Épisode 9 – Elise et les chasseurs du Mississippi (Passion Modernistes)
Comment chassaient les chasseurs dans la vallée du Mississippi aux XVIIème et XVIIIème siècle ?
En septembre 2018 Elise Retoré a soutenu un mémoire sur le sujet « La chasse dans la vallée du Mississippi (1672 –1770): Acteurs, pratiques et territoires« , sous la direction de Gilles Havard à l’École des Hautes Études en sciences sociales.
Dans son mémoire elle a interrogé l’enjeu de l’entrée de la chasse pour mieux comprendre la société coloniale louisianaise et plus généralement l’histoire de l’espace mississippien au XVIIIème. Elle s’est aussi intéressée aux modalités d’interactions entre les différents acteurs participant via cette activité : les colons, les Amérindiens et les esclaves africains, en essayant à l’intérieur de ces groupes de distinguer les pratiques masculines mais aussi féminines.
A travers ses recherches Elise Retoré a tenté de proposer une histoire totale de la chasse en Louisiane française et d’envisager la pratique cynégétique du point de vue tant social et culturel, qu’économique et politique, et de l’étudier à différentes échelles.
Aussi, son mémoire a été pensé dans la continuité des recherches et des idées de son directeur de recherche (elle a trouvé son sujet dans son ouvrage Histoire des Coureurs de Bois, paru en 2016) mais elle a tenté d’innover en intégrant à sa réflexion l’histoire environnementale, notamment aux rapports entre hommes et animaux. Elle a d’ailleurs choisi de considérer ces derniers comme des acteurs historiques à part entière car dotés d’une agentivité.
Pour en savoir plus sur cet épisode Elise vous conseille les lectures suivantes :
- HAVARD Gilles, VIDAL Cécile, Histoire de l’Amérique française, Paris, Flammarion, 2014, 863 p.
- SALVADORI Philippe, La chasse sous l’Ancien régime, Paris, France, Fayard, 1996, 462 p.
- BUTEL Paul, Les Caraïbes au temps des flibustiers: XVIe-XVIIe siècles, Paris, France, Aubier Montaigne, 1982, 299 p.
- HAVARD Gilles, Histoire des coureurs de bois: Amérique du Nord, 1600-1840, Paris, France, Les Indes savantes, 2016, 885 p.
- JACQUIN Philippe, Les Indiens blancs: Français et Indiens en Amérique du Nord (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, France, Payot, 1987, 310 p.
- DELÂGE Denys, « Vos chiens ont plus d’esprit que les nôtres » : histoire des chiens dans la rencontre des Français et des Amérindiens », Les Cahiers des Dix, 59, 2005, p. 179-215.
- BROMBERGER Christian et LENCLUD Gérard, « La chasse et la cueillette aujourd’hui. Un champ de recherche anthropologique ? », Études rurales, 1982, vol. 87, no 1, p. 7-35.
Dans cet épisode vous avez entendu les extraits des chansons suivantes :
- Ryuichi Sakamoto – The Revenant Main Theme (The Revenant Original Motion Picture Soundtrack)
- Pocahontas : une légende indienne (1995)
Dans cet épisode on a aussi mentionné le podcast Binouze USA qui parle de bière et de culture louisianaise !
Fanny : Bonjour à toutes et à tous, et bienvenue dans ce nouvel épisode de Passion Modernistes. Je m’appelle Fanny Cohen-Moreau, et dans ce podcast je vous propose de rencontrer de jeunes chercheurs et chercheuses en master ou en thèse qui étudient l’histoire moderne. Pour rappel, l’histoire moderne c’est cette période qui s’est un petit peu glissée entre le Moyen Âge et l’époque contemporaine, c’est-à-dire en gros pour l’Europe occidentale entre les années 1500 et 1800.
Épisode 9, Élise et les chasseurs du Mississippi, c’est parti !
Après l’épisode sur les origines de New York, il y a 2 épisodes, oui regardez sur vos applis de podcast ou alors sur le site, je propose un nouveau voyage aux Amériques à l’époque moderne, encore aux futurs États-Unis entre le XVIIe et XVIIIe siècle, mais cette fois on va partir dans la vallée du Mississippi.
Bonjour Élise Rétoré.
Élise : Bonjour Fanny.
Fanny : Alors tu as fait un mémoire de master 2 à l’École des hautes études en sciences sociales en septembre 2018 et le titre c’était « La chasse dans la vallée du Mississippi (1672 – 1770) : Acteurs, pratiques et territoires » et tu étais sous la direction de Gilles Havard. Je voudrais déjà te demander, Élise, pourquoi est-ce que tu as voulu étudier l’histoire moderne, qu’est-ce qui t’attirait dans cette période ?
Élise : Alors je suis rentrée dans l’histoire moderne un petit peu par hasard. J’ai été très attirée par l’histoire de l’Amérique du Nord grâce à un cours que j’ai eu en L2. On avait des cours spécifiques sur certaines aires géographiques, dont un qui était consacré à la colonisation de l’Amérique du Nord, donc les Amériques françaises et les Amériques anglaises, et je me suis un peu prise de passion on va dire, pour tout ce qui concernait les relations franco-amérindiennes. Notamment par le prisme des interactions culturelles, des transferts culturels, et des contacts qui pouvaient s’établir entre colons français et Amérindiens, et plus précisément sur la figure du coureur de bois canadien. Le coureur de bois c’est un commerçant, un marchand qui va à la rencontre des peuples amérindiens pour échanger souvent des objets d’origine européenne contre des fourrures que les Amérindiens préparaient en chassant certains animaux. Donc le coureur de bois était amené à être en contact très souvent, voire permanent [avec les Amérindiens], certains ont même habité chez des peuples amérindiens. Ce qui m’intéressait, c’était cette figure donc à la fois sociale du coureur de bois, cette figure un peu d’entre-deux, un colon mais également très influencé par la culture amérindienne.
Fanny : Et pourquoi est-ce que tu as choisi le sujet des chasseurs de la vallée du Mississippi ? Qu’est-ce qui t’a amené à ce sujet-là en particulier ?
Élise : Mon intérêt pour les coureurs de bois canadiens m’a amené à lire l’ouvrage de mon directeur de recherche, Gilles Havard, qui a écrit Histoire des coureurs de bois, dont un des sous-chapitres est consacré aux chasseurs du Mississippi, qui se différenciaient des coureurs de bois, car eux ils traquaient souvent les animaux dont ils récupéraient la viande ou la fourrure, ce qui est différent des coureurs de bois qui souvent ne traquaient pas eux-mêmes les animaux, mais échangeaient surtout les fourrures avec les Amérindiens, car ils étaient intégrés dans la traite de fourrure et tout ce qui était circulation pelletière. Déjà, les chasseurs du Mississippi m’ont intéressée parce qu’ils avaient une culture matérielle un peu plus spécifique que les coureurs de bois, que cela soit des techniques de navigation, ou des objets symboliques comme le fusil, ou des techniques de… enfin tout le savoir-faire qu’il y avait autour des pratiques de chasse, comment on traque un animal, comment le leurrer, voire même comment dresser un chien de chasse, car ils en avaient. Si je me souviens bien, il y avait une note dans ce sous-chapitre qui parlait d’un champ historiographique, du moins en France, à combler sur les chasseurs du Mississippi, car on en parlait souvent dans l’historiographie canadienne ou américaine, mais en France il n’y a pas encore eu d’étude complète sur ses chasseurs du Mississippi.
Enfin ce qui m’intéressait, aussi c’était la diversité des groupes d’acteurs, car quand on plonge un peu plus, on voit qu’il n’y a pas que des colons français, on a également des Amérindiens qui peuvent chasser pour les colons, ou aussi la chasse pratiquée par les esclaves noirs soit pour leur maître soit pour eux. La chasse pour moi représentait un cadre d’interaction pour plusieurs groupes hétérogènes, qui pouvait amener des transferts culturels, des savoir-faire différents… Voilà, j’en suis arrivé comme ça. [rires]
Fanny : Avant de s’intéresser précisément à toutes ces personnes, est-ce que tu peux nous resituer un petit peu le contexte historique ? Où est-ce qu’on en est à cette époque-là dans le Mississippi par rapport donc à la colonisation et tout ça ?
Élise : J’ai pris les bornes chronologiques qui s’étendent des années 1670 jusqu’aux années 1770. Les années 1670, donc la fin du XVIe siècle, cela correspond aux explorations qui sont menées le long du Mississippi, en partant du sud des Grands Lacs, qui correspondent au Canada, de la région du Canada maintenant, où les autorités françaises veulent de plus en plus explorer le territoire pour avoir plus de ressources. Donc ils engagent des explorations qui vont descendre le long du Mississippi, qui sont notamment faites par des missionnaires souvent. Ces expéditions vont traverser ce qui va devenir en réalité la Louisiane française. La Louisiane c’est un territoire qui s’étend du sud de ces Grands Lacs jusqu’au golfe du Mexique. On a au nord la partie qu’on appelle le pays des Illinois, puis au sud ce qu’on appelle la Basse-Louisiane qui va jusqu’au golfe du Mexique. Donc on est dans ce moment d’exploration mais également de colonisation. Pour la Louisiane, on a l’expédition de Cavelier de la Salle qui va dans les années 1680 établir la colonie de la Louisiane, et au début du XVIIIe siècle, on a la fondation de villes, notamment La Nouvelle-Orléans en 1718. Je suis allée jusqu’à l’après-guerre de Sept Ans, où à la fin de la guerre de Sept Ans, la France est expulsée de ses colonies américaines. J’ai essayé d’entrevoir quelles étaient les répercussions sur les chasseurs, notamment professionnels, de la vallée du Mississippi. Quelles pouvaient être les répercussions liées au changement de monarchie, au changement de domination monarchique. Je me suis intéressée pour la toute fin de mes bornes chronologiques à la situation d’un village, qui a été fondé uniquement par des chasseurs de profession.
Fanny : J’en profite pour faire un petit coucou au podcast Binouze USA qui font un podcast sur la bière depuis la Louisiane. J’en profite, je peux rarement en parler. Donc là on a bien tout le contexte. On sait où on est, il n’y a pas de souci. Pour revenir à ces chasseurs, quand tu dis « chasseurs » en fait, tu parles autant des colons que des Amérindiens, en fait tu inclues tout le monde dans ce terme ?
Élise : Alors, ça a été une des grandes difficultés de ce mémoire. Chasseur c’est un terme un peu poreux à cette époque, ça regroupe beaucoup de gens. Il y a des chasseurs qui sont professionnels, qui sont généralement des Français, mais aussi des Amérindiens qui peuvent chasser pour les colons. On a aussi de la chasse qui est faite par tous les habitants car c’est quand même un moyen de se sustenter s’il y a des périodes de famine, où il manque de la nourriture. C’est une activité qui est accessible facilement pour tous ces colons.
Fanny : Pas comme en Europe peut-être encore à l’époque, j’imagine où la chasse est beaucoup plus réglementée, où c’est le chasseur… où la chasse à l’époque moderne c’est plus un privilège des nobles ? Là aux États-Unis — je dis États-Unis pour résumer — c’est un peu plus chacun fait ce qu’il veut, c’est ça ?
Élise : Justement, cela a été un des axes de recherche de mon mémoire, où je me suis encore située dans le prolongement des thèmes de recherche et des études qui ont été déjà faites par mon directeur de recherche. On voit en réalité, sur le continent nord-américain, une sorte de démocratisation de la chasse. En effet, en métropole, la chasse est un privilège de noble, la chasse est également un moyen pour revendiquer ses terres, c’est un spectacle sonore et visuel, la chasse, ça fait du bruit, etc. Alors que dans la vallée du Mississippi, tout le monde est amené à chasser, tout le monde peut chasser. On peut plus chasser, je pense, parce que le contrôle par les administrateurs coloniaux est plus difficile, les territoires sont immenses. En fait, il y avait de la chasse en métropole faite par des gens qui n’étaient pas nobles, on appelle ça du braconnage, généralement c’était illégal et puni. Alors que dans la vallée du Mississippi, on s’aperçoit que beaucoup de gens peuvent chasser, notamment des femmes, ce qui était aussi un de mes autres axes de recherche. Et les esclaves, ce qui là pose plus problème.
Fanny : Qui sont les populations locales et les tribus amérindiennes dans la vallée du Mississippi ?
Élise : On a plusieurs peuples, plusieurs nations. Je ne sais pas les chiffres exacts, je pense qu’il y en plus d’une centaine. On a notamment ceux qu’on appelait — la prononciation va être approximative, et je suis désolée si j’en choque certains — on a les Quapaw, qui sont le long de la rivière Arkansas, qui est un des affluents du Mississippi. On a aussi, rassemblés dans ce qu’on a appelé les « Petites Nations », plusieurs noms de peuples, les Biloxi, les Moctobi, les Pascagoulas et les Capinas. Sans avoir vraiment étudié ces peuples-là, je me suis aussi intéressée à des travaux sur des peuples amérindiens, pas forcément dans la vallée du Mississippi, où on pouvait se demander si les pratiques cynégétiques, c’est-à-dire les pratiques concernant la chasse, n’étaient pas semblables. Donc je me suis intéressée aux Cherokees, aussi aux Cheyennes, et principalement, ce sont ces peuples-là qui m’ont intéressée.
Fanny : Sur les pratiques de la chasse, comment les personnes chassaient ? Et quels animaux ils chassaient d’ailleurs ?
Élise : Je pense que je vais tout d’abord partir des pratiques amérindiennes car souvent les colons ou même les esclaves ont repris des pratiques amérindiennes. Je me suis intéressée à trois animaux importants, qui sont l’ours noir, le bison et ce qu’ils appelaient le chevreuil des Amériques mais je pense que maintenant on parlerait plus de wapiti [NdT : il semblerait qu’il s’agisse en fait du cerf de Virginie – Odocoileus virginianus]. Si on part sur l’ours, on a deux types de techniques. Une qui se fait en hiver, où on attend que l’ours soit en hibernation, et les groupes de chasseurs vont le dénicher dans sa tanière, dans sa grotte, là où il hiberne. Le but étant de lui porter un coup massif sur le crâne, pour l’étourdir, ce qui va notamment le réveiller, mais comme il sort d’une sorte de léthargie, l’animal va être chancelant, il va pas pouvoir se défendre, et après le chasseur lui assène un coup meurtrier. Ils visaient notamment la gorge. Ils étaient armés de ce qu’on appelait des casse-têtes, des tomahawks pour lui donner un violent coup notamment aux cervicales. Il y a une autre technique qui peut se faire notamment après la saison des naissances où des Amérindiens vont se poster en bas des arbres. Ils ont repéré les arbres en fonction des marques de griffures sur l’écorce. Et ils vont imiter les cris de l’ourson.
Fanny : Oooh [attendrie]
Élise : Non, ça va être triste. Généralement, la mère va vouloir descendre…
Fanny : Parce qu’elles sont dans les arbres ?
Élise : Oui. Souvent les ourses noires élevaient leurs petits dans les arbres. C’est ce que racontent les récits de voyage.
Fanny : [rires] Je savais pas que les ours grimpaient dans les arbres.
Élise : Les ours noirs étaient peut-être plus petits que ce qu’on connaît maintenant, c’est pas des énormes grizzlis américains, comme on peut voir dans The Revenant par exemple, maintenant que j’y pense.
Fanny : Bien sûr.
Élise : Et donc ils tuaient la mère. Souvent, les oursons étaient apprivoisés et dressés, ils gardaient les oursons, et les ours après.
[Intermède musical Ryuichi Sakamoto — The Revenant Main Theme]
Élise : Alors il y a une autre technique amusante, enfin amusante…
Fanny : Oui, voilà… [rires partagés]
Élise : Pour le chevreuil, souvent les Amérindiens prenaient, depuis un cadavre de chevreuil qu’ils avaient déjà tué, ils prenaient la tête, ils prenaient un chevreuil mâle…
Fanny : Hum hum. [mi-dubitative, mi-inquiète]
Élise : Et la technique consistait à enfoncer son bras dans la tête du chevreuil et se mettre dans les hautes herbes, pour appâter — en fait, c’est une sorte de leurre — tout en imitant le cri d’un chevreuil [Fanny pouffe de rire] pour faire croire donc qu’il y avait un chevreuil, dans les hautes herbes, mais en fait non, c’était un piège, les chevreuils attirés se faisaient tuer.
Fanny : Mais juste… je visualise la scène. [rires partagés]
Élise : Ah, y avait des trucs marrants. [rires] Ils étaient assez imaginatifs.
Fanny : Donc les colons se sont inspirés de ces techniques pour chasser à leur tour ?
Élise : Alors, pas forcément ces techniques-là même, mais toutes les techniques qui sont basées sur la ruse, l’approche discrète, et les stratégies. Là encore, il y a une grosse différence avec la chasse qui est faite en métropole, la chasse à courre, où il y a des chiens, il y a du bruit, il y a des chevaux, c’est très très sonore. Alors que là, c’est plus de la dissimulation, des leurres, des pièges. Donc là, ils ont appris, je pense qu’il y a eu un transfert culturel et technique de ce côté-là. Aussi peut-être en fonction des armes. Les Amérindiens préféraient les arcs et les flèches, même si, en réalité, les colons français utilisaient beaucoup de fusils. Le fusil était un peu l’objet symbolique de ces chasseurs.
Fanny : Tu m’as parlé donc de la chasse de la part des esclaves noirs. Comment ça s’est passé en fait ? Tu sais ?
Élise : Il y avait deux cas. Soit c’était de la chasse pour le maître, le maître avait on va dire un esclave dédié à la chasse. C’est souvent un esclave qui par la suite il lui faisait un peu plus confiance, et il lui donnait certains privilèges.
Fanny : Donc du coup il lui donnait des armes.
Élise : Oui, voilà.
Fanny : C’est une marque de confiance.
Élise : C’est une marque de confiance, alors que normalement c’est interdit par le Code noir, l’esclave ne doit pas être armé. Ce qui a posé plusieurs problèmes après dans des actions judiciaires. Donc l’esclave pouvait soit chasser pour son maître, il lui rapportait le gibier. On peut imaginer qu’il en gardait une part. Ou non. Mais l’esclave pouvait également être autorisé à chasser pour lui. Il y a certains esclaves qui avaient le droit de tenir par exemple une espèce de potager, mais aussi il pouvait chasser du petit gibier pour compléter son régime alimentaire. Après, je ne pense pas que c’était une généralité. On a eu certains cas d’esclaves, notamment j’ai eu des sources judiciaires parlant de certains esclaves qui, du fait qu’ils étaient armés, il y a eu après des soucis. Par exemple, j’ai lu l’histoire d’un esclave qui a tué un Français sur les terres de son maître, parce que ce Français était venu chasser sur les terres de son maître, et lui ne voulait pas. Voilà, il y a eu un procès. Il y avait la chasse pour les maîtres et la chasse pour la consommation personnelle.
Fanny : Justement, tu commences à parler des sources. Sur quelles sources tu as travaillé pour savoir tout ça ? Bon, tu m’as dit que ton mémoire n’a pas duré très longtemps, donc j’imagine tu as pas eu le temps de te rendre sur place.
Élise : Non. J’ai surtout travaillé avec des microfilms, parce que j’ai eu la chance d’avoir des directeurs… enfin mon directeur de mémoire d’une part, et une autre directrice du Centre, Cécile Vidal, qui avaient pas mal de microfilms à eux, ou de microfilms d’archives qui se trouvaient aux États-Unis.
Fanny : Qu’eux avaient récupéré ou qu’eux avaient microfilmé ?
Élise : Alors, ils les avaient microfilmés… mais je ne me souviens pas. [rires]
Fanny : Donc c’est eux qui t’ont donné des documents. Ça t’a fait gagner du temps j’imagine d’avoir directement ça. Tu n’as pas eu à faire de la recherche d’archives supplémentaires ?
Élise : Non, je n’ai pas eu le temps, et de toute façon, mon directeur de recherche n’était pas forcément pour, il trouvait que c’était peut-être plus intéressant à faire ça en thèse, plutôt que passer, je veux pas dire perdre du temps, c’est jamais une perte de temps d’aller dans les archives, mais passer du temps… C’est quand même un long voyage d’aller aux États-Unis, j’apprends ça à personne. Mais là…
Fanny : C’était un peu compliqué. Tu es pas en thèse, tu es qu’en mémoire, t’avais pas forcément assez de temps pour faire ça.
Élise : Voilà, j’avais pas le temps.
Fanny : Sur quel type d’archives est-ce que tu as travaillé ?
Élise : Tout d’abord il faut savoir que je n’avais pas de sources écrites de la main même de ces chasseurs. La plupart étaient analphabètes, donc ils ne savaient ni lire ni écrire. J’ai surtout eu accès à des sources qui parlaient d’eux, qui les décrivaient. Premièrement, j’ai surtout utilisé des récits de voyage et des récits d’exploration, qui pouvaient être faits soit par des colons, soit par des officiers, qui me permettaient d’avoir des détails très concrets d’épisodes de chasse, par exemple les différentes techniques d’approche de chevreuil, de bison ou d’ours, c’est dans ces récits de voyage que je les ai trouvées. On pouvait donc voir la rencontre culturelle mais également technique qui pouvait se voir entre des gens de la métropole et puis des Amérindiens. Ça me donnait également une représentation de la faune et de la flore particulière, comment est-ce qu’on voyait les animaux américains ? Parce que j’ai laissé une place très importante aussi à l’histoire environnementale, et aussi à ce que j’appelle histoire animalière, c’est-à-dire voir les animaux comme des acteurs historiques à part entière, et non pas seulement comme des objets, des acteurs un peu passifs ? J’ai essayé de leur retrouver un peu une place.
J’avais ces récits de voyage, j’avais accès à des écrits administratifs. Toutes les archives qui concernent les colonies, elles se trouvent à Aix-en-Provence, et il y a aussi des microfilms qui se trouvent au centre d’archives dans le Marais…
Fanny : C’est un peu dispersé !
Élise : Voilà, et j’ai fait que des microfilms. [rires]
Fanny : Tu as dû avoir mal aux yeux à la fin !
Élise : C’était compliqué. J’ai surtout travaillé sur la correspondance reçue par le secrétaire d’État à la Marine, en provenance de Louisiane, souvent écrite par des administrateurs coloniaux, donc des intendants ou des officiers, qui donnent des témoignages plus… Je m’y suis intéressée plus parce que c’était des témoignages sur les comportements des chasseurs, car ils ont été souvent critiqués, car ils étaient souvent en contact avec les Amérindiens, ce qui amenait souvent les officiers… pour eux les chasseurs avaient des mœurs dépravées, ils se comportaient — je cite — « comme des sauvages ».
Fanny : Ah oui, donc vraiment on parle de ça…
Élise : Oui, oui, il y avait des termes… voilà quoi… ils étaient, ils étaient comme des « sauvages » amérindiens. J’ai aussi eu le droit sous microfilm à avoir des archives notariales, ce qui me permettait de voir des contrats d’engagement de chasseurs. Là, c’était plus pour le côté « la chasse comme profession ». J’ai eu aussi des archives judiciaires, donc par exemple pour les esclaves, certains procès qui m’ont permis de comprendre quels étaient les conflits qui pouvaient s’installer à travers la pratique de la chasse par les esclaves. J’ai aussi beaucoup utilisé des représentations de la faune nord-américaine par les histoires naturelles, donc faites par des naturalistes et même par des missionnaires, beaucoup de dessins d’animaux pour voir quelle était leur perception, et aussi quels commentaires il pouvait y avoir face à cette faune qui pour eux était étrangère. Et enfin, des sources archéologiques et archéozoologique, ça je n’ai pas eu le temps de vraiment bien m’y intéresser, j’ai surtout lu des comptes-rendus et des livres spécialisés dessus.
Fanny : Comment se sont passées tes recherches en général ? Elles sont bien passées ? Est-ce que tu as eu des surprises à des moments ?
Élise : Je pense que c’est plus au moment où… à la base je voulais surtout m’intéresser à la chasse pratiquée par les colons français hommes, mais également essayer de trouver la place des femmes dans ce circuit, et j’ai été amenée à vraiment impliquer la chasse par les Amérindiens et la chasse par les esclaves. Et aussi je pense qu’un des gros points de mon mémoire ça a été d’amener une autre historiographie, c’est-à-dire celle d’une histoire environnementale et l’histoire des animaux, qui m’ont permis aussi de repenser l’acte de chasser différemment. Surtout que je ne connaissais rien du tout en histoire environnementale, ou histoire des animaux, et ça m’a permis de me poser d’autres questions. Je m’étais jamais posé la question « quelles pouvaient être les réactions des animaux face à la chasse ? », etc. J’ai eu des surprises aussi concernant mes recherches sur l’implication des femmes dans la chasse.
Fanny : C’était quoi d’ailleurs l’implication des femmes dans la chasse à cette époque-là ?
Élise : On ne parle pas de chasseuse, il n’y a pas de mentions de chasseuse. Enfin au Canada on a une mention d’une « coureuse » — alors ça ne se dit pas « une coureuse de bois » — seule femme à faire cette profession.
Fanny : On l’imagine courir dans les bois très vite un peu comme dans Twilight. [rires partagés]
Élise : Voilà, bonne référence. Donc on avait des femmes qui chassaient également, soit pour nourrir leur famille quand justement le mari, qui pouvait être parti dans des grands circuits de chasse pour aller traquer un bison ou un ours, n’était pas là, donc il fallait bien qu’elle trouve des moyens de subsistance. Aussi, ce qui m’intéressait c’était les femmes qui pouvaient donc chasser, autour de la maison, aussi j’ai lu pas mal de travaux sur la place des femmes amérindiennes dans la chasse, ou des fois elles pouvaient servir de rabatteuse pour les animaux, qui après étaient tués par des hommes là pour le coup.
Ça m’a permis de me reposer des questions sur qu’est-ce que c’était en fait chasser ; et aussi est-ce que c’était juste une profession ; est-ce que c’était juste aller soi-même traquer, est-ce que la femme qui chassait, enfin qui ne faisait que rabatteuse, était pas également elle aussi chasseuse ? Est-ce que ces femmes pouvaient être chasseuses aussi ? En tout cas dans les archives, ce n’est jamais mentionné, je n’ai jamais trouvé de contrat d’engagement pour une femme, mais c’était une manière de repenser l’action de chasser, d’essayer de trouver la place de ces femmes. Est-ce qu’elle était autant, elle n’était pas égale à l’homme, mais quelle était sa place particulière ?
Fanny : Les archives elles étaient en français de l’époque, ça a pas été trop compliqué pour les lire ?
Élise : Alors, c’est un français de l’époque. J’ai pas trouvé ça trop compliqué à lire, ce qui m’embêtait plus c’était la calligraphie de certains officiers qui…
Fanny : Des belles boucles d’époque moderne…
Élise : Là non, non, justement il y en avait qui écrivaient très très mal. Ça c’était mon principal problème. Sinon, en soit les tournures de langues qu’on peut trouver dans l’ancien français, ça ne m’a pas posé de problème particulier. C’était vraiment déchiffrer des écritures parfois illisibles, c’était ça le principal problème dans ces archives.
Fanny : Qu’est-ce que ça t’a apporté personnellement de faire ce mémoire ?
Élise : C’est toujours une période qui m’a fascinée. L’histoire des peuples amérindiens, même encore aujourd’hui, me fascine énormément, et toutes ces questions de transfert de culture, de contacts entre différents peuples, et des accommodations qui peuvent en être tirées, pour moi c’était… pendant que j’ai écrit ce mémoire, je trouvais ça fascinant. Et également, j’étais contente de pouvoir inclure toute la question environnementale, donc que ce soit les animaux, ou également le rapport à la nature. Pour moi c’était important, parce que ça permettait une étude encore plus globale de la chasse, car souvent on voit surtout des études de chasse concentrées sur les chasseurs, mais rarement quelque chose qui implique ceux qui chassent, ceux qui sont chassés. Donc personnellement, c’était très satisfaisant aussi d’essayer au moins d’avoir une sorte de vision globale en incorporant beaucoup d’acteurs. C’est une région géographique qui me fascine beaucoup, depuis petite j’ai un peu été bercée par le folklore qu’il peut y avoir en Amérique du Nord, sur la vision des trappeurs, etc. Donc, pour moi c’était très enrichissant et très épanouissant de travailler sur cette région.
Fanny : Tu aimerais continuer une thèse sur le sujet ?
Élise : Alors j’aimerais bien faire une thèse, mais du moins, pas pour le moment, depuis que j’ai rendu mon mémoire en septembre 2018, j’ai préparé les concours de l’enseignement, donc le CAPES d’histoire-géo, et l’agrégation d’histoire. Cette année, j’ai été reçue aux écrits du CAPES et de l’agrégation. Au final, j’ai eu le CAPES, ce qui est déjà…
Fanny : C’est déjà bravo. [rires partagés] Franchement, bravo.
Élise : Merci.
Fanny : C’est très bien.
Élise : Et cette année, je repars pour une nouvelle année de préparation à l’agrégation. Après, j’aimerais beaucoup enseigner avant tout, pour le moment la thèse, c’est pas une priorité pour moi. J’aimerais voir le monde de l’enseignement, et je pense que j’y reviendrai un jour, certainement dans quelques années, mais j’aimerais enseigner à côté peut-être. Alors, je ne sais pas si ce sera possible financièrement, ou si j’ai d’autres projets à côté, j’aimerais bien peut-être avoir un mi-temps et faire la thèse à côté, essayer de concilier les deux. Mais encore une fois, je ne sais pas si ce sera possible, mais j’aimerais bien, mais dans quelques années, y revenir et me replonger dans ces histoires de Mississippi.
Fanny : Pour finir, Élise, une dernière petite question que je pose souvent dans les épisodes : est-ce que tu aurais des conseils pour quelqu’un qui voudrait étudier cette période et cette région, donc l’Amérique du Nord à la fin du XVIIe siècle ?
Élise : Alors déjà, ne pas faire comme moi qui ai voulu faire une étude très large, j’ai voulu incorporer beaucoup de choses, beaucoup d’acteurs, de beaucoup de pratiques… C’est un ensemble géographique très grand, très important, peut-être plus se concentrer, faire des limites, se concentrer peut-être sur une aire géographique plus restreinte ou un groupe en particulier d’acteurs, parce que moi j’étais un petit peu débordée [rires partagés] avec tous mes chasseurs. Quoi d’autre… Je pense aimer son sujet, c’est quelque chose aussi de primordial, ça c’est bon que ce soit dans la vallée du Mississippi ou pour tout autre sujet [rires]. Bien choisir son directeur de mémoire c’est vrai que pour les études nord-américaines, il y a quelques centres qui proposent… surtout sur la période moderne, car on voit dans certaines universités c’est certes de l’histoire de l’Amérique du Nord, mais plus de l’époque contemporaine. À l’époque moderne, il faut bien choisir son centre et les spécialistes. Moi à l’EHESS, c’était bien, sans faire de la pub. [rire gêné]
Fanny : Oh, il faut, il faut.
Élise : À l’EHESS on avait un très bon encadrement, concernant cette région et cette époque.
Fanny : Maintenant, chers auditeurs et auditrices, vous savez un petit peu plus qui étaient les chasseurs du Mississippi, quel était le contexte historique dans la vallée du Mississippi à la fin du XVIIe siècle. Donc merci beaucoup Élise Rétoré pour toutes ces belles choses que tu nous as racontées.
Élise : Merci à toi.
Fanny : Pour les auditeurs, si cet épisode vous a plu et que vous voulez en savoir plus sur les États-Unis à cette époque-là, je vous rappelle qu’il y a l’épisode 7 qui parle des origines de New York, donc on est vraiment à la même époque mais pas exactement dans la même zone géographique. Et si l’époque moderne vous intéresse, il y a aussi plein d’autres épisodes pour Passion Modernistes.
Et si vous voulez écouter encore plus de podcasts sur l’histoire, vous pouvez bien sûr aller écouter le podcast Passion Médiévistes, qui parle de Moyen Âge, on s’en doute, et tous ces podcasts se retrouvent sur le site passionmedievistes.fr, vous avez des petits onglets en haut où vous pouvez tout retrouver.
Le podcast Passion Modernistes est aussi sur Twitter et Facebook, si vous voulez un petit peu suivre les actualités du podcast ou nous faire vos retours sur ce que vous avez pensé des épisodes. Dans le prochain épisode de Passion Modernistes, on va partir en Lorraine, on va repartir en Lorraine à l’époque moderne. Salut !
[Pocahontas – L’air du vent]
Merci énormément à Marion et Bobu pour la retranscription !
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).
Si cet épisode vous a plu, je vous conseille d’écouter l’épisode 7 de Passion Modernistes qui porte sur les origines de la ville de New York.