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Épisode 15 – Simon et les Mamelouks

Dans ce quinzième épisode, Simon Rousselot nous parle des Mamelouks, des sultans qui ont régné sur l’Égypte au Moyen Âge.

Simon Rousselot
Simon Rousselot

Il faut bien différencier les mamelouks, des esclaves soldats dans le monde islamique, et les Mamelouks, un sultanat instauré en Égypte du milieu du XIIIème siècle jusqu’au milieu du XVIème siècle. Comment les Mamelouks sont sélectionnés et formés parmi des esclaves, pour devenir ensuite une troupe d’élite qui a brillé par ses exploits militaires ?

Simon nous raconte l’instabilité politique systémique des Mamelouks, les rivalités internes presque fratricides qui conduisent à changer de sultan d’Égypte quasiment tous les mois (de façon plus ou moins violente) et l’organisation qui en résulte. Simon nous parle aussi des ranks, un système de symboles utilisé par les Mamelouks notamment sur les bâtiments, et combien il peut être difficile de les étudier.

Lampe mamelouk, British Museum, Londres
Lampe mamelouk, British Museum, Londres
Pour en savoir plus sur le sujet voici une sélection d’ouvrages :
  • AYALON David, Le phénomène mamelouk dans l’Orient islamique, PUF, coll. « Islamiques », 1996
  • LOISEAU Julien, Les Mamelouks, XIIIe-XVIe siècle, Seuil, 2014
  • MARTINEZ-GROS Gabriel, Brève histoire des empires. Comment ils surgissent, comment ils s’effondrent, Seuil, coll. « Points Histoire », 2014 (une introduction théorique puis des études de cas)- – MAYER Leo, Saracenic Heraldry: A Survey, Clarendon Press, 1999 [1933]
  • PRINET Max, « De l’origine orientale des armoiries européennes« , Archives héraldiques suisses, 1912
Les extraits diffusés dans cet épisode :
Transcription de l’épisode 15 (cliquez pour dérouler)

[Générique]

Fanny : Est-ce que l’on sait tout du Moyen Âge ? Est-ce qu’il reste encore des choses à découvrir ? Et d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge ? En fait, il y a autant de réponses que de médiévistes. Dans cette émission, nous nous intéressons à comment l’histoire médiévale est étudiée aujourd’hui par de jeunes chercheurs, quels sont les sujets qui les intéressent, pour vous donner envie d’en savoir plus et pourquoi pas donner de l’inspiration aux futurs chercheurs.

Épisode 15, Simon et les Mamelouks, c’est parti.

Bonjour Simon Rousselot.

Simon : Bonjour Fanny.

Fanny : Alors Simon, tu es étudiant en master 2 à l’École pratique des hautes études à Paris, et l’année dernière, tu as présenté un mémoire de M1 sur les emblèmes utilisés par les Mamelouks d’Égypte entre 1250 et 1517. Alors vraiment, pour commencer, est-ce que tu peux nous dire qui sont les Mamelouks et d’où vient ce nom ?

Simon : Alors en fait il faut faire une distinction entre, on va dire, les mamelouks avec une minuscule et les Mamelouks avec une majuscule. Les mamelouks avec une minuscule, c’est un terme générique qui vient de l’arabe et qui veut dire esclave-soldat. Donc en fait ça recouvre une réalité qui est commune au monde islamique, qui se développe à partir du IXe siècle dans la ville palatiale de Samara, donc à côté de Bagdad, et c’est le fait du calife abbasside Al-Mutasim, qui s’est entouré d’une sorte de… de gardes du corps d’élite. Et ce terme-là, cette réalité-là plutôt, elle a différentes déclinaisons en fonction de l’aire culturelle dans laquelle elle se développe. Dans le monde iranien, on parle de ghulam par exemple. Dans le monde arabe, on va plutôt parler de mamelouk, et dans le monde turc, un peu plus tard, on va parler en autres de yeniçeri, qui a donné le terme janissaire.

Et ensuite les Mamelouks avec une majuscule, ça recouvre une réalité politique qui est celle du sultanat qui a été instauré sur l’Égypte. Les Mamelouks d’Égypte, c’est le terme qu’on utilise traditionnellement pour parler des émirs et des sultans qui ont régné sur l’Égypte et sur une partie du Proche-Orient, du milieu du XIIIe siècle, donc de 1250, jusqu’au début du XVIe siècle, 1517. Et donc en fait, on dit Mamelouk parce que ce sont des mamelouks qui ont pris le pouvoir et qui ensuite ont régné sur ce territoire-là.

Fanny : Comment ces Mamelouks, avec une majuscule, ont accédé au pouvoir, alors qu’ils étaient plutôt à la base, comme tu nous l’as dit, esclaves-soldats ?

Simon : Alors en fait c’est assez simple. Il faut revenir un petit peu quelques décennies auparavant. Dans la seconde moitié du XIIe siècle, Saladin prend le pouvoir en Égypte et il instaure une dynastie qu’on appelle les Ayyoubides. Saladin est un Kurde, il est né à Tikrit, et il s’est entouré en fait pour consolider son pouvoir, pour maintenir son pouvoir, de gens de son ethnie d’origine, donc il s’est entouré de Kurdes. Et quelques décennies plus tard, dans les années 1240, on a un descendant de Saladin qui s’appelle as-Sâlih Ayyûb qui commence à se rendre compte que les Kurdes, qui étaient traditionnellement ses alliés, qui étaient traditionnellement le socle sur lequel reposait son pouvoir, commencent un petit peu à se détacher de lui, à être un peu moins fiables, voilà.

Et donc il essaie de trouver, pour éviter de devoir subir une révolte, ce genre de chose, ou pire un assassinat, il va constituer un corps de mamelouks. C’est une pratique traditionnelle chez les califes, les sultans et les émirs du monde islamique depuis le IXe siècle. Et donc pour ça, il va chercher aux confins du monde islamique, comme c’est la pratique régulière, chez des tribus turques qui ne sont pas musulmanes, parce qu’on ne peut pas réduire en esclavage un musulman, parce que le musulman nait libre, donc on ne peut pas le réduire en esclavage, il faut que ce soit soit un chrétien, soit un païen. Il va chercher par l’intermédiaire de marchands d’esclaves, qui sont pour la plupart italiens en général. Il va chercher donc ces Turcs pour former son corps de mamelouks, qui va servir de nouvelle base à sa légitimité, à son pouvoir. Donc là on est dans les années 1240, et comme beaucoup d’auditeurs doivent le savoir, en 1248 se déclenche la septième croisade de Louis IX.

Fanny : Le futur Saint Louis.

Simon : Tout à fait. Et Louis IX en fait, ça on le sait beaucoup parce qu’on en a entendu parler du côté occidental, donc on sait Louis IX qui débarque, la prise de Damiette et la défaite d’Al Mansoura. Sauf qu’on sait pas, donc Al Mansoura c’est 1249, on sait peu que la défaite d’Al Mansoura, elle est due à un émir turc, un mamelouk d’as-Sâlih Ayyûb, qui s’appelle Baybars, donc on est dans une période d’instabilité politique en Égypte. En plus as-Sâlih Ayyûb meurt en 1249 et les mamelouks vont en profiter pour, en 1250, assassiner le fils d’as-Sâlih Ayyûb, qui est donc le dernier sultan ayyoubide. Il est assassiné, les mamelouks mettent un des leurs sur le trône, et c’est comme ça que va démarrer le sultanat mamelouk qui va durer plus de deux cent cinquante ans, deux cent soixante-sept ans pour être précis.

Fanny : Quelle est la langue et la religion des mamelouks ?

Simon : Alors les mamelouks sont originaires de tribus turques, donc leur langue c’est le turc. En général ils apprennent l’arabe, parce qu’au cours de leur formation de mamelouk ils sont convertis à l’islam, donc ça c’est leur religion, ils passent à l’islam. Mais en général, très peu parlent l’arabe, et quand c’est le cas, c’est souvent très mal, et très peu sont de bons musulmans. En général, ce sont des musulmans assez médiocres. Certains se sont distingués par leur piété, mais ils sont assez peu nombreux.

Fanny : Et justement, tu l’as évoqué, la formation des mamelouks, en quoi consiste-t-elle ?

Simon : Alors c’est principalement une formation militaire, parce que c’est leur but premier. Il y a toute une évolution assez complexe, diverses étapes en fonction de l’âge. Ils sont toujours entrainés par des anciens mamelouks, ou en tout cas par des mamelouks plus âgés, qui leur apprennent un peu les ficelles du métier.

Fanny : Et donc certains, après leur formation militaire et après donc avoir été formés comme mamelouks, accèdent aux plus hautes strates du pouvoir ?

Simon : Oui, ils deviennent sultans d’Égypte. Enfin bon, certains deviennent sultans d’Égypte. Mais ils ne passent pas de simple mamelouk à sultan. En général, les mamelouks, les sultans pardon, sont issus d’une minorité de mamelouks, qui ont été choisis en général en bas âge pour leurs qualités physiques et ils ont une formation particulière au sein de la cour, près du sultan, et souvent près du futur sultan en quelque sorte. De ce petit groupe-là vont être issus les émirs de haut rang. Dans les sources, on les appelle les émirs de cent, cent le nombre, parce qu’ils doivent, en tant qu’émirs, fournir cent cavaliers quand ils partent à la guerre. En général, au sein de ces plus grands émirs, on en compte une vingtaine à peu près à chaque règne de sultan, c’est au sein de ce petit groupe d’émirs que va se jouer la compétition pour le trône du sultan. Et donc ce sont énormément de luttes de pouvoir, de luttes internes, souvent on peut dire fratricides, parce que l’éducation, l’enseignement fait qu’ils sont tellement soudés entre eux que ce sont presque des frères.

Fanny : Et comment se fait la transition de sultan à sultan chez les Mamelouks ?

Simon : Alors en général ce sont des transitions assez violentes, parce que le sultanat mamelouk dure deux cent soixante-sept ans et on a plus d’une cinquantaine de sultans.

Fanny : Ah oui, il y a un gros turnover en fait !

Simon : Exactement. La plupart des règnes de sultans durent, allez, quelques mois voire une ou deux années si tout va bien. Les sultans qui ont régné plus de cinq ans, il y en a une dizaine à peu près. Ça tourne énormément, parce qu’en fait on est toujours dans ce bouillonnement de luttes internes, toujours, et c’est une compétition permanente pour le pouvoir. Le sultan est toujours, vu qu’il accède au pouvoir de façon générale pas toujours de façon très légitime, il est toujours en recherche de légitimité, et donc il a toujours plus ou moins des émirs rivaux qu’il va essayer de faire éliminer, qu’il va essayer de faire tomber en disgrâce, pour pouvoir mettre ses propres mamelouks à la place. Mais on est toujours dans une lutte interne permanente, et donc ça va être, dans le meilleur des cas, des renversements assez pacifiques où on va exiler le sultan précédent, dans le pire des cas, c’est de l’empoisonnement, de l’assassinat, c’est de la révolte, c’est assez classique au final.

Fanny : Mais comment un État a pu tenir donc deux cent soixante ans avec une telle instabilité politique ?

Simon : Ça c’est la question que tout le monde se pose, c’est un peu le miracle mamelouk. Pourtant les Mamelouks ce sont d’excellents soldats, et c’est ça qui les a souvent sauvés. On peut penser, justement, à la septième croisade. Quelques années après on a l’invasion des Mongols, qui est repoussée justement par l’émir Baybars, qui devient sultan juste après, et qui, donc là on est en 1260, donc dix ans après les débuts du sultanat. Et cette bataille-là, en gros, elle sauve le sultanat mamelouk naissant, parce que, pour rappel, les Mongols commencent à envahir le monde islamique dans les années 1200–1220 à peu près. Quasiment rien ne leur résiste jusqu’aux Mamelouks. Je pense qu’aussi, après ça, il n’y a plus vraiment d’adversaire à la hauteur des Mamelouks, et il faut attendre au final les Ottomans.

Extrait : Conférence de Julien Loiseau sur les Mamelouks à l’Institut du monde arabe en 2015

Il est très important de le rappeler, les Mamelouks, quelles que soient leurs origines, modestes et lointaines, sont une aristocratie urbaine. Les Mamelouks vivent en ville, construisent leur carrière en ville, investissent leur carrière dans la pierre, la manifestent précisément par leurs édifices glorieux et meurent et sont inhumés en ville.

Fanny : On vient d’entendre un extrait d’une conférence de Julien Loiseau, qui est un des plus grands spécialistes des Mamelouks en France. Donc une conférence de 2015 à l’Institut du monde arabe, où donc il parle du style de vie des Mamelouks. Qu’est-ce que tu en penses ?

Simon : Oui effectivement, les Mamelouks sont ce qu’il appelle une aristocratie urbaine, ils vivent en ville, ils exercent leur pouvoir en ville et sur la ville, ils meurent et se font enterrer en ville. C’est logique en quelque sorte, parce qu’on est sur une région, donc le Proche-Orient, l’Égypte, qui est une région urbanisée à cette époque-là depuis des millénaires. Les premières villes en tant que telles sont situées dans cette région, elles datent de plusieurs milliers d’années déjà. Donc tout ça est logique, parce qu’en fait, comme le disait Ibn Kaldoun, grand théoricien du pouvoir dans le monde islamique, il a vécu au XIVe siècle, il faisait le lien en fait entre ville et civilisation. Pour lui la ville, c’était où se créait, se développait et s’épanouissait la civilisation. Donc c’est normal en quelque sorte que les Mamelouks aient choisi de s’installer en ville.

Fanny : Tu travailles donc en fait sur toute la période du sultanat mamelouk, donc du XIIIe au début du XVIe siècle. Dans quelle mesure on peut parler de Moyen Âge pour l’Orient médiéval ? Est-ce que du coup c’est les mêmes temporalités qu’en France ? Est-ce qu’on parle de haut, de Moyen Âge central, de bas Moyen Âge ?

Simon : Alors là on est sur une vaste question, parce que le Moyen Âge à la base, c’est une notion qui a été créée en Occident pour caractériser un état de fait occidental. Donc le Moyen Âge, la période entre l’Empire romain et la Renaissance. Mais est-ce qu’on peut vraiment parler de Moyen Âge pour l’Orient ? Par habitude, et aussi parce que la recherche historique s’est principalement faite par des occidentaux au final, par des Européens et des Américains, des Nord-Américains, on a un peu, par abus de langage, parlé de Moyen Âge pour parler de l’Orient, parce que c’était dans les mêmes temporalités que le Moyen Âge occidental.

Fanny : Dans ton mémoire, tu as étudié plus précisément, enfin c’est vraiment plutôt l’objet central de ton mémoire de M1, tu as étudié les ranks des mamelouks, qui sont en quelque sorte, mais tu vas nous l’expliquer plus profondément, des emblèmes personnels. Où est-ce qu’on les trouvait et qu’est-ce que signifiaient ces ranks ?

Simon : Déjà pour commencer, rank c’est le terme arabe, et ça veut dire en général couleur ou teinture. C’est un terme qui vient du persan, du persan rang, qui veut dire couleur aussi, qui est un terme qui est toujours utilisé aujourd’hui en farsi, la langue qui est parlée en Iran. En turc moderne, on dit renk pour dire couleur. Dans le cadre du sultanat mamelouk, on parle de rank pour parler de ces emblèmes qui ont été utilisés par les émirs et les sultans. On retrouve ces emblèmes principalement sur des objets et des bâtiments.

Fanny : Et qu’est-ce qu’ils signifiaient ?

Simon : Vaste question, parce qu’ils signifient énormément de choses. Au final, ils ont plusieurs significations en fonction de la personne qui l’utilise, de ce qu’il veut faire passer comme message, mais aussi du récepteur, de l’observateur de l’emblème et de ce qu’il veut aussi y voir. Donc on pourrait dire qu’ils ont différentes significations, plutôt quelque chose par rapport à l’identité, à la fois individuelle mais aussi collective. Individuelle parce que, en tout cas au début de la période, ça change un petit peu à la fin, les emblèmes sont individuels, c’est-à-dire qu’un émir a un emblème et il est le seul à l’utiliser. Mais aussi, vu que l’utilisation des emblèmes est une pratique réservée aux Mamelouks, quand on voit un emblème, on sait que celui qui l’utilise est forcément un Mamelouk, donc on a une identité de groupe, une identité collective.

Mais sortis de cet aspect purement identitaire on pourrait dire, on a aussi différentes significations. Très souvent on a l’emblème d’un émir avec une inscription qui figure sur les murs de son mausolée. On les trouve aussi sur les murs des mosquées ou des bâtiments qu’ils ont fait construire. Donc on a une signification mémorielle, mais aussi une signification de domination urbaine et politique forcément, parce qu’en construisant des bâtiments et en apposant leur emblème dessus, ils balisent l’espace et ils marquent en quelque sorte leur appropriation du territoire.

Fanny : Pourquoi tu as choisi d’étudier les ranks ? Et est-ce qu’il reste encore des choses à découvrir à leur sujet ?

Simon : Alors j’ai pas vraiment choisi le sujet, on me l’a proposé. Je me suis un peu renseigné, je l’ai accepté et grand bien m’en a pris. Il reste encore énormément de choses à découvrir sur ce sujet parce que c’est un sujet qui a été assez peu traité. On a une historiographie qui est assez ancienne, fin du XIXe siècle, début du XXe siècle. Pour donner un exemple, l’ouvrage de référence, qu’on considère comme l’ouvrage de référence et que j’utilise beaucoup, date de 1933. C’est un peu vieux. On a des questionnements qui sont très datés. Le principal problème, à mon sens, c’est que tous ces chercheurs ont essayé de considérer les emblèmes mamelouks comme étant de l’héraldique. Donc moi ça me pose un assez gros problème, parce que l’héraldique est une réalité européenne, ou en tout cas occidentale. C’est quelque chose qui s’est développé en Occident, pour l’Occident, et donc les termes qui ont été utilisés ont été faits pour ça. Donc c’est des termes qui recouvrent une réalité qui ne colle pas à la réalité mamelouke.

Fanny : Et sur quelles sources tu as travaillé pour étudier les Mamelouks et les ranks ?

Simon : Alors moi j’ai principalement travaillé sur les sources archéologiques, c’est-à-dire beaucoup d’objets et un peu moins de bâtiments, mais quand même des bâtiments. Assez peu de sources textuelles, parce que tout simplement on a très peu de mentions des emblèmes dans les sources mameloukes. C’est assez problématique, parce que la littérature mamelouke est une littérature gigantesque. Ils ont produit, alors pas les Mamelouks en tant que tels, quand on dit littérature mamelouke, en général ce sont des auteurs arabes qui ont écrit, des sujets des sultans mamelouks. Sauf qu’ils ne parlent pas, ou très peu, des emblèmes. On a quelques mentions de temps en temps. Donc le corpus principal c’est de l’archéologie. Énormément d’objets, d’objets en verre, des lampes de mosquées, des objets en métal, des bassins, des coupes, etc. Beaucoup de céramiques, on a beaucoup de tessons de céramiques qui restent de poteries, etc. Toutes ces choses-là sont très utiles. Et bien évidemment les bâtiments. Le seul problème des bâtiments, il faut y aller, pour pouvoir aller les observer. Quand on considère la situation politique de certains pays aujourd’hui, c’est difficile d’y accéder.

Fanny : Parce que c’est quoi ? C’est l’Égypte…

Simon : C’est l’Égypte, c’est Israël, Palestine, c’est la Syrie, c’est le Liban. Donc bien évidemment, aller observer les emblèmes sur la citadelle d’Alep, c’est hors de question. Et aussi, alors quand on ne peut pas se déplacer, faut faire confiance aux travaux, aux ouvrages qui ont été écrits sur ces sujets-là. Le problème, c’est que bien souvent les photographies ne prennent pas en compte les emblèmes. On photographie d’autres choses, d’autres détails de l’architecture, parce que l’auteur de l’ouvrage en question trouve que ces détails-là sont plus importants.

Fanny : Tu as pu travailler sur de vrais objets ?

Simon : J’ai pu les voir parce que j’ai passé beaucoup de temps à fouiller les sites internet de musées pour pouvoir accéder à des bonnes photographies. Je me suis déplacé aussi dans certains musées, notamment au Louvre, bien évidemment, il y [en] a énormément, on peut en voir beaucoup.

Fanny : Et donc comment tu as travaillé sur ces sources ? Quelles ont été tes méthodes de travail ?

Simon : Alors en fait, le sujet de mon mémoire de master 1, on a appelé ça avec mon directeur “faire un état présent de la recherche”, c’est-à-dire essayer de consulter tout ce que les chercheurs ont pu écrire sur le sujet, ce que les chercheurs traitaient, ce qu’ils ne traitaient pas, comment ils le traitaient et avec quelles sources. L’ouvrage de départ, c’est l’ouvrage sur les Mamelouks qu’a écrit Julien Loiseau, paru en 2014 si mes souvenirs sont bons [NdT : je confirme]. Il a écrit plusieurs pages sur les emblèmes, donc je suis allé voir, tout bêtement, la bibliographie, les ouvrages qu’il cite. Je suis allé consulter ces ouvrages-là, puis j’ai remonté la piste comme ça, petit à petit.

Fanny : Là tu es en M2. Est-ce que tu continues de travailler sur ce sujet ?

Simon : Tout à fait.

Fanny : Et donc tu prévoies de faire une thèse aussi ?

Simon : Si possible.

Fanny : Et là donc, ce serait en continuant sur les ranks ? Ou est-ce qu’il y a une autre ouverture possible ?

Simon : Non, non, c’est vraiment me focaliser sur les emblèmes, pour essayer justement d’apporter, bien modestement hein, ce renouveau méthodologique, cette réactualisation des questionnements qui est nécessaire. Je pense vraiment que ça permettrait de comprendre énormément de choses par rapport aux relations que les Mamelouks pouvaient entretenir.

[Extrait de Kaamelott]

Fanny : Quelles étaient les relations des Mamelouks avec les puissances occidentales ? À part du coup les croisades, qui étaient des relations plutôt conflictuelles.

Simon : Alors en fait justement, on a un premier moment, qu’on pourrait dire exactement de relations conflictuelles. C’est bien entre 1249 et 1291, donc de la bataille d’Al Mansoura jusqu’à la prise de Saint-Jean d’Acre. Donc là on est vraiment dans une relation conflictuelle par rapport à l’Occident.

Et après on passe sur quelque chose de plus cordial, de plus calme. Les relations sont artistiques et diplomatiques. Artistique parce que, en tout cas au Caire, on a une tradition, un artisanat du fer qui est très développé. Moi en tout cas j’ai pu observer des bassins qui ont été faits au Caire mamelouk et dont le destinataire était le roi de Jérusalem. On a le fameux baptistère de Saint Louis, qui est au Louvre. Après on a aussi, mais là c’est plus au niveau du XVe siècle, on a beaucoup de relations diplomatiques entre l’Égypte mamelouke et les cités-États d’Italie. Ça, ça se retrouve beaucoup dans la peinture de la Renaissance italienne. On a par exemple, il est au Louvre mais il est plus présenté, on a un tableau qui s’appelle La réception des ambassadeurs vénitiens devant les murs de Damas, qui date du début du XVIe siècle et qui a été peint par l’atelier de Giovanni Bellini.

À la fin de la période, on a un retour de ces relations conflictuelles, parce qu’au début du XVIe siècle, les Portugais notamment menacent les lieux saints, Médine et La Mecque. Les sultans mamelouks, à cette époque-là, sont gardiens des lieux saints et en tant que musulmans, ils ne peuvent pas laisser les villes saintes tomber aux mains des Portugais.

Fanny : Quel héritage ont laissé les Mamelouks ? Parce que, très actuellement là, on les retrouve dans des jeux vidéo, comme par exemple Europa Universalis, Age of Empires ou alors Napoléon : Total War. Donc en fait, les Mamelouks dans l’imaginaire sont encore présents. Comment tu peux expliquer ça ?

Simon : Alors je sais pas vraiment comment je peux l’expliquer, mais en tout cas je pense qu’il faut faire une distinction entre deux moments des Mamelouks en quelque sorte. Le moment que j’étudie moi, les Mamelouks d’Égypte, et donc ceux-là ils ont laissé une trace qui est surtout monumentale. Julien Loiseau en parle, les Mamelouks ce sont des bâtisseurs et ils ont bâti plusieurs centaines d’édifices en deux cent cinquante ans de règne, un peu plus. Et puis il y a le deuxième temps mamelouk, celui qu’en France on connaît beaucoup plus, c’est le moment napoléonien. Ça, ça marque forcément hein. À mon sens, les Mamelouks qui étaient encore sur place à l’époque de l’expédition d’Égypte ont beaucoup plus marqué la pensée européenne, en tout cas française, que les Mamelouks d’Égypte du Moyen Âge, parce que c’est Napoléon, parce que c’est il y a deux siècles, et puis parce que c’est en contact direct avec la France.

Fanny : Ton champ d’études se termine en 1517 avec la chute du sultanat mamelouk, et donc tu as commencé à nous le dire, c’est à cause des Ottomans ?

Simon : Oui, tout à fait, oui. On est un peu à une sorte de croisée des chemins en quelque sorte, parce qu’au début du XVIe siècle, les Mamelouks d’Égypte sont sur une pente descendante, sur le déclin on pourrait dire. Quand on dit déclin, c’est toujours un peu avec le recul, en voyant ce qui s’est passé après, mais ils sont sur une pente descendante depuis plusieurs décennies. Ils ont énormément de problèmes financiers, enfin ils ont toujours eu des problèmes financiers, c’est un peu des paniers percés les Mamelouks, mais là c’est encore pire parce qu’il y a différentes crises économiques qui se rajoutent à ça. Et en même temps, on a les Ottomans qui sont sur une pente ascendante depuis le début du XVe siècle. Bon, ça s’est renforcé avec la prise de Constantinople, bien évidemment. Mais là, la fin du sultanat mamelouk c’est 1517, c’est l’époque du sultan Sélim, qu’on a appelé le Cruel, donc c’est lui qui conquiert le sultanat mamelouk, c’est lui qui bat les deux derniers sultans mamelouks, avec l’aide quand même de certains mamelouks qui ont trahi la cause, notamment le gouverneur d’Alep, si mes souvenirs sont bons [NdT : je confirme], qui a changé de camp le jour de la bataille.

Fanny : Pour finir cette émission, quels conseils tu donnerais à un jeune médiéviste qui veut travailler sur l’Orient médiéval ?

Simon : L’Orient médiéval, c’est un sujet comme un autre. Donc que dire de plus que ceux qui sont intervenus précédemment ont déjà dit ? Je pense que je redirais quelque chose par rapport à l’apprentissage des langues, qui est très important pour n’importe quel chercheur, n’importe quel médiéviste, même pour l’Occident, mais bien évidemment pour tous ceux qui travaillent sur l’Orient, c’est encore plus important.

Fanny : Quelles langues par exemple ?

Simon : L’arabe. Enfin, je dis l’arabe parce que moi je travaille sur un sujet qui concerne le monde arabe, mais si c’est un sujet sur le monde iranien médiéval, ça sera le persan. C’est un peu l’avantage et l’inconvénient de cette région-là. On est sur une région ancienne, qui a vu se croiser énormément de cultures, de religions et de peuples différents, et donc on a une mosaïque de langues, qui fait que, par rapport au travail sur les sources, il faut maîtriser beaucoup de langues, mais en même temps c’est ce qui est intéressant. Par contre le conseil que je pourrais donner, c’est vraiment, c’est pas facile non plus de le faire, je le sais, c’est de profiter vraiment des opportunités qui nous sont offertes pour ne pas hésiter à aller voir à l’étranger ce qui se fait. Pour parler de mon cas, j’ai fait un premier séjour Erasmus à Istanbul en Turquie, et en ce moment je suis en train de faire un deuxième séjour Erasmus en Allemagne. Alors ça a pas forcément grand chose à voir avec mon sujet de recherche, mais ça m’a offert des opportunités, ça m’a permis de rencontrer énormément de gens et ça m’a permis aussi de me confronter à différentes méthodologies, différentes façons. Ça m’a permis d’observer comment les Allemands faisaient de l’histoire. Donc voilà, si j’ai un conseil, c’est faites un séjour Erasmus. C’est une expérience formidable. C’est des sacrifices, mais au final c’est quand même une expérience assez unique.

Fanny : Merci beaucoup Simon. Grâce à toi, les auditeurs en savent un petit peu plus sur qui étaient les Mamelouks au temps de l’Égypte médiévale.

Simon : Merci de m’avoir reçu.

Fanny : On finit cet épisode avec les messages habituels de la fin des podcasts, c’est-à-dire retrouvez-nous sur Twitter et Facebook, partagez cet épisode, s’il vous a plu, et allez découvrir tous les autres épisodes de Passion Médiévistes déjà en ligne. Salut !

Merci beaucoup à So et Marion pour la retranscription !