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Jeux vidéo et Moyen Âge #4 – A Plague Tale : Innocence

Quelles sont les réalités historiques derrière le jeu vidéo A Plague Tale : Innocence ?

Visuel du jeu A Plague Tale Innocence
Visuel du jeu A Plague Tale Innocence

Dans ce quatrième épisode du format Jeux vidéo & Moyen Âge, Fanny Cohen Moreau et Albert Leparc se penchent sur un jeu français et très réclamé : A Plague Tale : Innocence, du studio Asobo. Alors direction l’Aquitaine du XIVe siècle pour voir si la peste en jeu reproduit fidèlement la peste en vrai !

Changer son arbalète d’épaule

Jusqu’en 2019, le studio bordelais Asobo était connu pour des adaptations de franchises (Ratatouille, Toy Story 3). Jeu d’aventure horrifique à la 3e personne, A Plague Tale : Innocence tranche avec ce passif. On y suit Amicia et Hugo, qui traversent des décors ravagés par la peste de 1358. Il s’agit de survivre aux hordes de rats surnaturels et affamés, mais aussi d’échapper aux soldats qui pourchassent Hugo, dont le destin semble directement lié à l’épidémie… Avec ce jeu, Asobo revendique une intention forte : réaliser un jeu narratif aux thèmes universels, qui s’éloigne de la fantasy pour une approche plus “réaliste”.

Le poids de la maladie

Le titre fait forcément penser à The Last of Us, pionnier de ce type de jeux. Tous deux présentent une épidémie apocalyptique et l’exploration d’un lien émotionnel entre un enfant (Hugo) et son aîné(e) (Amicia), contrôlé(e) par les joueurs et joueuses. Certains niveaux-couloirs proposent une infiltration, en attirant puis éliminant des gardes à la fronde. D’autres requièrent l’usage de feu pour éloigner les rats. Certains enfin mobilisent réflexion et exploration, à la manière d’un ancien Tomb Raider. Pendant ces séquences, les personnages échangent et développent l’histoire.

Outre Hugo et Amicia, des orphelins de diverses conditions nous accompagnent durant l’aventure : nobles, apprentis ou petits voleurs. Toutefois, cette profusion d’enfants livrés à eux-mêmes ne correspond pas à la réalité : les abandons d’enfants étaient rares pendant la peste. Plus largement, A Plage Tale : Innocence pose un climat hostile pour les personnages. On voit la recherche permanente de boucs émissaires, avec en ligne de mire les marginaux mais aussi les étrangers. Dans leur périple, Amicia et Hugo n’échappent pas à ce traitement.

L’ombre du rongeur

Néanmoins, A Plague Tale : Innocence déborde de surnaturel, à commencer par les hordes de rats affamés… qui déclenchent des tornades de rongeurs (oui). S’agit-il d’illustrer les fantasmes des médiévaux face à la peste ? Peu probable car au Moyen Âge, le rat n’est pas associé à la maladie. Il ne le devient qu’à l’époque moderne (hygiénisme), mais surtout au XIXe siècle, suite aux travaux d’Alexandre Yersin et Paul-Louis Simond en bactériologie.

Les rats dans le jeu A Plague Tale Innocence
Les rats dans le jeu A Plague Tale Innocence

En réalité, les artistes médiévaux mobilisaient d’autres images. Par exemple, flèches et armes de trait qui frappent indistinctement la population comme un châtiment divin, ou un feu dévorant qui se propage de villes en villes. Tout cela est d’autant plus paradoxal que les armes de traits et le feu sont les principales armes d’Amicia ! Alors, comment expliquer ce choix ? Simplement : Asabo s’est orienté vers un univers graphique réaliste, mais à la tonalité d’un conte, dans un contexte d’urgence panique où se révèlent les héros et les lâches, le courage pragmatique et le fantasme surnaturel.

Visions d’erreurs ?

Le jeu présente des exagérations horrifiques, tels des charniers à perte de vue ou d’immenses piles de corps d’animaux abattus. Irréalistes, de telles scènes servent à installer une ambiance pesante, évoquant un souvenir déformé par la peur. A l’inverse, le contexte historique est globalement respecté, qu’il s’agisse des événements de la Guerre de Cent Ans ou de l’architecture aquitaine.

Toutefois, si les personnages présentent souvent la foi comme le seul réconfort pour les personnages, l’antagoniste est une pure caricature… avec une “Inquisition anglaise”, aveugle et cruelle. Pour compenser cet écart, le jeu affiche d’intéressantes références à l’alchimie et à l’histoire des vagues de pestes. Par ce biais, l’intrigue recoupe une vision de la nature propre au milieu du Moyen Âge : l’état du monde est le reflet des états intérieurs, et ce qui semble être une catastrophe à grande échelle est finalement lié au destin d’Hugo et aux choix personnels d’Amicia.

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Merci à Guilhem Jean pour la rédaction de cet article et à Baptiste Mossiere pour le montage de l’épisode !