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Épisode 54 – Angela et le Danemark viking et médiéval

Comment le Danemark médiéval s’est progressivement christianisé ?

Dans l’épisode 54 du podcast, Angela Baranes vous parle de sa thèse sur « La formation d’un paysage chrétien au Danemark viking et médiéval. Logiques spatiales et pratiques sociales (VIIIe-XIIIe siècles)« , sous la direction de Michel Lauwers et Anne Nissen. Elle étudie la construction d’un paysage chrétien durant le processus de christianisation du Danemark au début du Moyen Âge danois, en croisant l’histoire, la géographie, l’archéologie, et d’autres sciences humaines.

Le début du Moyen Âge au Danemark

Loi de Scanie (1200 environ). Elle est écrite en latin mais aussi en runes (AM 28 8vo. Codex runicus (copie de 1300), coll. Arnamagnæan, Copenhague). À parcourir en ligne : https://www.e-pages.dk/ku/579
Loi de l’Eglise de la région de la Scanie (vers 1200). Ecrite en latin, il existe égaliment une version de la loi rédigée en runes (AM 28 8vo. Codex runicus (copie de 1300), coll. Arnamagnæan, Copenhague) (à parcourir en ligne)

Les recherches d’Angela Baranes portent sur la période entre le VIIIème siècle, date des premiers missionnaires au Danemark, et le XIIIème siècle, où se stabilisent la dîme, la paroisse et les lois ecclésiastiques. On se situe donc durant l’âge viking, c’est-à-dire la fin de l’Âge du Fer germanique, qui s’étend de 750 à 1050, et au début du Moyen Âge de 1050 aux années 1290. Car oui, il n’y a pas d’Antiquité au Danemark, ni en Scandinavie : on passe de la Protohistoire au Moyen Âge car c’est le christianisme qui y apporte la culture de l’écrit narratif.

Le contexte de la christianisation est un moment où toute la société change. Ce sont au début des sociétés sans récit écrit, car si ils ont un alphabet (les runes), il les utilisaient gravées sur pierre principalement pour commémorer leurs défunts.  Organisées en chefferies, c’est-à-dire des territoires fragmentés dirigés par des chefs locaux, ces sociétés sont polythéistes, composées majoritairement d’agriculteurs et de pasteurs, mais aussi de commerçants et d’artisans dans les premiers ports. C’est une société hiérarchisée et patriarcale : il y a des hommes libres et non-libres, des esclaves.

Les élites sont extrêmement compétitives, puisqu’il n’y a pas d’hérédité du pouvoir : les hommes libres élisent ou se rallient à un chef fort. Il faut donc savoir maintenir son réseau, avec des largesses, des cadeaux et être capable de payer son armée. Cette compétition sociale est l’une des raisons du phénomène viking, ces grandes mobilités en Europe et même plus loin, pour aller chercher des ressources par le commerce et le pillage, mais aussi le prestige de l’exploration, de la connaissance. Aussi, cette mobilité, dont les prémisses apparaissent dès le IVème-VIe s, permettent des contacts entre les religions et les Scandinaves ont une connaissance du christianisme et des grands pouvoirs en Europe. Les chefs décident de se tourner vers une autre idéologie du pouvoir, en imitant les rois d’Occident ou de Byzance : celle du modèle « un Dieu, un roi », avec des monarchies héréditaires et un clergé qui est un allié tant du point de vue administratif que symbolique.

Les premières églises du Danemark médiéval

Proposition de reconstitution de l’église d’Hørning (Danemark) dont on a retrouvé une planche de bois décorée datant de 1060. Une tour de cloche, en face de la porte de l’église, a été reconstituée à partir d’autres découvertes archéologiques. Source: Moesgaard Museum.
Proposition de reconstitution de l’église d’Hørning (Danemark) dont on a retrouvé une planche de bois décorée datant de 1060. Une tour de cloche, en face de la porte de l’église, a été reconstituée à partir d’autres découvertes archéologiques. Source: Moesgaard Museum.

L’histoire de la monumentalisation chrétienne débute avec les missionnaires, des clercs chargés d’évangéliser, de prêcher la bonne parole et de baptiser. En 700, le premier missionnaire, Willibrord, part au Danemark, ou plutôt reste sur les frontières, et rentre bredouille. Il vient de l’empire carolingien, qui en envoie régulièrement d’après les textes.

C’est le moine Anschaire en 848 et 860 qui réussit à édifier les premières églises au Danemark, dans les ports de Ribe et Hedeby, avec l’autorisation des chefs qui ne se convertissent pas pour autant. Il est ensuite fait mention dans une annale franque et une lettre de l’empereur ottonien, respectivement en 948 et 988 des églises d’Aarhus et d’Odense au Danemark. Ces églises apparaissent sous l’emprise de l’archevêché d’Hambourg-Brême, en Allemagne aujourd’hui, un super évêché missionnaire tenu par un archevêque germanique. Il y aurait donc eu quatre églises missionnaires d’après des textes mais aucune n’a été retrouvée, malgré plusieurs campagnes de fouilles.

La première église retrouvée archéologiquement est celle du roi danois Harald à la Dent Bleue à Jelling. Vers 960, il inscrit sur une immense pierre runique, représentant un Christ dans un style très germanique, qu’il a unifié le Danemark et fait chrétien tous les Danois. C’est même au Danemark, la date anniversaire du pays. L’église en bois est fondée sur sa propriété, entre deux tumuli, un type d’inhumation sous tertre relevant de la pratique païenne. La deuxième église la plus ancienne a été retrouvée à Lund, à l’autre bout du Danemark, et date de 980 par dendrochronologie. Elle aurait donc également été construite par ce même Harald.

Carte de Ribe aux IXe-Xe siècles, par Angela Baranes
Carte de Ribe aux IXe-Xe siècles, par Angela Baranes

Comme ces églises sont en bois, un matériau périssable qui se conserve difficilement, dans le sol archéologique, on ne retrouve que le négatif laissé par les poteaux plantés dans le sol. Cela veut dire que nous pouvons restituer leur forme, leur superficie de l’édifice mais pas leur hauteur. On sait que ce sont des édifices à nef unique, un rectangle, et qu’on a ajouté peu de temps après un chœur carré. Les dimensions de l’église de Jelling sont assez grandes, 14 x 30 mètres, ce qui atteste d’une construction élitaire. Mais on ne sait pas du tout à quoi ressemblent visuellement les premières églises puisqu’on n’en a pas les élévations et toute leur architecture.

Il y a donc de nombreuses spéculations sur leur apparence : on les imagine comme des prédécesseurs, des versions plus primitives des églises en bois de Norvège conservées debout, dont l’apparence actuelle date du XIIIe siècle, bien que les édifices d’origine ont été implantés à la fin du XIe siècle. Elles affichent des sculptures animalières à l’intérieur et à l’extérieur sur les planches de bois, sur les poutres et le toit, et le toit est décoré avec des têtes de dragons. Le portail de l’église d’Urnes (v. 1070) révèle bien une iconographie propre à l’âge viking, qu’on retrouve sur les pierres runiques : des animaux stylisés et entrelacés, de type serpents, dragons ou cerf.

 

Et dans le reste de l’épisode…

Dans l’épisode, Angela Baranes parle aussi des mélanges entre les différentes religions jusque dans les tombes des Scandinaves, de ses expériences d’archéologie sur le terrain, et de pourquoi il est très intéressant d’étudier les sources scandinaves malgré leur rareté.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Stavkirke de Borgund, un église en bois debout de Norvège, par CucombreLibre from New York, USA — Norway-Drone-20160727-0022, CC BY 2.0

Vous pouvez suivre les prochaines publications et les communications de Angela Baranes sur Academia.

Sources médiévales citées et traduites en français :

  • Rimbert, Vie de Saint Anschaire, v. 870, traduction française de Jean-Baptiste Brunet-Jailly,  Éditions Cerf, 2011.
  • Adam de Brême, Histoire des archevêques de Hambourg: Avec une Description des îles du Nord,  v. 1070, traduction française de Jean-Baptiste Brunet-Jailly,  L’aube des peuples, Gallimard, 1998.
  • La saga des rois de Danemark, v. 1260, traduction française de Simon Lebouteiller, Anacharsis, 2021.

Sur la christianisation des Scandinaves :

Sur les espaces chrétiens et les églises dans le monde scandinave :

  • Peter Anker, Aron Andersson, « Les églises de bois », dans L’art scandinave, tome 1, Zodiaque, 1969, p. 207-4-54.
  • Anders Andrén, « The significance of places: the Christianization of Scandinavia from a spatial point of view », World Archaeology, vol. 45, 2013, p. 27-45 (en ligne)
  • Else Roesdahl, « Prestige, Display and Monuments in Viking Age Scandinavia », Actes du deuxième congrès international d’archéologie médiévale, 1989, p. 17-25 (en ligne)
  • Jakob Kieffer-Olsen, Kirke og kirkestruktur i middelalderens Danmark, Nationalmuseet Syddansk Universitetforlag, 2018. Résumé des chapitres en anglais.
  • Klavs Randsborg, « KINGS’ JELLING Gorm & Thyra’s Palace Harald’s Monument & Grave – Svend’s Cathedral », Acta Archaeologica, vol. 79, 2008, pp. 1-23. (en ligne)
Illustration de l'épisode 54
Illustration de l’épisode 54 par Din

Sur le culte païen et ses monuments :

  • Lars Larsson, « A ceremonial building as a ‘home of the gods’? Central buildings in the central place of Uppåkra », dans The Gudme-Gudhem phenomenon, Schriften des Archäologischen Landesmuseums, Band 6, 2011, p. 189-206. (en ligne)
  • Olof Sundqvist, An Arena for Higher Powers. Ceremonial Buildings and Religious Strategies for Rulership in Late Iron Age Scandinavia, Brill, 2015.

Sur l’espace chrétien et les églises dans l’Occident médiéval :

  • Michel Lauwers, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Aubier, 2005.
  • Dominique Iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Eglise au Moyen Age (v. 800-v. 1200), Histoire, 2012.

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :