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Épisode 96 – Joséphine et les Monts du Cantal au Moyen Âge

Comment le pastoralisme a-t-il influencé la vie dans les Monts du Cantal à la fin du Moyen Âge ?

Enregistrement de l'épisode 96 au Baraka Jeux à Clermont Ferrand
Enregistrement de l’épisode 96 au Baraka Jeux à Clermont Ferrand

Joséphine Moulier est au micro de l’épisode 96 du podcast Passion Médiévistes. Agrégée d’histoire, l’invitée de cet épisode est aussi doctorante en Histoire médiévale à l’Université Clermont Auvergne, où, sous la direction de Ludovic Viallet et de Nicolas Carrier. Elle rédige une thèse intitulée “Le droit aux montagnes. Communautés et pastoralisme dans les Monts du Cantal (fin XIIe-début XVIe siècle)”. Parcourez le sujet monographique de Joséphine Moulier, qui vous parle de ses recherches sur tous les aspects de la vie rurale, pastorale et montagnarde du territoire des Monts du Cantal. À noter que cet épisode a été enregistré en public à la Baraka Jeux de Clermont Ferrand.

Les Monts du Cantal à la fin du Moyen Âge

“ On est sur un territoire de moyenne montagne, donc dans un entre-deux, entre la plaine et la haute-montagne.” – Joséphine Moulier.

Du point de vue temporel, nous sommes à la fin du Moyen Âge. Joséphine Moulier délimite ses recherches entre la fin du XIIème siècle et la fin du Moyen Âge, soit les XVème et même le milieu du XVIème siècle, lorsque les principales villes de la région connaissent leur apogée.

Du point de vue géographique, nous sommes dans les Monts du Cantal, dans le sud-ouest de l’Auvergne. Cet espace géologique correspond aujourd’hui au Parc naturel régional des Volcans d’Auvergne. Sur ce territoire de moyenne montagne, Joséphine Moulier s’intéresse à une cinquantaine de communes, essentiellement les grandes villes du département du Cantal et navigue entre Aurillac, Saint Flour et Mauriac, avec un intérêt plus particulier pour une douzaine de communes, dont principalement les villes de Murat et Salers.

“ L’Auvergne et les Monts du Cantal ont beaucoup souffert pendant la Guerre de cent ans. ” – Joséphine Moulier.

Carte des Monts du Cantal
Carte des Monts du Cantal

Du point de vue politique, le Cantal est à l’époque médiévale un apanage du royaume de France. Ainsi, Joséphine Moulier précise que le territoire est officiellement attribué à un prince (fils ou frère du roi), mais qu’il est administré par de nombreux seigneurs locaux de petite et moyenne noblesse. Si la région est relativement calme, les Monts du Cantal se retrouvent cependant en première ligne lors de la Guerre de cent ans, car il s’agit d’un territoire de frontière.

Les habitants et habitantes des Monts du Cantal

“ D’après les registres que j’ai étudiés dans ces villes, un chef de famille sur deux qui se déclare marchand, soit la moitié de la population : c’est énorme ! ” – Joséphine Moulier.

Dans les villages qu’elle a pu étudier, Joséphine Moulier a observé une hiérarchie sociale et économique importante. On retrouve, d’un côté, une population très pauvre, et de l’autre, des élites locales qui, en plus d’un pouvoir économique, détiennent également un pouvoir politique en représentant leur communauté devant le seigneur.

Du point de vue social, ces villes, villages et hameaux accueillent beaucoup de marchands (poissons, cuirs, pastels…) et de notaires, dont l’ascension sociale est due à la pastoralisation de la région. Le reste de la population est composé, d’artisans (forgerons, barbiers, aubergistes…) et de paysans, très peu représenté puisqu’ils n’apparaissent guère dans les sources notariales de l’époque.

“ La majorité des habitants sont propriétaires de leurs exploitations.” – Joséphine Moulier.

Du point de vue démographique, Joséphine Moulier vous explique que les populations vivent essentiellement regroupées en communautés. Les paysans exploitent donc leurs terres en famille, notamment pour éviter d’avoir à partager les exploitations et donc, de morceler les terres. Ils paient un impôt, le cens, au seigneur mais peuvent jouir de leurs terres de manière indépendante.

“ J’ai retrouvé des récits très détaillés de ces conflits familiaux, avec notamment des insultes : laron, voleur, sorcière. Souvent, la cohabitation avec la belle-mère est compliquée…” – Joséphine Moulier.

Le Puy du Griou dans les Monts du Cantal
Le Puy du Griou dans les Monts du Cantal

La vie en communauté est souvent synonyme de conflits. Joséphine Moulier vous parle de ces conflits familiaux liés à la proximité des familles et finissant parfois de manière tragique. Elle a en effet pu retrouver des écrits très détaillés témoignant de ces tensions entre membres d’une même famille.

L’influence du pastoralisme

“ Le pastoralisme dans les Monts du Cantal c’est : un élevage bovin, de vaches, pour produire du lait, pour fabriquer du fromage et du beurre.” – Joséphine Moulier.

Dans sa thèse, Joséphine Moulier étudie la mise en place du pastoralisme dans la région des Monts du Cantal. En effet, à la fin du Moyen Âge, il y a de plus en plus de troupeaux de vaches laitières dans cette région qui fabrique du fromage. Ces troupeaux sont envoyés paître dans la montagne et c’est donc à cette époque qu’un système pastoral se développe sur ce territoire. Joséphine Moulier cherche donc à montrer comment cette économie transforme les différentes communautés – familiales, rurales, urbaines ou encore religieuses – dans le Cantal.

“ [En matière d’agriculture,] comme partout, on fait un peu de tout.” – Joséphine Moulier.

Dans les campagnes des Monts du Cantal, on retrouve plusieurs types d’agriculture : principalement des céréales (seigle et avoine), des cultures maraichères (navet rave d’Auvergne, lentilles) et de l’élevage, surtout des vaches et quelques moutons. Ce sont les vachets d’ailleurs, qui produisent le fromage.

Au Moyen Âge, Joséphine Moulier vous décrit la montagne comme un espace appartenant à tout le monde. Ce système change à partir de la fin du XIIème siècle et du début de XIIIème, sous l’impulsion de l’ordre des cicterciens, religieux experts en élevage, qui s’installent dans la région. Le seigneur local leur octroie une partie de la montagne dont ils commencent à exploiter les terres : c’est ainsi que le pastoralisme se développe dans la région.

Illustration de l'épisode 96 par Jupette
Illustration de l’épisode 96 par Jupette

Face à ce succès économique, beaucoup commencent à s’intéresser au filon. Les terres de montagne sont de plus en plus privatisées par les seigneurs locaux, qui se les approprient dans le but de réaliser des profits. C’est ainsi que les paysans se voient dépossédés de leur droits d’accès et d’usage de la montagne. Joséphine Moulier ajoute également que de nombreux villages et hameaux, fondés en montagne depuis le XIème siècle, sont finalement désertés et rachetés par des investisseurs qui y installent des pâturages.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

  • Frances Gies, Joseph Gies, La Vie dans un village médiéval, Paris, Les Belles Lettres, 2020
  • Fabrice Mouthon, Nicolas Carrier, Paysans des Alpes. Les communautés montagnardes au Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010
  • Mathieu Arnoux, Le temps des laboureurs. Travail, ordre social et croissance en Europe (XIe-XIVe siècle), Paris, Albin Michel, 2012
  • Fabrice Mouthon, Le sourire de Prométhée. L’homme et la nature au Moyen Âge, Paris, La Découverte, 2017.
  • Jean-Marc Moriceau, Histoire et géographie de l’élevage français: Du Moyen Âge à la Révolution, Paris, Sedes, 1999.

Sur l’Auvergne :

  • Joséphine Moulier, « La terre et les hommes : Habiter la moyenne montagne cantalienne au Bas Moyen Âge », Revue Histoire et Sociétés rurales, n° 59, 2023, p. 5-32.
  • Pierre Charbonnier, Une autre France. La seigneurie rurale en Basse-Auvergne du XIVe au XVIe siècle, Clermont-Ferrand, Publications de l’Institut d’Études du Massif central, 1980.
  • Abel Poitrineau, L’exploitation des montagnes d’estive en Auvergne (XVIIe-XVIIIe siècle), Édition et commentaires de Pierre Charbonnier, Clermont-Ferrand, 2020.
  • Léonce Bouyssou, La région d’Aurillac au XVe siècle. Étude sur la vie rurale en Haute-Auvergne, Aurillac, Société des lettres, sciences et arts la Haute-Auvergne, 1945 (édition 2010).

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le générique du podcast et à Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !