Les hors-sériesPassion Médiévistes Les épisodes retranscrits

Hors-série 4 – Les cartes, les ichtus fous et l’oiseau du roi

Un hors-série particulier sorti début avril 2018

Pour ce nouvel hors-série de Passion Médiévistes je vous propose des rencontre avec trois jeunes médiévistes qui ont fait le choix de réétudier sous un autre angle des sujets classiques de l’histoire médiévale. Au menu : les bestiaires et les cartes, la fin de l’ordre des Templiers et le roi Charlemagne.

Un conseil, écoutez bien cet épisode jusqu’à la fin…

Transcription de l’épisode hors-série 4 (cliquez pour dérouler)

[Introduction] Bonjour à toutes et à tous. Pour ce nouvel hors-série, je vous propose des rencontres avec trois jeunes médiévistes qui ont fait le choix de réétudier sous un autre angle des sujets classiques de l’histoire médiévale. Avec eux, je vais parler des bestiaires, de la fin de l’Ordre des Templiers et du roi Charlemagne. Soyez très attentifs, je vous en dis plus à la fin. Bonne écoute.

 

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[Fanny Cohen Moreau] Ingrid Sirop, tu travailles sur une thèse sur la bestialité et l’économie du divertissement du XIIe au XVe siècle dans le Saint Empire Romain-Germanique, et tu me racontais que pendant ton dernier voyage en Allemagne, tu as fais des recherches sur un fond d’archive qui était jusqu’à présent assez inexploré.

 

[Ingrid Sirop] Alors effectivement, j’ai étudié pendant six mois à Stuttgart, et j’ai profité de ma visite dans le petit monastère de Maulbronn pour explorer leur bibliothèque qui recèle de pas mal de manuscrits assez précieux, dont celui sur lequel j’ai eu la chance de tomber, qui serait la traduction latine d’un manuscrit rapporté par Marco Polo depuis un de ses voyages en Chine. Le manuscrit originel, qui a malheureusement été perdu, daterait de la fin du XIIIe siècle, et la traduction sur laquelle j’ai pu travailler date du XIVe.

 

C’est un bestiaire assez original, parce que contrairement à la classification qui a été établie par Isidore de Séville, qui date à peu près du VIe siècle, où on classait plutôt les créatures selon qu’elles soient des animaux domestiques, des animaux sauvages, des oiseaux, des serpents, des poissons – on avait aussi des insectes, un peu, rangés par-ci par-là – ici on a une classification assez singulière parce que les créatures sont classées selon les éléments, donc on a des créatures de l’eau, des créatures du feu, des créatures des plantes.

 

Parmi celles-ci, on retrouve des dragons, des licornes, des phénix, comme on peut avoir dans d’autres bestiaires, mais la classification et la spécification de ces créatures en font un bestiaire assez original. Et également aussi du fait de ses origines, on ne lit pas des métaphores christiques comme on pouvait avoir dans les bestiaires occidentaux. Ici, on peut quand même y lire certains préceptes de philosophie chinoise. Donc, par exemple, comme dans le taoïsme, les animaux représentent beaucoup de choses, on peut dire qu’ils représentent un peu l’équilibre qu’ils créent dans le monde avec les humains.

 

[Fanny Cohen Moreau] Et à part ce manuscrit, tu m’as dit que tu travailles aussi sur des sources qui sont finalement moins évidentes mais très intéressantes comme miroir de la société médiévale que sont les jeux de cartes.

 

[Ingrid Sirop] Alors effectivement, il y a une expo qui a eu lieu à la BNF (Bibliothèque Nationale de France) il y a pas si longtemps, qui tournait autour des jeux au Moyen Âge, et donc ça a été l’occasion pour moi de découvrir un jeu de cartes en apparence assez classique avec des illustrations – donc dans ce cas-là des créatures – et un schéma assez classique de jeu de cartes avec un chiffre, un dos coloré illustré assez travaillé, mais j’ai pu retrouver sur ce jeu de cartes des créatures que j’avais découvertes dans le manuscrit dont on vient de parler.

 

Et également, ce qui fait la singularité de ce jeu de cartes, c’est qu’on y trouve également une petite phrase en plus qui correspondrait à une capacité de la créature, une sorte de pouvoir, qui est en plus associée à un chiffre également. Et il semblerait que c’était un des jeux auxquels on jouait dans les maisons de jeu au XIVe siècle. Donc les maisons de jeu, ça c’est beaucoup développé à cette période-là, c’était très fréquenté par le bas peuple qui jouait à des jeux de dés, mais aussi à des jeux de cartes. En revanche, les règles sont encore assez mal connues, mais de ce que j’ai pu établir, en recoupant mes sources, c’est un jeu assez simple, au tour par tour, où on doit faire perdre ses cartes à son adversaire, donc j’imagine grâce au système de points associés aux pouvoirs.

 

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[Fanny Cohen Moreau] Jean-Eudes Morris, donc tu es en Master 2 à Paris 4 – La Sorbonne, et actuellement, tu es aussi en Erasmus à Viennes, et donc tu travailles sur un sujet qui pourtant est assez traité, les Rois Maudits, mais tu travailles plus précisément sur une réinterprétation de la fameuse légende de la malédiction des Rois Maudits, qui aurait été prononcée par le Grand Maître des Templiers Jacques de Molay.

 

[Jean-Eudes Morris] Oui, tout à fait. En fait, moi j’ai toujours été intéressé par les dessous de l’Histoire, les moments un peu mystérieux derrière la grande Histoire “avec un grand H”, et à l’Université de Miskatonic de Vienne, j’ai la chance de pouvoir étudier ces aspect-là des Rois Maudits, de l’histoire des Rois Maudits en tout cas. Et pour ceux qui ne le savent pas, on va faire un petit debrief rapide. L’histoire de la malédiction, en fait, débuté tout simplement lorsque le Roi de France Philipe le Bel accuse Jacques de Molay, le Grand Maître des Templiers de l’époque, de manquement à la charité, de comportement dépravé et, beaucoup plus grave, de pratiques hérétiques, et après des mois de manœuvre dans le but de dissoudre l’ordre qu’il trouvait dangereux pour son règne, il a finit par obtenir la condamnation de de Molay, qui terminera sur le bûcher le 19 mars 1314 où, dans un dernier souffle, il va maudire le Pape et les Rois de France sur 13 générations.

 

[Fanny Cohen Moreau] Et effectivement, on a bien vu que le Pape Clément V est mort quelques jours après d’étouffement, que Philippe le Bel est mort quelques mois plus tard dans son sommeil, il me semble. Et ensuite, ses trois fils sont morts, ils ont pas laissé de descendance mâle, et donc ça a été la fin des capétiens. Mais tu parlais de pratiques hérétiques, qu’est-ce que tu veux dire par là ?

 

[Jean-Eudes Morris] En fait, j’ai beaucoup enquêté sur ces fameuses pratiques hérétiques dont était accusé Molay, et durant mes recherches, je suis tombé plusieurs fois sur un nom, celui d’un livre, le Necronomicon.

 

[Fanny Cohen Moreau] Le quoi ?

 

[Jean-Eudes Morris] Le Necronomicon. En fait, c’est un ouvrage secret qui renfermerait le savoir plus ou moins maléfique d’entités extra-dimensionnelles appelées Grands Anciens.

 

[Fanny Cohen Moreau] Ah ouais !

 

[Jean-Eudes Morris] Donc ouais ouais, c’est un peu bizarre dit comme ça. En fait, il aurait été écrit par Abdul al-Hazred, qui aurait vécu sous le règne des Califes omeyyades aux alentours de 700-730 après Jésus-Christ. Donc on trouve des allusions au Necronomicon dans des échanges épistolaires secrets entre les templiers Jean Adhémar et Émery de Coupiat, qui sont des proches de Jacques de Molay, et j’ai pu recouper un certain nombre d’informations qui me permettent aujourd’hui d’affirmer, avec un certain recul scientifique quand même de rigueur, que le grand maître des Templiers a fini par avoir en sa possession le Necronomicon, qu’il appelait alors le Kitab al Azif, le Livre du Bruit.

 

[Fanny Cohen Moreau] Et comment tu as travaillé pour avoir de telles informations ?

 

[Jean-Eudes Morris] Et bien en fait, j’ai eu la chance de rencontrer, durant une conférence aux États-Unis, un passionné d’histoire médiévale qui s’appelle Charles Dexter Ward, un fameux historien américain, qui depuis est devenu un ami, et c’est en parti grâce à lui que j’ai entrepris mes recherches. Il m’a mis en relation avec certaines personnes, qui voulaient conserver l’anonymat, mais qui possédaient une quantité phénoménale de documents originaux, qui attestent complètement cette théorie.

 

En fait, ce qui se passe avec Jacques de Molay, selon ces sources, c’est qu’il met la main sur le Kitab dans une crypte au sud de Chypre, aux alentours de 1298, et à partir de cette découverte, beaucoup de textes vont rapporter un véritable changement dans le comportement du grand maître. Selon les lettres d’Adhémar – qui était, comme je disais, un templier proche de de Molay – il était de plus en plus distant, irascible, voire nihiliste et violent, et il passait des journées entières à dévorer le livre. Il avait vraiment cette obsession qui revenait régulièrement de vouloir construire un temple, mais pour un culte très différent de la religion chrétienne, pour ce qu’il appelait “Le Vrai Savoir”. Il aurait fini par le construire, ce temple, on ne sait pas où, ça reste encore un mystère aujourd’hui, mais une des seules allusions dont on a de ce temple, c’est dans le journal d’Adhémar, qui aurait visité ce lieu. Pour le décrire, voici les termes qu’il emploie, je vais essayer de le faire en rendant justice au texte :

 

Rien dans ce lieu ne ressemble à ce qu’il devrait. Géométrie impossible, obscure clarté

et couloirs labyrinthiques. Entrer dans le temple, c’est abandonner tout espoir. Ces hommes prétendent prier le vrai Dieu, mais ce qui vit dans ce lieu maudit est l’inverse du divin.

 

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[Fanny Cohen Moreau] Alors Marie Nicolas, dans ton mémoire « La poule, un facteur inconnu de la puissance de l’empire carolingien », tu analyses des choses assez novatrices, est-ce que tu peux m’en dire plus ?

 

[Marie Nicolas] Alors oui, en effet, je suis passionnée de Charlemagne depuis ma plus tendre enfance. J’ai tenté de découvrir, du coup, la source dans laquelle ce grand empereur puisait sa force et sa puissance. Et après de longues années de recherches, des nuits sans sommeil, je pense pouvoir affirmer, aujourd’hui, avec certitude, que compte tenu de la grande ressemblance qui les lie, Charlemagne a tenté de suivre le trait de caractère de l’animal qu’il redoutait et qu’il admirait le plus, j’ai nommé : la gallus gallus domesticus, la poule.

 

Alors Fanny, je pense que toi aussi, tu as déjà remarqué que la poule a été, vraiment, la muse de Charlemagne. Parce que voilà, ils ont des points communs. C’est-à-dire que la poule, c’est un animal incroyable, quand on la voit dans une basse-cour. Elle est fière, elle est arrogante, elle a des belles plumes de couleur de feu, comme ça qui flamboient au soleil. Et d’ailleurs, Charlemagne est extrêmement inspiré par la couleur de feu, comme ça, de cet animal, et c’est là qu’il va faire pousser sa fameuse barbe. En hommage à la poule, il va avoir une énorme barbe rousse, comme ça, qui brille au soleil, et qui lui fait vraiment ressembler de plus en plus à gallus gallus domesticus.

 

Alors, pourquoi Charlemagne se passionne vraiment pour les poules, c’est difficile à dire. Notons en tout cas que c’est sous Charlemagne que l’élevage de poules se développe dans l’histoire de l’humanité par le biais d’un capitulaire, dans lequel il impose la domestication des poules au sein des familles aristocrates et chez les plus pauvres, et donc il y avait des poules d’élevage, et également des poules d’apparat, des poules de salon. Et Charlemagne, également, on sait qu’il va montrer à tous sa passion pour la poule à travers une autre de ses passions, qui est la chasse. Charlemagne construit Aix-la-Chapelle sur un lieu où on trouve énormément de gibier pour pouvoir chasser comme il l’entend et, dans les grands jardins d’Aix-la-Chapelle, le soir au coucher du soleil, vraiment, ou le matin dès potron-minet, ça dépendait, il organisait des lancers de poules pour faire la chasse à poule. C’est-à-dire, il y avait des chevaliers de Charlemagne qui lançaient des poules en l’air, comme ça, et Charlemagne tirait dessus avec des flèches en hurlant « POULE », comme ça, et c’est de là que vient le fameux  « POULE » – PAN ! Voilà. Et la poule tombait.

 

Alors imagine, Fanny, ça devait être quelque chose d’incroyable, Charlemagne, comme ça, avec sa longue barbe, avec ses pétales de géranium – en plus, l’empereur a la barbe fleurie, donc il avait des pétales de géranium coincés dans la barbe. Alors là, si tu veux plus de détails là-dessus, il faudrait que tu contactes Yliase, d’un podcast que je ne citerai pas, mais qui avait fait tout une thèse sur la passion de Charlemagne pour les géraniums et les ficus. Voilà, très très belle thèse qui m’a beaucoup inspirée dans l’écriture de mon mémoire.

 

Alors, je ne me suis pas basée seulement sur d’autres travaux d’historiens pour écrire ce mémoire. Je me suis également basée sur des témoignages écrits, notamment la Vita Karoli Magni d’Éginhard, dans lequel ce grand homme nous retranscrit les derniers mots de Charlemagne – témoignage très émouvant – à Roland, lors de la bataille de Roncevaux. Charlemagne avait l’accent du sud. C’est marrant, c’est très peu connu ça, mais il avait un accent vraiment du sud, très prononcé, et dans un soucis de transparence historique, je vais donc, avec l’accent du sud, te citer le dernier discours de Charlemagne à Roland. Donc imaginez, on est en pleine bataille de Roncevaux, c’est un peu une situation délicate et compliquée pour Charlemagne et ses amis, et donc Charlemagne se tourne vers Roland et lui dit :

 

Fichtre Roland, ils nous encerclent, nous sommes comme une poule qui a trouvé un couteau. Bon sang l’ami, tu as la chair de poule ? Fonce dans le tas, ne fais pas ta poule mouillée. Et si tu meurs, Roland, tu verras que dans très longtemps, quand les poules auront des dents, ton nom sera inscrit au panthéon des héros.

 

Alors, faut voir deux choses. C’est que non seulement Charlemagne ne s’est pas trompé, car Roland est effectivement aujourd’hui considéré comme un grand héros français, et en plus, grand nombre de références à la poule, à ce glorieux animal, sont faites lors de ce discours. Et enfin Fanny, si tu n’es pas convaincue, je te dirai une chose, c’est que très récemment, à Aix-la-Chapelle, nous avons découvert la tombe et le sarcophage de Charlemagne. Et, sur le couvercle du sarcophage, a été gravé, probablement à la demande de l’empereur, « Gallinam fecis, gallinam fecis, videbis melius erit ». Ce qui veut dire, « Fais la poule, fais la poule, tu verras ce sera plus cool ».

[Conclusion] Bon, vous vous en êtes peut-être rendu compte, mes invité‧es tenaient parfois des propos originaux, voire farfelus, et effectivement, tout n’était pas très exact. Pourtant, beaucoup de choses étaient vraies. Maintenant, c’est à vous, les auditeurs, de jouer en faisant quelques recherches. Qu’est-ce qui était vrai ? Et qu’est-ce qui était faux ? Merci à Karen, Flash T et Camille pour leur imagination et leur complicité, et à bientôt pour un prochain épisode de Passion Médiévistes.

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Pour en savoir plus sur les sujets évoqués, voici quelques liens :

Merci à Karen, Flash T et Camille !

Merci à Élise pour la retranscription et Ilan pour la relecture