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Épisode 13 – Ilan et les réseaux politiques

Dans ce treizième épisode, Ilan Soulima nous parle des réseaux politiques au Xème siècle dans l’Occident.

Même si Facebook Instagram & co n’existaient pas au Xème siècle, les rois carolingiens arrivaient quand même à nouer des liens avec la noblesse, en nouant des liens diplomatiques ou par des mariages. Et pour mettre au clair ses relations, les mathématiques peuvent être utiles, à travers l’utilisation de bases de données, pour mieux comprendre les chroniques médiévales. Cet épisode est l’occasion de se rappeler qu’un roi de France s’est appelé Raoul !

Pour aller plus loin voici quelques conseils bibliographiques :
  • WHITE Harrison, « Réseaux et histoires« , dans SociologieS, 2007,
  • SOT Michel, Un historien et son Église au Xe siècle: Flodoard de Reims, Fayard, 1993.
  • SASSIER Yves, « Chapitre 4 – Le modèle carolingien dans la tourmente (fin IXe-fin XIe siècle) », dans Royauté et idéologie au Moyen Âge : Bas-Empire, monde franc, France (IVe-XIIe siècle), Paris, Armand Colin, 2016, p. 189-256.
  • ROSÉ Isabelle, « D’un réseau à l’autre ? Itinéraire de la reine Emma (†934) à travers les actes diplomatiques de son entourage familial », dans JÉGOU Laurent, JOYE Sylvie, LIENHARD Thomas, et SCHNEIDER Jens (Dir.), Faire lien : aristocratie, réseaux et échanges compétitifs, Paris, 2015, p. 131-143 (dispo sur Academia)
  • MICHEL BERTRAND, SANDRO GUZZI-HEEB, CLAIRE LEMERCIER, « Introduction : où en est l’analyse de réseaux en histoire? », dans REDES: Revista Hispana para el Análisis de Redes Sociales, Vol 21, 2011.
Les extraits diffusés dans cet épisode :

Retrouvez Ilan dans le hors-série spécial du premier anniversaire du podcast.

 

Transcription de l’épisode 13 (cliquez pour dérouler)

[Générique]

Fanny : Est-ce que l’on sait tout du Moyen Âge ? Et d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge ? En fait, il y a autant de réponses que de médiévistes. Dans ce podcast, on met de côté les clichés qui décrivent le Moyen Âge comme une période obscure et de régression, pour s’intéresser à comment l’histoire médiévale est étudiée aujourd’hui par de jeunes chercheurs, quels sont les sujets qui les intéressent, pour vous donner envie d’en savoir plus et pourquoi pas donner de l’inspiration aux futurs chercheurs.

Épisode 13, Ilan et les réseaux politiques, c’est parti !

Bonjour à toutes et à tous, aujourd’hui je reçois Ilan Soulima. Bonjour Ilan.

Ilan : Bonjour Fanny.

Fanny : Tu es en master d’histoire médiévale à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, et comme la première invitée de ce podcast, Justine, tu as comme directrice de recherche Geneviève Bührer-Thierry. Tu viens nous parler des réseaux politiques sous les Carolingiens et les Robertiens, donc au Xe siècle. Pour commencer, est-ce que tu peux nous rappeler quel est le contexte politique à cette époque ?

Ilan : En réalité, les Carolingiens, c’est une dynastie qui commence avec Charlemagne qui, lorsqu’il prend le royaume de Carloman, son frère, la Saxe ainsi que tout le nord de l’Italie, il va fonder l’Empire carolingien, donc en 800. Mais c’est loin d’être un règne serein. Charlemagne va avoir un règne plutôt calme. Sa succession va bien se passer avec son fils, mais ensuite l’empire va être partagé en trois parties: la Lotharingie d’une part, où va régner Lothaire, qui va recevoir en plus la couronne d’empereur, et de chaque côté respectivement la Francie occidentale, qui va finir par s’appeler la Francie, et la Francie orientale, qui va finir par s’appeler la Germanie. Et à partir de cette succession, il va y avoir tout un tas de luttes internes, de problèmes au sein des royaumes, qui vont commencer soit à se déchirer en intérieur, soit depuis l’extérieur. On va finir par arriver à une situation où l’empire est complètement morcelé, et notamment en Francie occidentale où on va même arriver à une situation où il va y avoir deux rois en même temps parce que le royaume n’est même pas gérable, les rois sont complètement incapables de le gérer.

Fanny : Dans ton mémoire, donc là tu as fait ton mémoire de M1 et tu es en train de faire ton mémoire de M2, tu étudies les réseaux politiques à cette époque. Comment tu définis un réseau politique ?

Ilan : Un réseau politique, c’est toutes les interactions entre deux, ou plus d’individus. Donc en fait, un réseau politique, c’est un réseau social qui est axé sur… qui en fait s’interroge sur le royaume et la gestion du royaume. Donc ça va être toutes les relations de conflit, mais aussi d’amitié, les relations de sujétion, etc.

Fanny : Tu étudies les réseaux politiques entre les Carolingiens et le reste de la noblesse ?

Ilan : Entre les Carolingiens et en fait toute la Francie et même au-delà. En étudiant les réseaux politiques, les réseaux en règle générale, on se rend compte que le réseau ne peut pas se bloquer à des frontières. Les Carolingiens étant une dynastie bien implantée, qui a permis de grandes avancées à peu près partout en Europe, tant sur le plan culturel que politique, ont des liens qui vont jusqu’en Germanie, en Italie et en Angleterre.

Fanny : Comment se formaient ces réseaux politiques ?

Ilan : Par des jeux, en réalité, qui sont assez proches de ce qu’on fait aujourd’hui. Déjà des liens de proximité, qui sont beaucoup des liens hiérarchiques en réalité. Le seigneur a des réseaux avec les personnes à qui il donne des terres, avec qui il va se battre, etc. Ensuite c’est aussi par les jeux de mariage, beaucoup. Par exemple, c’est comme ça que les Carolingiens, et aussi la grande aristocratie de Francie, va parvenir à tisser des liens avec d’autres aristocraties, d’autres cours. Et il y a aussi les liens culturels, où par exemple deux abbayes vont entrer en contact pour un échange de reliques ou tout simplement pour un échange de lettres.

Fanny : Pour les Carolingiens, à quoi servaient ces réseaux ?

Ilan : Donc le réseau ça peut être un réseau d’amitié, de protection du roi, de légitimation et une façon pour lui d’asseoir son pouvoir en entrant en contact avec un maximum de personnes, ou en tout cas avec les bonnes personnes. C’est un réseau de conflits, qui va être en réalité le réseau de ses adversaires, mais avec qui il va rentrer en contact, parce que les réseaux c’est pas uniquement positif, ça peut être quelque chose aussi contre lui. Et tous ces réseaux vont permettre aux Carolingiens d’asseoir leur importance culturelle et politique sur à peu près l’ensemble de l’Europe occidentale.

Fanny : Ce que tu me racontes en fait, ça me fait penser, pour ceux qui l’ont entendu, et je suis sûre que tu l’as écouté aussi, à l’épisode avec Justine en fait, où justement elle nous racontait la reine Gerberge et ses réseaux politiques, donc c’est à peu près la même période, donc il y a vraiment une continuité entre les deux époques.

Ilan : Il y a une continuité, d’ailleurs Gerberge c’est l’exemple typique de l’utilité du réseau. Gerberge, elle a une position centrale, elle est à la fois la sœur d’Othon, et la femme de Louis IV. Louis IV, qui doit faire avec une guerre interne qui est extrêmement importante, avec Hugues le Grand, qui est en fait le descendant des Robertiens, donc il est de la même famille qu’Eudes. Hugues le Grand, c’est l’homme le plus puissant du royaume, en réalité, même plus puissant que le roi. Il a plus de territoires, et il a un meilleur réseau. Mais Louis IV profite de Gerberge pour faire appel régulièrement à Othon, et c’est comme ça qu’on active un réseau en fait, par appel.

Fanny : Parmi toutes les personnes dont tu nous parlais, quels sont les personnages que tu étudies en particulier, dont tu te rends compte vraiment qu’ils ont une importance au sein de leur réseau ?

Ilan : Tout d’abord évidemment il y a les rois. Donc Charles le Simple et Louis IV d’Outremer pour ce qui est des rois carolingiens en Francie, ainsi que Robert Ier, même si en réalité il devient roi en 922 et meurt en 923. Son successeur, Raoul de Bourgogne, qui n’est pas de la même famille, mais qui en réalité va être choisi pour lui succéder — et en plus ça permet de rappeler qu’il y a un roi qui s’appelait Raoul (rire de Fanny). Donc ça c’est pour les rois du côté Robertien en Francie. Et ensuite, du côté germanique, on a Henri Ier dit l’Oiseleur, et son descendant Othon Ier, qui va être en réalité celui qui va créer le Saint Empire Romain Germanique.

Fanny : Est-ce qu’ils ont des techniques particulières pour créer des réseaux ces personnes-là ?

Ilan : C’est très régulièrement des réseaux de mariage, en réalité, et aussi des réseaux de sujétion. Mais des réseaux de sujétion vont parfois se créer d’eux-mêmes. En réalité, créer un réseau et appartenir à un réseau, c’est quelque chose qui peut protéger ou jouer politiquement. Un bon exemple, c’est Gilbert de Lotharingie. C’est un duc, qui va jouer énormément avec sa sujétion soit à la Germanie soit à la Francie, de façon à appuyer pour avoir les bonnes grâces d’un roi ou pour se protéger face à un autre. C’est comme ça qu’il se retrouve à faire face à Charles le Simple ou à s’allier avec lui. La Lotharingie va vraiment avoir une place un peu de balle qui se dirige toute seule d’un côté ou d’un autre du court en fonction de ses besoins.

[Extrait Archive INA « Laon au Moyen Âge carolingien »:

Alliances immédiatement dénoncées, trahisons multiples, corruption, querelles de succession, l’on garde fréquemment de cette période l’idée d’un grand trouble politique, voire même, après l’apogée de Charlemagne, d’un triomphe de la barbarie lié, c’est vrai, au déferlement des hordes normandes.

Heureusement, actuellement les recherches montrent que ça a été au contraire une grande période. Alors je pense que les conflits politiques, les conflits dynastiques qui troublé ce Xe siècle en particulier sont à l’origine de cette légende. Mais actuellement on s’aperçoit que, notamment du point de vue intellectuel, du point de vue économique, l’époque carolingienne était une époque brillante.]

Fanny : Pourquoi tu as choisi de travailler sur le sujet particulier des réseaux ? Est-ce qu’il y avait vraiment des choses encore à découvrir ou à approfondir ?

Ilan : Alors en réalité, je suis venu aux réseaux un peu par hasard. À l’origine, je voulais étudier les Vikings, et notamment leur installation en Normandie. Sauf que résultat, je devais attaquer sur le Xe siècle, et que je me suis rendu compte très vite que c’était extrêmement difficile, très compliqué, avec énormément de rebondissements. J’ai fini par prendre beaucoup de notes et par me rendre compte que de toute façon le sujet de la Normandie avait déjà été énormément vu et n’était pas faisable dans un master. Je suis allé voir ma directrice de recherche, je lui ai présenté le travail que j’avais commencé, et elle m’a proposé d’étudier les réseaux. J’avais eu une première approche des réseaux en séminaire, et j’avais déjà posé la question : est-ce que, pour essayer de démêler le Xe siècle, on peut utiliser les réseaux ? Et en réalité, il y a quasiment tout à faire sur le Xe siècle. C’est un siècle qui est à peine étudié depuis les années 1980, réellement étudié, avec Pierre Riché. Et aujourd’hui on se rend compte de la complexité de ce siècle et de tout ce qu’il a apporté comme transitions.

Fanny : Comment tu étudies ces réseaux ? Avec quelles techniques d’analyse ? Alors d’après ce que j’ai pu voir, tu fais beaucoup de bases de données. Ça a l’air très compliqué, est-ce que tu peux nous en parler ?

Ilan : Techniquement, le réseau c’est pas très difficile à tisser. Je m’appuie principalement sur Flodoard de Reims, qui est un chanoine qui écrit des annales, donc un compte par année de ce qui s’est passé au cours de l’année.

Fanny : Il est de quelle époque ?

Ilan : Ben lui il est du Xe siècle. En fait, c’est un témoin direct d’énormément d’évènements qu’il va raconter.

Fanny : C’est précieux comme genre de témoignage.

Ilan : C’est très précieux, d’autant plus qu’on manque cruellement de documentation sur le Xe siècle. Et en réalité, ce que je fais avec Flodoard, je prends toutes les relations tissées entre deux ou plusieurs personnages. Donc prenons une rencontre entre Hugues le Grand et Charles le Simple. Et là je le rentre dans les bases de données. Tous mes personnages ont des identifiants numériques. Donc je rentre l’identifiant, le nom, la nature de la relation, avec une classification de plusieurs types de liens, donc pour savoir si c’est des amitiés, des sujétions, des conflits, un petit détail. Et comme j’ai des réseaux qu’on appelle vectoriels, ça veut dire que ce sont des réseaux qui sont dirigés de… vers… — ce qui n’est pas un automatisme, on peut très bien faire des réseaux non vectoriels si l’important c’est de savoir avec qui il parle. Là l’intérêt du réseau vectoriel, c’est qu’on peut savoir s’il y a un renversement de la communication entre deux personnages. Et à partir de ça, j’entre aussi l’endroit où s’est fait la relation, donc royaume, région, ville si possible, la date et la page de l’édition des Annales de Flodoard que j’utilise. Et de là, en réalité, ça va me tracer une grande carte où chaque personnage va être représenté par un point, et il va y avoir des vecteurs qui vont aller vers les personnes avec qui il discute.

Fanny : À quoi ça te sert concrètement de faire ce travail ?

Ilan : Ça sert déjà à voir qui communique avec qui, et aussi à ne pas minimiser ou survaloriser un personnage. Au cours de mon M1, j’ai mis au jour à peu près deux types, si on peut appeler ça comme ça, de réseaux, que j’ai appelés les réseaux primaires et les réseaux secondaires. Donc le réseau primaire, ça va être le réseau de la grande aristocratie, où les personnages très importants, donc les rois, vont discuter avec les personnages très importants, donc les rois, la grande aristocratie, la grande seigneurie. Et le réseau secondaire, ça va être en réalité des personnages centraux qui vont parler avec des personnages de moins grande importance. C’est typiquement le cas des relations entre Charles le Simple ou Raoul de Bourgogne même, pour être plus précis, entre Raoul de Bourgogne et Hugues le Grand. Hugues le Grand c’est un seigneur, Raoul de Bourgogne c’est le roi. Résultat, Raoul de Bourgogne communique beaucoup avec les rois et la grande seigneurie, et il se sert du réseau d’Hugues le Grand pour parvenir à communiquer avec la petite aristocratie. Ce qui fait qu’on a une polarisation des réseaux, une individualisation des réseaux, et l’individu au sein du réseau va devenir vraiment un pivot pour communiquer plus bas.

L’autre intérêt, c’est de sortir d’une vision à la fois trop individualiste, où le poids d’un seul personnage aurait fait changer l’intégralité de la guerre. Typiquement c’est tout ce qu’on retrouve jusque dans les années 80, où Charles le Simple il a pas gagné ce nom pour rien, on considère que tout est de sa faute si le royaume chute. Et en réalité, on pensait pendant longtemps que Charles le Simple, Robert Ier, Raoul de Bourgogne, Hugues le Grand et l’antagoniste principal d’Hugues le Grand, Herbert de Vermandois, étaient les personnages qui avaient un peu façonné la première moitié du Xe siècle. On se rend compte grâce aux réseaux qu’on a une approche beaucoup plus structurelle. Le réseau va réellement peser. Lorsque le réseau germanique des rois de Francie s’active, ça permet de les défendre, même d’éviter des guerres parfois, parce que le roi de Germanie est dans un pays qui est stable, malgré plusieurs problèmes notamment avec les Magyars (ou Hongrois). Il est quand même dans un royaume qui est stable, qui est puissant, et simplement savoir qu’il y a cet allié à côté, permet de renforcer des relations de réunion et d’éviter des guerres grâce à des entrevues.

[Extrait de Kaamelott]

Fanny : Tu le disais là, tu es en deuxième année de master. Est-ce que ton sujet a évolué par rapport à la première année ?

Ilan : Alors le sujet pas vraiment, je continue à étudier les réseaux dans la fin d’une dynastie, dans une transition dynastique. Ce qui va évoluer, c’est l’approche. J’ai un peu amélioré la méthodologie depuis la première année. Et c’est surtout la vision du réseau. À la base, je pensais attaquer sur simplement une lecture d’une carte de réseaux que j’aurais produite. La carte de réseaux, c’est très utile pour voir visuellement, mais on a beaucoup plus d’informations grâce aux études statistiques. En réalité, la carte réseau, même si c’est très joli, ça rend très bien, l’étude statistique est complètement indispensable.

Fanny : Attends, tu veux dire qu’il y a des maths dans l’histoire médiévale ?

Ilan : Il y a énormément de mathématiques dans ce que je fais. C’est pas commun à toutes les disciplines, mais l’histoire statistique c’est vraiment une discipline à part entière et l’histoire réseau nécessite des statistiques. Ça va être des statistiques très basiques hein, c’est du comptage, de la comparaison beaucoup, mais c’est aussi beaucoup d’utilisation d’informatique, et c’est là où les bases de données vont être très importantes, parce que les bases de données permettent tout simplement d’automatiser tous ces comptages et toutes ces comparaisons.

Fanny : Très concrètement, à quoi te servent les statistiques ? Qu’est-ce que tu compares ?

Ilan : Eh ben justement, l’avantage de faire des études réseau montre la place des femmes. Deux femmes notamment vont avoir une grande importance. Tout d’abord Gerberge, bien évidemment, parce que c’est une reine centrale, qui va régner énormément aux côtés de son mari. Mais aussi Emma de Bourgogne, la femme de Raoul, qui va prendre une part très importante dans la guerre, notamment en tenant la ville de Laon pour son mari contre son adversaire, et ce jusqu’à ce que son adversaire se rende.

Fanny : Elle était une sorte de cheffe des armées ?

Ilan : Moins cheffe des armées, en réalité, la vision un peu misogyne d’une aristocratie qui mettrait les femmes de côté s’applique peu à cette époque-là, à cette période. La période est beaucoup trop difficile pour que ça puisse fonctionner. Elle va être une cheffe de siège, et surtout elle va servir un peu de lieutenant du roi sur un territoire. Dans un texte produit par un ecclésiastique, donc Flodoard, il y a pas vraiment de termes péjoratifs qui qualifient ça, ce qui semble montrer que c’est plutôt positif.

L’autre rôle des femmes, c’est, et ça ça va se retrouver tout au long du Moyen Âge et même après, c’est le rôle matrimonial. Les femmes vont vraiment servir de liaison, de pont, entre deux dynasties, et notamment avec les dynasties étrangères. C’est comme ça que par exemple le roi d’Angleterre évite d’entrer en guerre aux côtés de Charles le Simple, avec qui pourtant il a une liaison dynastique, en mariant une de ses filles à Hugues le Grand, ce qui permet en réalité de dire qu’il est en relation d’amitié avec les deux parties et ne peut pas prendre parti justement parce que ce serait prendre parti contre une de ses filles.

Fanny : Dans quelques mois tu vas finir ton master. Qu’est-ce que tu as prévu de faire après ton mémoire ? Est-ce que tu as prévu de faire une thèse ?

Ilan : Alors tout d’abord l’agrégation, qui est une condition aujourd’hui très importante pour passer en thèse. Et après je voudrais effectivement continuer en thèse.

Fanny : Il faut l’agrégation ensuite pour continuer une thèse ?

Ilan : C’est pas obligatoire, c’est de plus en plus demandé. En réalité, ça permet de s’émanciper des problèmes d’argent, tout simplement. C’est vraiment le problème qui l’une des principales raisons d’abandon en thèse, parce qu’il faut pouvoir financer pendant trois, cinq, huit ans parfois, une thèse. Ça permet aussi en cas d’abandon de pouvoir tout simplement rebondir sur quelque chose. Avoir l’agrégation permet de retourner dans l’Éducation nationale. Et ça permet de pouvoir donner des cours à l’université. Les universités disent que ses professeurs sont agrégés.

Fanny : Est-ce que tu as déjà une idée sur ton sujet de thèse ?

Ilan : Je voudrais continuer sur le Xe siècle. Faire uniquement du réseau en thèse ça ne sera sûrement pas possible. Il n’y a pas assez de matière, et surtout au Xe siècle par le fait qu’on a très peu de documentation. En revanche, continuer sur le Xe siècle, essayer de débroussailler toute la suite, toute la deuxième moitié du Xe siècle et essayer de mieux comprendre quelles sont les structures à l’origine de tous ces changements d’idéologies, tous ces changements politiques, toutes ces successions, ça pourrait être très intéressant en thèse.

Fanny : Et donc tu laisses totalement les Vikings de côté ?

Ilan : Je laisse pas les Vikings de côté. Notamment dans mon mémoire de master 2, j’essaie, difficilement mais j’essaie, de déterminer quelles sont les relations entre les Vikings qui se sont installés en 911 seulement en Francie occidentale et ce qui reste de Vikings en Scandinavie. Néanmoins, le Xe siècle c’est aussi la période de fin pour les Vikings, c’est la fin de la grande ère viking. Les Vikings ont commencé soit à se positionner sur des territoires pérennes comme en Normandie, soit vraiment à constituer des royaumes en Scandinavie, ce qui fait qu’on a de moins en moins de pillages, la christianisation aidant, puisqu’on ne pille plus les monastères.

Fanny : Pour finir cette émission et cet épisode, qu’est-ce que tu dirais à un jeune historien qui est encore en licence et qui hésiterait entre plusieurs périodes pour son master, donc l’histoire contemporaine, l’histoire moderne, l’histoire antique, et qu’est-ce que tu lui dirais pour le convaincre d’étudier le Moyen Âge ?

Ilan : Le Moyen Âge, c’est une période qui est centrale. C’est là où tout se fait en réalité. On change de modèle face à l’Antiquité, et on prépare le modèle de l’époque moderne. C’est aussi une période qui est très méconnue. Pour paraphraser ce que disait Joseph Morsel en cours, qui est un grand historien, 95% de ce qui a été fait en histoire médiévale jusqu’à aujourd’hui est à refaire. Parce qu’on a manqué des choses, parce que la recherche a énormément avancé depuis les années 80. Si on a intégré l’analyse réseau dans les années 80, on n’a pas intégré que ça. Il y a énormément de méthodes de recherche qui ont été intégrées à l’histoire. Aujourd’hui on fait énormément d’anthropologie en histoire médiévale, et c’est pas pour rien. On a vraiment l’impression en étudiant le Moyen Âge d’étudier quelque chose qui n’est pas nous, qui est vraiment très étranger. On est dans une vision, dans une mentalité tellement différente que le Moyen Âge est absolument passionnant pour ça.

Fanny : C’est ce que disait Paul dans l’épisode sur le Roman de Renart, qu’il faut vraiment penser le Moyen Âge comme une période où c’est pas nous, ce sont nos ancêtres, mais on n’a rien de commun avec eux en fait.

Ilan : C’est ça. On a l’impression de bien connaître le Moyen Âge, notamment grâce aux séries, aux films, aux livres, aux bandes dessinées, aux jeux vidéo aussi. Mais c’est en réalité une période qu’on connaît très mal. Même chez les chercheurs on a énormément de difficultés, notamment au Moyen Âge, à déterminer comment est-ce que les gens voyaient leur monde à cette époque-là.

Fanny : Merci beaucoup Ilan. Les auditeurs et moi-même en savons un peu plus sur les réseaux politiques au début du Moyen Âge, donc merci beaucoup.

Ilan : Ben de rien, et puis à bientôt.

Fanny : Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur tout ce dont on a parlé, sur différents personnages, nous vous mettons une petite liste d’ouvrages dans la description de l’épisode. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de Passion Médiévistes sur Soundcloud, iTunes et toutes les applications de podcast. Si vous voulez nous aider à faire connaître le podcast assez simplement, ça ne vous coûtera rien et nous ça nous fera beaucoup gagner en visibilité grâce aux algorithmes et compagnie, vous pouvez nous mettre une note sur iTunes, cinq étoiles ça serait pas mal, et même un commentaire, en nous disant ce que vous avez pensé de l’épisode, ou alors même nous suggérer des sujets. Je remercie d’ailleurs Marie, Rébecca pour leurs gentils messages sur iTunes. Je suis très contente que le podcast vous aide à découvrir le Moyen Âge autrement. La prochaine fois, nous parlerons des lions. Salut !

Merci beaucoup à So et Marion pour la retranscription !