depuis la fin de cette thèse effectivement, je continue, justement, je reprends ces dossiers en friche, je participe à quelques colloques et journées d’études, et là, j’ai le projet de faire connaître ce travail, donc un projet d’édition qui demande quand même quelques passages…enfin quelques moments de réécriture, de reconsidération, peut-être de synthèse…
Fanny : Forcément…
Isabelle : …Parce qu’il y a des points de thèse qui sont extrêmement développés, notamment les notes infrapaginales peut-être à alléger. J’ai également un projet, peut-être, de publier cette fameuse prosopographie, qui pourrait servir à d’autres chercheurs.
Fanny : Donc publier en fait un ensemble de fiches sur chaque médecin, comme des mini-biographies à chaque fois sur chacun ?
Isabelle : Oui, peut-être sous la forme d’un dictionnaire qui permettrait peut-être de mieux comprendre, justement, cette bourgeoisie…
Fanny : …oh, ce serait super intéressant, ça !
Isabelle : Merci. Ça contribuerait à mieux comprendre ce qu’est la bourgeoisie à talents à Paris.
Fanny : Pour finir ce podcast, Isabelle, j’ai ma petite question un petit peu rituelle : quels conseils est-ce que tu donnerais à quelqu’un qui voudrait étudier le monde des médecins ou peut-être la société du XVIIIè siècle ?
Isabelle : Alors, ne pas penser que seules les sources proprement médicales, c’est-à-dire scientifiques, sont sources de connaissance. La médecine a été définie par Jacques Léonard comme étant au carrefour de tout. Effectivement. Puisque la médecine, c’est prendre en compte tout ce qui va influer sur le corps. Mais il y a aussi les relations, il y a aussi la vulgarisation, il y a aussi la législation médicale. Alors, on n’en a pas parlé, mais les docteurs régents vont œuvrer à la mise en place de la médecine légale, ce qui est quand même quelque chose qui n’est pas… comme ça… donné. Il y a la question de l’apparence, il y a la question des enfants, Andry va par exemple développer l’orthopédie. C’est un sujet extrêmement vaste.
Je conseillerais aussi de ne pas se décourager parce que la recherche en archives, il y a des moments de joie, mais intenses, puis y’a des moments où on est un petit peu au creux de la vague, parce qu’on ne trouve pas, parce que… voilà, ça ne fonctionne pas. C’est pas grave. Il faut toujours aller vraiment de l’avant, se dire que de toute façon, on n’est pas là par hasard non plus, mais il faut développer une certaine ténacité.
Et puis, encore une fois, peut-être, faire attention à ne pas vouloir tout dire, s’en garder un petit peu pour la suite [rires de Fanny], savoir se dire « bon, maintenant, les archives je vais peut-être arrêter, synthétiser, et après je reprendrai ».
Fanny : Désormais, chers auditeurs et auditrices, vous en savez un petit peu plus sur la médecine et sur les médecins en France, à Paris, au XVIIIè siècle. Donc, merci beaucoup, Isabelle Coquillard, pour toutes ces informations, tu étais passionnante.
Isabelle : Merci beaucoup, Fanny Cohen-Moreau, de m’avoir invitée, et de m’avoir posé toutes ces questions, et j’espère que les auditeurs auront découvert un petit peu les médecins parisiens du XVIIIè siècle.
Fanny : Mais oui ! Et si les auditeurs veulent en savoir plus, on mettra sur le site – alors c’est https://passionmedievistes.fr/passion-modernistes/ – on vous mettra un petit peu plus d’informations. On vous mettra une bibliographie, vous pourrez retrouver plus d’informations pour aller plus loin sur cet épisode. Et si l’histoire moderne vous intéresse, allez voir les autres épisodes de Passion Modernistes. Alors, on l’a dit, il y a l’épisode 3 où on parle des sages-femmes, on avait fait un épisode sur les épidémies, on a fait aussi un épisode sur la fondation de l’État de New York. Voilà, vous avez des sujets assez divers, allez explorer tout ça.
Retrouvez aussi Passion Modernistes sur Facebook et Twitter. Et dans le prochain épisode, on parlera de Madame Eloffe, marchande de mode de Marie-Antoinette. Salut !
[Chanson de Francis Cabrel – Docteur]
Les articles d’Isabelle :
« L’émergence des garde-malades dans le marché de la santé à Paris au xviiie siècle », in Recherche en Soins Infirmiers, 139, n°4, 2019, pp. 12-30.
Portrait du docteur Alphonse Leroy (médecin accoucheur, dans son cabinet de travail, accoudé sur un ouvrage d’Hippocrate), par Jacques-Louis David en 1783. Musée Fabre, Montpellier
« Nicolas Andry (1658-1742) et l’orthopédie pédiatrique », in e‧sfhm, Supplément illustré de la revue Histoire des Sciences Médicales, vol. 5, n°2, 2019, pp. 22-33.
« La cour, un pôle d’attraction et un lieu de concurrence pour les docteurs régents de la faculté de médecine de Paris au xviiie siècle », in Perez Stanis, Vons Jacqueline (éds.), Santé et médecine à la Cour de France (xvie-xviiie siècles), Paris, Bibliothèque Interuniversitaire de Santé, 2018, pp. 27-40.
« L’apport des actes du post-mortem à la connaissance de la pratique libérale de la médecine, à Paris, au XVIIIe siècle », in Perez Stanis (dir.), Écrire l’histoire de la médecine : temporalités, normes, concepts, nov. 2013, La Plaine-Saint-Denis, France, 2013.
« Les docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris et la fourniture de soins aux « bons pauvres malades » dans les paroisses parisiennes (1644-1791) », in Revue historique, vol. 4, n°668, 2013, pp. 875-904.
« Des médecins jurés au Châtelet de Paris aux médecins légistes. Genèse d’une professionnalisation (1692-1801) », in Histoire des sciences médicales, vol. 46, n°2, 2012, pp. 133-144.
« Joseph-François Bourdier de la Moulière et ses travaux sur le quinquina fébrifuge (1809-1811) », in Histoire des sciences médicales, vol. 44, n°2, 2010, pp. 141-152.
« La longévité médicale du docteur Edme Joachim Bourdois de la Mothe », La Revue, vol. 3, n°6, 2009, pp. 146-170
« De l’Hôtel des Invalides à la Cour impériale. Itinéraires des Maloet père et fils, docteurs régents de la faculté de médecine de Paris au xviiie siècle », dans Histoire des sciences médicales, vol. 43, n°1, 2008, pp. 39-48.
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
- Ridicule (1996)
- Music For The Royal Fireworks – La Paix: Largo Alla Siciliana
- Docteur – Francis Cabrel
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
- Épisode 3 – Johana et les sages-femmes en Alsace
- Épisode 12 – Paul-Arthur et les épidémies au XVIIIème siècle
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).