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Épisode 46 – Maud et la France anglaise

Comment les Anglais voyaient la langue française et les Français au cœur de la guerre de Cent Ans ? Découvrez la France anglaise !

Portrait de Maud Dumora
Portrait de Maud Dumora

Maud Dumora-Bordessoules a soutenu un mémoire de recherches en études littéraires à l’Université Bordeaux Montaigne et a étudié un texte du XIVème et XVème siècle intitulé Les Manières de langage. Il s’agit d’un manuel de conversation en français rédigé par des Anglais à destination d’un public anglais.

Elle travaille non seulement sur la méthode du manuel mais aussi sur la représentation des Français et de leur langue d’après une écoute et un regard anglais. Maud s’intéresse également à l’hybridité intrinsèque de ce texte qui prend notamment la forme d’un imaginaire d’une France anglaise. Elle a travaillé sur trois versions différentes du manuscrits, celles de 1396, 1399 et 1415.

L’histoire du français en Angleterre

La langue française s’est imposée en Angleterre dès 1066 lorsque Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, prit la couronne d’Angleterre, amenant avec lui des notables normands sur le sol anglais. Le français devient alors la langue de l’élite, de la culture et du prestige en Angleterre.

Jusqu’au XIIIe siècle, les émigrés normands perpétuent le français à leur descendance non seulement par tradition mais aussi en raison de leurs attaches sur le continent. Or en 1204, l’Angleterre se voit retirer la Normandie de son pouvoir par Philippe Auguste, roi de France. Cette perte de la Normandie est un tournant dans l’histoire de l’Angleterre mais aussi dans celle de la langue française puisque dorénavant, coupée de tout contact direct avec le français du royaume de France, elle évoluera de manière indépendante. On ne parle donc plus anglo-normand mais anglo-français.

Flavius Josèphe dans son cabinet (Paris, BnF, Français 11 f.1)
Flavius Josèphe dans son cabinet (Paris, BnF, Français 11 f.1)

À partir du XIIIe siècle, le français n’est donc plus la langue maternelle de l’élite mais il est appris en tant que langue seconde. Il est toujours nécessaire de parler français pour cette population car en plus d’être la langue du roi et de la cour, c’est aussi la langue de la diplomatie et de la communication.

Apprendre le français pendant la guerre de Cent Ans

Si au siècle suivant la guerre de Cent Ans tend les relations franco-anglaises, elle n’affaiblit pas, dans un premier temps, le rôle du français en Angleterre. Au contraire, elle lui donne même un second souffle : parler français devient un avantage, si ce n’est un argument de taille pour les rois d’Angleterre dans leurs prétentions au trône de France.

Dans le contexte de la guerre de Cent Ans, la langue française lie les deux royaumes et légitime un peu plus l’entreprise des Anglais. Bien que l’anglais s’affirme plus fortement comme la langue pré-nationale de l’Angleterre dès le début du XVe siècle, le français est encore largement utilisé comme langue seconde jusqu’à cette période. Son intérêt politique grandit un temps son apparat culturel car le français n’est pas seulement la langue des nobles ou du roi, il est aussi celle de la culture laïque. En effet, si le latin reste associé aux clercs et au monde du livre, le français devient le vernaculaire qui permet un accès plus aisé à la lecture pour celles et ceux qui ne comprennent pas et/ou ne maîtrisent pas le latin.

Pour les marchands, lire et écrire le français ne suffit plus : il est leur nécessaire de parler français pour assurer la prospérité de leurs entreprises. Par leur usage, le français prend une dimension économique et pratique. Ainsi peut-on constater du XIIIe siècle à la fin du XIVe siècle une forte demande d’enseignement du français en Angleterre au travers de nombreux ouvrages didactiques qui fleurissent alors.

Dans l’épisode, Maud vous parle de quelques extraits de ces manuels, notamment des insultes, voici un extrait :

Autre manier de language a parler des bourdeus et de trufes et tensons.

Mauvaise ribaud, vous mentez.

Jean Mansel (Paris, BnF, Français 56 f.6)
Jean Mansel (Paris, BnF, Français 56 f.6)

Alez, ribaud, vous pendre.

Ribaud, vous estez digne d’estre perdu.

Alez decy, senglent filz de putaigne.

Certez, pailard, vous ne eschiverez jamais.

Garçon, vous le achetrez.

Ribaud, vous baserez mon cuel.

Va, ribaud, le diable vous confonde.

Pailard, je serrey bien vengé de vous.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

  • Le texte de référence : Manières de langage (1396, 1399, 1415), éd. A. M. Kristol, London, Anglo-Norman Text Society, 1995.
  • BOVE Boris, La guerre de Cent Ans, Paris, Belin, 2015.
  • BUTTERFIELD Ardis, The Familiar Enemy. Chaucer, Language and Nation in the Hundred Years War, Oxford, Oxford University Press, 2009.
  • CERQUIGLINI-TOULET Jacqueline, La Couleur de la mélancolie : la fréquentation des livres au XIVe siècle, 1300-1415, Paris, Hatier, 1993.
  • KIBBEE Douglas A., For to speke Frenche trewely. The French language in England, 1000-1600 : its status, description and instruction, Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins Publishing Company, 1991.
  • LABÈRE Nelly, « L’œuvre complète au Moyen Âge », dans B. Didier, J. Neefs et S. Rolet (dir.), Composer, rassembler, penser les « œuvres complètes », Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2012, p. 97-111.
Illustration de l'épisode 46 par l'artiste Din
Illustration de l’épisode 46 par l’artiste Din

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

  • Monty Python : Sacré Graal (1975)
  • Kaamelott, Livre IV, Episode 63
  • Friends

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