Hors-série 5 – Kaamelott, un livre d’histoire
Dans ce quatrième hors-série la doctorante en littérature médiévale Justine Breton nous parle de l’ouvrage Kaamelott, un livre d’histoire.
Ce livre, qu’elle a coordonnée avec Florian Besson (que nous recevions dans l’épisode 11), a été publié en avril 2018 aux éditions Vendémiaire. Il est le fruit d’un colloque organisé en mars 2017 à l’Université Paris-Sorbonne. De nombreux universitaires se sont réunis pour parler sérieusement et analyser la série Kaamelott. Des historiens bien sûr mais aussi des sociologues, des musicologues, mais aussi plus largement des spécialistes de la culture geek contemporaine.
Justine nous parle de comment les créateurs de la série ont fait attention aux détails historiques au fur et à mesure des saisons, des sources littéraires de la série, de la géographie du “royaume de l’Ogre”, mais aussi des personnages féminins et de leur traitement.
Les extraits diffusés pendant l’épisode :
- Kaamelott, Livre IV, épisode 95
- Kaamelott, Livre III, épisode 50
[Générique]
Fanny : Bienvenue à toutes et à tous dans ce nouvel hors-série de Passions Médiévistes. Aujourd’hui, toujours dans notre démarche de rencontrer des personnes qui font vivre l’histoire médiévale aujourd’hui, nous allons parler pop culture et Moyen Âge avec Justine Breton. Bonjour Justine.
Justine : Bonjour.
Fanny : Je le dis tout de suite : tu n’es pas la Justine du premier épisode. Tu es Justine Breton. Tu es docteure en littérature médiévale et tu as travaillé sur les représentations du pouvoir dans les légendes arthuriennes en comparant les textes médiévaux et les réécritures contemporaines. J’ai juste ?
Justine : Tout à fait.
Fanny : Tu as codirigé un livre publié en février 2018 sur une série que tous les auditeurs de Passion Médiévistes connaissent normalement car ils en ont des extraits à chaque épisode : Kaamelott. Si vous ne connaissez pas Kaamelott, on ne sait jamais : c’est une série créée par Alexandre Astier et qui met en scène le roi Arthur et les chevaliers de la Table Ronde de façon très très humoristique et avec beaucoup de répliques qui sont aujourd’hui cultes. Ce livre est issu d’un colloque qui était organisé en mars 2017 à l’Université de Paris Sorbonne, donc quelque chose de très sérieux, avec Florian Besson que nous avions déjà reçu dans l’épisode 11 du podcast. On avait parlé avec lui des états latins d’Orient. Vous avez réuni des textes d’universitaires qui ont participé à ce colloque. Vraiment de tous champs universitaires, que ce soit bien sûr des historiens, mais aussi des sociologues, des musicologues et plus largement même, des spécialistes de la culture geek contemporaine, on va en parler. Avant tout, j’aurais voulu savoir : dans ton parcours de médiéviste, qu’est-ce qui t’a conduit à étudier le mythe arthurien ?
Justine : Je crois que j’ai toujours eu une fascination pour le Moyen Âge de façon plus générale, et en particulier puisque je suis littéraire, un grand goût pour cette littérature médiévale pleine de chevaliers, de dragons, de combats qu’on retrouve ensuite dans la fantasy qui est un genre littéraire que je lis toujours beaucoup aujourd’hui. C’est quelque chose qui m’a suivie un peu en filigrane tout au long de mon parcours, jusqu’à ce qu’en prépa je me rende compte qu’on pouvait étudier ça, que c’était une option dans la suite de mon parcours. Ça a été un peu une révélation en me disant « Je ne sais pas trop comment, mais il va falloir que j’arrive à étudier le Moyen Âge de cette façon, à étudier la légende arthurienne en particulier. »
Fanny : Pourquoi un colloque sur Kaamelott a-t-il été organisé et quelles étaient les intentions ?
Justine : Pour plusieurs raisons. D’abord parce que, avec Florian Besson, on est deux grands fans de la série. Ça fait partie de nos intérêts. Ça fait partie aussi de nos sujets de recherche tous les deux puisqu’on travaille à la fois sur le Moyen Âge et sur le médiévalisme, donc sur les résurgences du Moyen Âge dans nos sociétés contemporaines en l’occurrence. Ensuite, il y avait un côté un peu intéressé aussi de vouloir traiter ce sujet en détail avant tout le monde. Il y avait un peu l’idée de pouvoir travailler là-dessus et intégrer une équipe assez vaste parce qu’on sentait bien que Kaamelott, ça nous plaît en tant que fans et que médiévistes, mais il y a aussi énormément de choses qui peuvent être dites et qui peuvent être étudiées dessus d’un point de vue sociologique, d’un point de vue musical, du point de vue de l’alimentation aussi. C’est un programme tellement riche qu’on pouvait se permettre de traiter plein de choses. Donc on a vite lancé un appel pour recruter une équipe motivée. On a été étonnés du nombre de réponses passionnantes. C’était très difficile de choisir. On a eu des sujets qui sont revenus régulièrement notamment sur la place de Rome dans la série même si on n’a vraiment que la dernière saison, le livre VI, qui se passe véritablement à Rome. Mais c’est un sujet qui revient de façon régulière tout au long de Kaamelott. C’est quelque chose qui a beaucoup intéressé les chercheurs. On a des jeunes chercheurs, on a des chercheurs un peu moins jeunes, plus établis dans le monde universitaire. C’était génial de pouvoir avoir tout ce petit monde réuni autour de ce sujet commun pour étudier sérieusement — tu l’as dit on était à la Sorbonne. On a vraiment une approche sérieuse, une approche académique. Étudier de façon sérieuse un sujet qui ne l’est pas toujours.
Fanny : Après ce colloque, comment s’est passée la création du livre ?
Justine : On a voulu publier les actes du colloque, c’est-à-dire les discussions et les conférences qui avaient pu avoir lieu pendant le colloque puisqu’on voulait laisser une trace des discussions et des échanges qui avaient pu avoir lieu et aussi parce que tous les gens qui avaient voulu participer au colloque n’avaient pas pu être là pour diverses raisons. C’était aussi une façon de pouvoir leur transmettre — je ne sais pas si on a pu établir des conclusions sur la série mais en tout cas — les questions qu’on a pu poser. C’est une façon de pouvoir continuer aussi ces débats d’une autre manière pour pouvoir continuer à échanger aussi, que ce soit avec des fans de la série ou avec des chercheurs qui s’intéressent à ces questions parce qu’on est de plus en plus à étudier, que ce soit Kaamelott ou Game of Throne ou des sujets comme ça, sur les séries télévisées ou sur le réinvestissement du Moyen Âge dans la culture populaire. Voilà, c’est aussi une façon de montrer qu’on peut étudier ça de façon sérieuse. Donc on a réussi à publier ces actes, à en faire un ouvrage — dont on est, je dois dire, assez fiers, de façon pas du tout modeste.
Fanny : J’ai eu de la chance de le lire et j’avoue qu’il est vraiment vraiment passionnant. Rentrons un peu dans le gras — pour parler de Kaamelott, on peut dire ça.
Justine : « Le gras, c’est la vie ! »
Fanny : Hé oui ! Alors, Kaamelott, c’est censé se passer à quelle époque ?
Justine : Vaste sujet ! La série précise que ça se situe au Ve siècle de notre ère. Mais effectivement, malgré ces indicateurs temporels affichés, on a énormément de signes contradictoires dans la série qui font de Kaamelott un condensé temporel. On a plusieurs siècles qui se réunissent, qui se mélangent, qui parfois se piétinent un petit peu, de façon plus ou moins violente, que ce soit par des personnages réels — l’évêque Boniface ou des personnages qui ont réellement existé — ou que ce soit par des personnages fictifs : on a une sorte d’avatar de Robin des bois qui apparaît dans la série. Cet amalgame temporel, j’ai envie de dire, est propre à la légende arthurienne de toute façon. Si un roi Arthur a existé — un grand « si » —, il est probable qu’il ait existé justement à cette période de jonction entre la fin de l’Antiquité et le début du Moyen Âge, donc on le situe souvent entre le Ve et le VIe siècle. Mais les textes qu’on a conservés et ceux qui ont eu cette popularité par la suite datent du XIe et surtout du XIIe siècle, que ce soit avec Geoffroy de Monmouth ou avec Chrétien de Troyes, et après on a toutes ces réécritures au XIIe, XIIIe, jusqu’au XVe avec Thomas Malory. On a des auteurs qui parlent d’un roi Arthur possible qui est censé avoir vécu au Ve ou VIe siècle mais qui, eux, le décrivent avec leurs codes du XIIe ou XIIIe siècle. Ça veut dire que dès son apparition dans la littérature, Arthur est déjà cette figure qui mélange un peu toutes les temporalités et ça, ça va être repris par la suite dans toutes les réécritures jusqu’au XXe, XXIe siècle. On a un roi Arthur qui s’adapte, qui est adapté en l’occurrence à ce qu’on attend de lui à notre époque.
Fanny : Est-ce qu’on peut dire que Kaamelott est une série historique ?
Justine : Tout dépend ce qu’on entend par « série historique ». Si c’est au sens de period drama, où on réalise une série télévisée avec des personnages en costumes, oui on a une série historique. Ensuite, on n’est pas là dans une optique d’approche documentaire, clairement. Le but, ce n’est pas de faire un cours sur le Moyen Âge ou sur ce qu’aurait pu être le roi Arthur. C’est vraiment un programme de divertissement avant tout, mais qui se situe dans un cadre médiéval fictif. C’est ce qu’on appelle le médiéval fantastique aussi puisque, certes on a des chevaliers, mais on a aussi des dragons et des créatures fabuleuses. On est, de toute façon, dans un monde en dehors de nos codes réels. En ce sens-là, ce n’est pas une série historique qui représenterait la réalité médiévale mais c’est une série historique qui s’appuie sur l’image que l’on peut avoir du Moyen Âge.
Fanny : Est-ce qu’on sait si, pour la série, Alexandre Astier s’est entouré de personnes qui l’ont conseillé du point de vue médiéval ?
Justine : Oui, mais pas forcément dès le tout début de la série. Il y a des choses qui ont été faites progressivement. On le voit, par exemple, dans la façon dont les costumes ou les armures des personnages évoluent : entre le livre I — où on a tous les chevaliers autour de la Table ronde avec leurs armures qui clinquaillent un peu et qui font ce bruit assez spécifique — et ce qu’on a dans le livre V — avec tous les chevaliers qui, désormais, ont des tuniques beaucoup plus légères avec du tissu —. On a laissé tomber les armures de plates. On voit qu’il y a une réelle évolution. On a en réalité une tentative d’approcher de plus en plus une réalité historique mais qui s’est faite au fur et à mesure dans la série, pas dès le premier épisode.
Fanny : Si on rentre encore un peu dans le détail, la géographie et l’histoire comme tu l’as dit semblent assez floues, dans l’univers de Kaamelott, même si on a quelques références qui semblent assez exactes, comme les invasions vikings ou la fin de la domination de l’Empire romain. Kaamelott se situe où ? C’est en Angleterre ? C’est en Bretagne ?
Justine : Ce qu’on voit dans Kaamelott, c’est le royaume de Logres qui s’étend sur ce qu’ils appellent l’île de Bretagne, ce qu’on appellerait aujourd’hui l’Angleterre, ou le Royaume-Uni, ou la Grande-Bretagne puisque la place de l’Irlande est toujours un petit peu à part dans la pensée médiévale puisqu’on a cette mer entre deux, et qui fait que l’Irlande est parfois assimilée à une terre un peu mystique, parfois assimilée à Avalon : ce monde presque des morts, un monde des esprits, en tout cas. Donc en fait, il est possible qu’Arthur, qui est parti pour son repos éternel à Avalon, est juste en Irlande, on ne sait pas après tout ! [rire de Fanny] Donc on a le royaume de Logres qui constitue cette île avec plus ou moins l’Irlande qui est inclue dans la série et on a aussi ce qu’on appellerait l’Armorique, ce qu’on appelle nous aujourd’hui notre Bretagne à nous. On a tout ce territoire-là sachant qu’Arthur est également allié avec des seigneurs ou des ducs qui sont installés en Gaule : on a le duc d’Aquitaine qui apparaît à plusieurs reprises dans la série et qui permet de voir l’influence d’Arthur — il le dit lorsqu’il s’adresse à sa mère : « Le royaume de Logres s’étend jusqu’à là-bas en Aquitaine et ils sont tellement loin que j’arrive jamais à savoir ce qu’ils foutent. » [rire de Fanny] On a cette idée d’un royaume dirigé depuis ce qu’on appellerait l’Angleterre, mais qui s’étend presque jusqu’aux Pyrénées, ce qui est quand même un assez grand territoire à gérer, je pense, pour une seule personne.
Fanny : Les personnages féminins aussi sont très diversifiés dans Kaamelott, c’est-à-dire qu’on a autant Séli, la femme de Léodagan, qui semble être une invention d’Alexandre Astier. On a Guenièvre bien sûr, mais on a aussi des femmes de plus basse extraction : des servantes, des paysannes. Est-ce que c’est une vision de la femme qui s’approche de la société médiévale ?
Justine : Au sens où, au Moyen Âge, effectivement, on avait des reines mais aussi des paysannes, oui. Ensuite, ce qui n’est pas forcément facile à savoir, c’est que les femmes, pendant toute la période médiévale, ont un accès restreint à la parole, que ce soit la parole politique ou la parole littéraire. Ce qui nous reste du Moyen Âge, c’est avant tout les écrits — outre bien sûr toutes les traces archéologiques. Cette place de la femme est toujours un petit peu en retrait, même si on a de plus en plus d’études qui tendent à valoriser ces figures féminines, que ce soient des figures féminines extrêmement connues comme Aliénor d’Aquitaine ou des personnages comme ça, ou des personnages féminins beaucoup moins présents dans la sphère politique, mais qui constituent une part essentielle de cette société médiévale. Dans ce sens, Kaamelott, oui, est représentatif puisqu’on a des femmes de nobles et de basse extraction qui ont elles aussi, après tout, un rôle très limité du point de vue de la gestion du pouvoir, même si le personnage de Guenièvre s’affirme de plus en plus dans la série. On a des personnages assez forts, comme Séli qui se présente comme un chef d’État officieux, ce qui sidère un petit peu Léodagan. On a tous ces aspects-là. Je pense notamment à tous les personnages de maîtresses d’Arthur ; dans la littérature médiévale on ne nous parle jamais véritablement de maîtresses du roi.
Il faut savoir que dans la série, les personnages de maîtresses n’étaient pas conçus à l’origine dans les tout premiers projets de la série. Ces personnages ont été une demande de la part des différentes sociétés de production qui ont permis de créer Kaamelott. Ils souhaitaient développer davantage de personnages féminins, puisque si on regarde autour de notre chère Table ronde, on a quand même un grand nombre de personnages masculins, que ce soit le roi, ses chevaliers, Merlin, etc. C’était une volonté de créer davantage de personnages féminins, volonté qu’Alexandre Astier a interprétée en intégrant ces personnages de maîtresses. De même, on a eu des personnages de chevaliers plus jeunes qui ont été créés. C’est le cas d’Yvain et Gauvain qui ont été créés pour plaire davantage à un public plus jeune. Quand on regarde les premiers livres, notamment avec le personnage d’Yvain, qui est présent très rapidement, c’est un véritable ado qui ne veut pas se lever, qui ne veut pas mettre ça parce que « c’est vraiment trop nul ». Des personnages ont été créés pour satisfaire et accrocher un public plus large dès le début de la série.
Fanny : Si on parle des personnages justement, qu’est-ce qu’il y a de similaire entre le Arthur de Kaamelott et le Arthur de la légende arthurienne ? Même si, tu l’as dit tout à l’heure, la légende arthurienne peut changer d’un texte à l’autre, il y a quand même, j’imagine, des caractères un peu généraux qu’on peut retrouver partout.
Justine : On a plusieurs facettes du roi Arthur dans la légende médiévale — les légendes médiévales, mêmes. Les auteurs ont généralement réussi à les concilier en montrant qu’on a différentes facettes d’Arthur aux différents moments de sa vie. On a le Arthur guerrier, le grand roi et héros qu’on peut retrouver aujourd’hui dans pas mal de films, qui serait la période de la jeunesse d’Arthur, qu’on va retrouver dans l’histoire des rois de Bretagne ou dans une certaine mesure dans Le Morte d’Arthur de Thomas Malory. On a aussi après une vision beaucoup plus tardive du roi Arthur qui est un roi Arthur qu’on décrit comme pensif chez Chrétien de Troyes. On dirait aujourd’hui presque dépressif. Oui, oui, on a ça dans la littérature médiévale chez Chrétien de Troyes, où on a un roi Arthur de second plan puisqu’il n’est plus le héros. Les héros sont Lancelot, Perceval, Yvain qui vont, eux, partir à l’aventure tandis qu’Arthur reste dans son château, par définition. Quand Guenièvre est enlevée, il ne peut pas aller la sauver. C’est Lancelot qui doit aller la récupérer. On a ces différentes facettes d’Arthur en fonction de son âge. L’intérêt de Kaamelott, c’est aussi qu’on retrouve ces différentes facettes dans le personnage d’Arthur. C’est une réinterprétation, mais qui fonctionne. On se retrouve avec Arthur qui est ce héros, ce guerrier — on le voit combattre régulièrement, on le voit avoir un rôle politique affirmé, il consolide la constitution avec les clans —, mais — il le dit : « Quelqu’un comme moi, qui ai facilement tendance à la dépression » — on le voit dans les livres V et VI, il est ce roi qui a baissé les bras et qui ne croit plus en rien, jusqu’à la fin du livre VI, où on espère maintenant au cinéma qu’on aura ce retour héroïque d’Arthur. Kaamelott arrive à réorganiser ces différents aspects de la littérature médiévale dans un personnage auquel on croit. Qu’il ait existé ou pas, ça marche.
Fanny : Qu’est-ce que tu penses plus largement de la réécriture qu’est Kaamelott ? C’est une question un peu générale, mais par exemple, avec le personnage de Lancelot, avec l’histoire de Guenièvre, là c’est quand même un peu différent de la légende arthurienne.
Justine : C’est un petit peu différent. [rire] En effet, on a toujours cette escapade de Lancelot et Guenièvre qu’on avait chez Chrétien de Troyes dans Le Chevalier de la charrette où Guenièvre a été enlevée. Lancelot vient la sauver, en profite par la même occasion pour vivre une idylle avec elle dans ce royaume adjacent au royaume d’Arthur. Ensuite, Lancelot ramène Guenièvre à la cour. On va dire que globalement tout est bien qui finit bien tant qu’Arthur n’est pas trop conscient de ce qui s’est passé ailleurs. Dans Kaamelott, effectivement, c’est très différent au sens où Lancelot s’en va. C’est Guenièvre qui le rejoint volontairement cette fois, mais cette idylle n’est jamais consommée. Ça s’achève assez difficilement pour les deux personnages avec cette radicalisation, par la suite, de Lancelot qui est véritablement manipulé par le personnage de Méléagant qui est, encore une fois, réinterprété par Alexandre Astier puisque Méléagant est présent dans les textes médiévaux, toujours chez Chrétien de Troyes d’ailleurs, mais chez Chrétien de Troyes, Méléagant a davantage une influence sur le personnage de Guenièvre, puisque c’est lui qui va l’enlever et pas directement sur Lancelot. Ils combattent par la suite mais ça reste limité.
Fanny : Est-ce qu’on peut dire que la série de Kaamelott suit la trame et les péripéties de la légende arthurienne ? Est-ce que pour ça la série est fidèle ?
Justine : La série réinterprète la trame, sachant que, encore une fois, on a plusieurs trames en fonction des différents textes mais on retrouve des éléments clés : l’extraction de l’épée Excalibur par Arthur, on retrouve cette idylle un petit peu compliquée entre Lancelot et Guenièvre. On retrouve des éléments clés comme ça mais que ce soit la description en détail de la jeunesse à Rome d’Arthur ou cette façon dont l’idylle entre Guenièvre et Lancelot échoue pitoyablement j’ai envie de dire, ou le rôle de Méléagant, tout ça sont des interprétations nouvelles mais à partir d’éléments crédibles puisque Alexandre Astier s’appuie sur des éléments en germe dans la littérature médiévale ou dans des réinterprétations beaucoup plus récentes pour en faire quelque chose à sa manière. Si on prend le personnage de Perceval, par exemple, qui est un des personnages préférés des fans de la série, on a le personnage qui est un idiot — un idiot adorable — dans la série.
Fanny : Certains diraient un génie parce qu’il a parfois des éclairs de génie.
Justine : Il a parfois des éclairs étonnants, effectivement. Mais ces éléments sont déjà présents en germe dans la littérature où on a tout un passage où Perceval, ce n’est pas véritablement sombre dans la folie, mais en tout cas oublie qui il est et oublie sa quête, c’est-à-dire la quête du Graal et la mission divine qui lui a été confiée. Il oublie tout ça pendant — je crois — 5 ans, jusqu’à ne plus savoir quel jour on est, etc. Et on se retrouve dans Kaamelott avec un personnage qui est tellement niais qu’il en oublie son nom, il confond tout. Il a toutefois un rôle essentiel auprès d’Arthur. On en parle dans le livre Kaamelott, un livre d’histoire : sur ce rôle de Perceval, du point de vue de la narration, on a tous ces épisodes sur la Poétique où il essaye désespérément de raconter une histoire et Arthur essaye de lui expliquer sauf que c’est Perceval donc c’est très compliqué à comprendre pour lui. [rire de Fanny]
On a aussi un rôle qui s’approcherait davantage du fou ou du bouffon qu’on pourrait avoir beaucoup plus tardivement dans l’histoire. Ce personnage est un petit peu à part, mais est essentiel auprès du roi parce qu’il va lui dire la vérité, à sa façon. Il va faire rire aussi. Il va provoquer tous ces sentiments. Mais c’est un des seuls à dire la vérité. On le voit d’ailleurs dans Kaamelott : on a, certes, le Perceval qui fait extrêmement rire — et qu’on adore aussi pour ça —, mais on a aussi ce Perceval extrêmement touchant qui est le plus loyal à Arthur, que ce soit lorsqu’il s’enferme dans un tonneau parce qu’il refuse que Karadoc aille essayer de retirer l’épée du rocher, ou que ce soit à la fin avec cette conscience de Perceval qui dit à Arthur : « Non mais il faut pas nous écouter, vous savez bien qu’on est des cons. » [rire de Fanny] On a un côté très socratique de Perceval qui sait qu’il ne sait pas qui fait que le personnage est à la fois touchant et fascinant à ce niveau-là.
[Extrait audio de Kaamelott, Livre IV, épisode 95]
Fanny : Dans l’épisode sur l’évêque Germain avec Clara, on a parlé des Burgondes et de la
représentation des Burgondes un peu caricaturale dans la série. Est-ce qu’on sait pourquoi les Burgondes ont été représentés ainsi ?
Justine : Ce Burgonde reprend certains codes de la représentation du barbare dans un sens très général. Je m’appuie notamment sur les travaux de Bruno Dumézil qui est spécialiste de ces questions de barbares et de leur évolution dans les représentations qu’on a pu conserver. En fantasy, on a toujours tendance à représenter le barbare : c’est Conan. C’est le personnage extrêmement fort, extrêmement musclé avec les cheveux longs, généralement torse nu : ce côté viril, au sens de musculature poussée à l’extrême. Mais on a aussi une facette du barbare qui est le personnage qui n’est absolument pas civilisé, qui va manger à outrance ou boire à outrance, d’où ce physique extrêmement rond de notre roi burgonde et qui est un personnage qui ne sait pas se tenir à table, qui a des pratiques très dérangeantes pour la société civilisée qui le voit. On est dans cette logique de mépris de l’autre qui est différent. On a cette représentation qui est reprise dans Kaamelott sachant qu’on a aussi des interprétations qui viennent de directives de mise en scène au dernier moment ou d’interprétations de l’acteur Guillaume Briat. J’en profite pour saluer cet interprète du roi burgonde, Guillaume, qui est absolument adorable et un excellent roi burgonde. On a par exemple tout le dialecte qu’on a peut avoir du roi burgonde : « troupascaya » ou des trucs comme ça [rire de Fanny], qui sont un peu des improvisations de l’acteur à ce moment-là qui tente de représenter un roi burgonde absolument cinglé. On ne sait pas du tout ce qu’on va faire avec ces œufs pour jouer. C’est la représentation du Burgonde au sens de l’ennemi dérangeant parce qu’on ne sait pas trop quoi en faire. On a beaucoup de mal à communiquer. C’est un peu la même chose avec la représentation d’Attila dans la série. On dit que là où il passe, l’herbe ne repousse pas, mais bon « Il y a pas d’herbe dans la salle du trône ». C’est un personnage, on ne sait pas trop ce qu’il veut, on ne sait pas trop comment on peut communiquer avec. Pour les négociations de paix, on peut lui faire signer tous les traités de paix qu’on veut, il ne comprend pas ce qu’il signe. C’est cette représentation qui prend un peu tous les codes de l’ennemi dérangeant parce qu’on ne sait pas trop quoi en faire.
Fanny : On est d’ailleurs d’accord qu’Attila c’est, pour le coup, un énorme anachronisme totalement incompréhensible ?
Justine : Oui, mais c’était aussi une façon de pouvoir intégrer cet acteur qui avait joué à plusieurs reprises avec Alexandre Astier. C’était aussi une façon de lui donner un rôle assez fascinant parce que c’est un personnage qu’on n’attend pas dans un milieu médiéval autour du roi Arthur. On a un choc des cultures un peu ici. On se retrouve avec ce décalage extrêmement risible de ce grand guerrier terrifiant qui arrive tout seul avec un Hun [rire de Fanny] dans la salle du trône et qui repart avec de la viande de cerf marinée au miel et qui aurait peut-être volé deux cuillères mais c’est tout. On a vraiment une façon de jouer sur les attentes qu’on a tous : le roi Arthur doit être un grand roi, Attila doit être un grand guerrier. Là, pas tant que ça.
Fanny : Et dans le livre, qu’est-ce qu’on retrouve d’autre comme thématiques qui sont abordées par les spécialistes ?
Justine : On a essayé de proposer un panorama assez large même s’il y aurait encore beaucoup à dire sur la série. On parle à la fois de la représentation de certains personnages, comme Perceval, qui nous a beaucoup occupés, ou le personnage d’Arthur, forcément, qui est essentiel, notamment au niveau de cet entre-deux entre Rome et la Bretagne. On parle de la justice. On parle de la musique, l’art aussi à Kaamelott, que ce soit la peinture, la sculpture, la construction de cathédrales, ou des pyramides en sapin aménagées en maisons de passe. On parle du jeu aussi : on a eu toute une discussion fascinante sur les règles du Sloubi ou du Pélican, tous ces jeux qui fascinent Perceval. On parle de nourriture aussi : savoir si au Moyen Âge, on mange plus comme Karadok à manger de la barbaque à tous les repas ou est-ce qu’on mange comme le maître d’armes — manger plus ou moins des graines ? On a essayé d’aborder ces différents aspects en s’appuyant sur ce que nous donne la série, principalement la série, on a aussi intégré les bandes dessinées, notamment pour pouvoir parler de tout ce qui est représentations des animaux et des dragons puisqu’on en parle beaucoup dans la série mais on voit très peu tous ces éléments difficiles à contrôler. On a parlé de beaucoup de choses. On s’est beaucoup amusés aussi pendant le colloque. Ça a été très agréable de pouvoir travailler sérieusement et avoir des discussions vraiment approfondies tout en s’appuyant sur quelque chose qui nous plaît. C’était véritablement un plaisir de pouvoir travailler sur ça. On a lancé des discussions. Il y a encore beaucoup de choses à dire mais on espère que ça pourra aussi entraîner d’autres débats ou d’autres questions, que ce soit sur la série ou sur d’autres, pour montrer qu’on peut travailler sérieusement, et avec du fond, avec de la profondeur, sur des sujets qui apparemment sont des sujets de divertissement mais tellement bien construits dans le cas de Kaamelott que ça aurait été bête de s’en priver.
Fanny : J’espère, chers auditeurs et auditrices, que cet épisode vous a intéressés autant que moi et que, comme moi, vous n’avez qu’une envie, c’est d’aller revoir tous les épisodes de Kaamelott. Alors merci beaucoup Justine Breton.
Justine : Merci à toi.
Fanny : Je vous conseille la lecture du passionnant ouvrage Kaamelott, un livre d’histoire qui est sorti aux éditions Vendémiaire. Je remercie Binge Audio pour le matériel d’enregistrement. Je vous dis à très bientôt pour un prochain épisode ou un prochain hors-série de Passions Médiévistes.
Justine : « C’est pas faux ! »
[Extrait audio de Kaamelott, Livre III, épisode 50]
Merci énormément à Youna et Bobu pour la retranscription !