Épisode 47 – Peter et les Condottières
Derrière ce nom mystérieux et mythique, quelle est la vraie histoire des Condottières ?
Dans ce nouvel épisode, Peter Morel raconte ses recherches et l’histoire des capitaines mercenaires, appelés les Condottières, dans les XIVe et XVe siècles dans les espaces centraux et septentrionaux de l’Italie (Piémont, Lombardie, Vénétie, Toscane, Émilie-Romagne, Marches, Ombrie, Latium).
Au moment de l’enregistrement de l’épisode, Peter réalise sa troisième année de mémoire à l’université de Reims Champagne Ardenne, sous la direction de Isabelle Heullant-Donat (Professeure des Universités en Histoire Médiévale, CERHiC EA 2616). Et dans l’épisode il raconte la vie d’un condottiere en particulier : Bartolomeo Colleoni.
Une Italie divisée, des Renaissances plurielles
Au Bas Moyen Âge, l’Italie unifiée telle que nous la connaissons aujourd’hui n’existe pas encore. Elle est divisée en plusieurs espaces : au Sud, le Royaume de Sicile occupe le bas de la botte italienne entre les Abruzzes et la Calabre, ainsi que l’île de Sicile. Le royaume est divisé à partir des vêpres siciliennes de 1282 entre le Royaume angevin de Naples sur le continent et le royaume aragonais de Sicile. Le Nord et le Centre de l’Italie est divisé entre les terres qui dépendent de iure de l’Empereur (le « Royaume d’Italie ») et celles dépendants du Pape (les États pontificaux).
Souhaitant s’affranchir de ces tutelles impériales et papales, les cités italiennes s’affirment en Communes autonomes entre le XIe siècle et la fin du XIIIe siècle. Opposant à l’origine deux dynasties pour le trône impérial, le conflit entre les Guelfes (partisans de la papauté) et les Gibelins (partisans de l’Empereur) divise l’ensemble des Communes tout au long des XIIe et XIIIe siècles, où des familles prennent parti pour l’un ou l’autre des camps. Les guelfes sont considérés comme les gagnants de cette opposition suite à la défaite gibeline de Tagliacozzo en 1268. De plus, la Papauté quitte Rome pour Avignon en 1309, et y restera jusqu’en 1378. Dans le même temps, les institutions communales se transforment progressivement en seigneuries, dirigées par une faction ou une seule famille qui prennent le pouvoir.
Par ailleurs, l’évocation de « la Renaissance » porte une longue cohorte de mythes et d’idées provenant de l’historiographie des XVIe au XIXe siècles : celle d’un courant strictement italien de princes-mécènes s’étant ensuite propagée au reste de l’Europe. Il faut nuancer cette idée d’une Renaissance comme un moment unique, strictement italien et indivisible : il existe en réalité une multiplicité de Renaissances au cours de l’époque médiévale (la Renaissance Carolingienne, la Renaissance otto-clunisienne du XIIe siècle).
Les penseurs et écrivains contemporains comme Francesco Petrarca (Pétrarque, au XIVe siècle) ont considéré cette période comme un moment de rupture avec l’époque précédente qu’était ce sombre Moyen Âge (que nous nous efforçons de mettre en lumière dans le podcast et ailleurs). La « Renaissance italienne » est à conjuguer de manière aussi plurielle et différenciée qu’il existe de cités, espaces et/ou temporalités différentes. L’Italie des XIVe et XVe siècles est héritière de ces divisions.
Au XIVe siècle : l’Âge des Compagnies d’aventure
Les armées communales, composées de milites (hommes à cheval) et pedites (hommes à pied) originaires de la cité et de son contado, sont renforcées dès la seconde moitié du XIIIe siècle par des milices mercenaires privées. Ces premières « compagnies » comme la Compagnie Catalane dirigée par Roger de Flor (1267-1305, considéré comme l’un des premiers condottières), préfigurent le basculement militaire des armées communales vers les compagnies mercenaires du XIVe siècle.
Au cours de la décennie 1320-1330, le modèle des compagnies d’aventures (compagnie di ventura) s’impose dans la péninsule italienne. La cité assoldate ces compagnies grâce à la condotta, la conduite où sont précisés la durée de l’engagement, le nombre d’hommes à fournir, la solde et/ou les avances financières, l’équipement (fourni alors par la cité), etc. Celle-ci n’est pas spécifique à l’emploi militaire et est déjà très détaillée. La figure du condottière se développe à cette période : il est le chef de la compagnie, le « capo di una compagnia di ventura » à la tête des troupes. Ces compagnies permettent aux citoyens de rester dans les cités où les activités politiques et commerciales les requièrent. Cet argent, soldi en italien (ayant donné le mot « solde » dans la langue française), magné dans les cités, permet de payer la solde de ces mercenaires. Le point commun de tous ces chefs, quelle que soit leur origine sociale, est la connaissance des techniques militaires liée à la participation de ces soldats aux différents conflits européens. Le condottière (comme le mercenariat) est à envisager à l’échelle européenne et non uniquement italienne.
Ces compagnies aux noms aussi divers et variés que la Grande Compagnie, la première puis la seconde Compagnie de Saint-Georges (saint-patron des soldats et des mercenaires), la Compagnie de la Rose ou encore la Compagnie de l’Étoile, vont ainsi se créer, s’organiser et se développer pour combattre dans cette Italie divisée. En réalité, il s’agit plus de regroupements de petits groupes mercenaires sans contrats au sein d’une même compagnie qu’un groupe uni. Ces compagnies peuvent néanmoins atteindre plusieurs milliers d’hommes. Celles-ci se composent et se recomposent au gré des condotte, des batailles et des volontés de leurs chefs.
Le point important de cette période est qu’il s’agit de l’âge des stranieri : de très nombreux soldats étrangers attirés par la fortune promise dans cette Italie divisée, arrivent dans la Péninsule : Français/Provençaux comme le moine hospitalier Fra’Moriale , Anglais comme John Hawkwood, Hongrois, Allemands comme Werner Von Urslingen ou Konrad Von Landau, Catalans et autres soldats européens vont se battre pour les États italiens tandis que les quelques condottières italiens existants apparaissent comme minoritaires (Castruccio Castracani [le tyran de la cité de Lucques], Lodrisio Visconti, Pandolfo Malatesta, etc).
Ces condottières étrangers présentent cet avantage majeur d’être justement étrangers, et donc non impactés par les conflits & divisions politiques qui parcourent l’Italie. Néanmoins, ils sont également vus comme néfastes : sans scrupule et honneur, pouvant trahir leurs employeurs, pillant les terres et biens lorsqu’ils ne sont pas payés, ils présentent un péril pour les cités. Cette dualité de statut, à la fois bénéfique et péril pour les états italiens, est très caractéristique. Ces compagnies se dotent d’une organisation calquée et hiérarchisée sur les modèles étatiques existants, avec un conseil de la compagnie élisant le chef, des trésoriers, chanceliers négociant les condotte, avec les employeurs, etc. Nous pourrions presque parler d’un modèle d’« État »/« société » mercenaire en mouvement, combattant à travers l’Italie.
L’affirmation progressive des États régionaux au cours du XIVe siècle, parallèlement aux autres tensions de la péninsule, s’accompagne d’un renforcement des administrations au sein des cités et du contrôle des condottières par les officiers de l’État. Néanmoins, aucun condottière à l’exception notable du grand John Hawkwood (au service de Florence, enterré dans la Cathédrale Santa Maria del Fiore en 1394) ne réussit à s’installer durablement en Italie. Les deux dernières décennies du siècle voient le départ des stranieri vers les autres théâtres d’opération européens (comme en France avec la reprise de la Guerre de Cent Ans) et une italianisation progressive des condottières. La parenthèse étrangère de l’histoire militaire italienne est terminée.
Au XVe siècle : l’Âge des Condottières
À la fin du XIVe siècle et au cours du XVe siècle, la situation évolue : nous passons du modèle des compagnies d’aventure au modèle des grands condottières italiens. Cela se caractérise par plusieurs changements.
Tout d’abord, la condotta voit la disparition de la pluralité des noms des chefs de compagnies remplacé par un unique condottière, tandis que les durées d’engagement s’allongent et que ces conduites deviennent possiblement renouvelables. La condotta ferme (temps de guerre) peut se voir adjointe d’une condotta de réserve où le condottière (et ses troupes) reste au service de son employeur pour une période donnée, permettant une forme de permanence des armées dans les États italiens. Les gages accordés par les employeurs évoluent également et deviennent plus importants, avec la possibilité de se voir confier des fiefs ou biens fonciers, des titres, et toujours des sommes d’argent conséquentes etc.
Ces « condottières nouveaux » sont majoritairement des seigneurs de petites cités de la péninsule, affirmant leur indépendance territoriale en mettant leurs compétences militaires et leurs troupes aux services des autres États. Ces cités sont majoritairement situées dans le Nord de l’Italie (Lombardie, Vénétie) et en Émilie-Romagne, comme les Montefeltro d’Urbino et Gubbio (Marches et Ombrie actuelles), les Malatesta de Rimini (Romagne), les d’Este de Ferrare, Modène et Reggio d’Emilia (Émilie-Romagne) ou les Gonzaga de Mantoue (Lombardie) pour ne citer que quelques-unes des plus célèbres. Ils sont les héritiers des familles ayant pris le pouvoir lors du premier insignoriamento de la fin de l’époque communale ou du XIVe siècle.
Il existe également des condottières d’origine roturière comme Muzio Attendolo da Cotignola (le fameux « Sforza » à l’origine de la dynastie du même nom), Facino Cane (le grand condottière au service des Visconti) ou encore Erasmo da Narni, surnommé Gattamelata. Nous assistons donc à un double statut du condottière : il est à la fois seigneur politique et chef militaire, ce qui a une importance majeure dans l’évolution de leur statut. L’organisation des armées évolue également. La fidélité des troupes au condottière apparaît amplement plus dans les compagnies du XVe siècle : c’est désormais le condottière qui recrute ses hommes, les équipe et prend en charge les négociations des condotte avec les employeurs. Le passage des compagnies aux grands condottières est également celui de cet « société mercenaire en mouvement » à celle d’une troupe se mettant au service du plus offrant, avec une administration développée au sein des fiefs.
L’affirmation des États passe par de nombreux conflits dans la péninsule : d’une part, des conflits comme les Guerre anti-Visconti (Milan vs. Venise principalement) au Nord, ou le conflit opposant les Aragonais et les Angevins pour le contrôle du Royaume de Naples au Sud. D’autre part, une foultitude de conflits d’importance régionale voit l’affirmation des seigneuries et pouvoirs organisés administrativement et financièrement comme par exemple l’agrandissement progressif de la République Florentine dans le Nord de la Toscane. Les condottières parcourent ainsi toute la péninsule italienne au cours de la première moitié du XVe siècle, qui apparaît comme une période d’âge d’or.
Ces dynasties de condottières établies dans un fief forment une « classe sociale » désormais insérée dans la société italienne (à la différence du XIVe siècle) se mariant et se reproduisant entre eux posant les bases d’alliances militaires et matrimoniales, même si cela ne les empêche pas de s’opposer sur le champ de bataille lorsqu’ils sont assoldatés dans des camps opposés. La place des femmes est importante comme liens entre ces différentes familles, mais également comme mères, mécènes et lien de transmission. De même, la bâtardise joue un rôle important dans l’affirmation de la virilité et de la puissance de procréation. Parfois, ces enfants illégitimes deviennent eux-mêmes les princes-condottières, comme Federico da Montefeltro.
Cela provoque un resserrement des condottières autour d’un réseau de quelques grandes familles (environ 60% des 150/170 condottières du XVe siècle proviennent de celles-ci). Le mécénat artistique est utilisé dans l’affirmation du pouvoir de ces Princes de la Renaissance : construction de palais ou châteaux richement décorés, apparition d’écoles artistiques au sein des fiefs des condottières comme à Urbino ou à Mantoue (comme à Florence avec les Médicis), mise-en-place de studioli (studiolo, cabinet d’étude du prince), bibliothèques et lieux de développement intellectuels. Les condottières financent également la construction de monastères et couvents ou financent des œuvres religieuses grâce aux gains acquis par leur activité militaire.
Or, la volonté de pacification des différents États italiens (Milan des Sforza, Florence, Venise) va passer par la mise-au-pas des armées. Le condottierisme s’essouffle progressivement au cours de la seconde moitié du XVe siècle, où les différentes paix successives (comme celle de Lodi en 1454) freinent les conflits et donc le recours aux armées mercenaires. Les États vont chercher à s’attacher les condottières sur des périodes toujours plus longues en prolongeant la durée de validité des contrats, passant de plusieurs mois à parfois 1 ou 2 ans renouvelable.
Cette forme de « permanence » progressive des armées annonce les futures armées étatiques, bien que des condottières existent en réalité jusqu’au milieu du XVIe siècle, comme Jean des Bandes Noires (Giovanni delle Bande Nere, membre de la branche cadette des Médicis et père du futur grand-duc de Toscane, Cosme Ier). Ceux qui n’ont pas réussi à prendre possession d’un fief/seigneurie disparaissent progressivement, tandis que ceux qui ont réussi ce passage du soldat au « Prince » utilisent les développements artistiques de « la Renaissance » pour affirmer leur pouvoir politique. Tenus responsables de la « chute de l’Italie » lors de l’arrivée des Français dans la Péninsule en 1494 (puis des « guerres d’Italie », jusqu’en 1559), décriés par les penseurs contemporains, les condottières disparaissent progressivement, devenant les officiers.
Bartolomeo Colleoni : un Condottière au XVe siècle
Bartolomeo Colleoni est l’un de ces condottières italiens dont la mémoire commune se souvient tout particulièrement, principalement grâce à la statue équestre édifiée après sa mort par la République de Venise (voir photo ci-contre) sur le Campo San Zanipolo, au nord de la cité. Né vers 1395, originaire d’une famille importante de la cité de Bergame, son parcours militaire prend part pendant la majeure partie du XVe siècle, de 1422 à sa mort, en 1475.
Il mène des combats à travers toute la péninsule italienne, montant en grade progressivement en étant au service d’autres condottières puis indépendamment et combattant pour de nombreux états, jusqu’à devenir le capitaine général des armées vénitiennes de 1456 à 1475, c’est-à-dire le condottière au sommet de la hiérarchie militaire vénitienne. À travers l’étude de ses dernières volontés dictées sur son lit de mort, Peter Morel étudie son rapport avec sa famille mais également les membres de sa cour (chanceliers, sénéchaux, camériers etc), et même son employeur : la Sérénissime République de Venise. Ces actes structurent la manière dont Bartolomeo Colleoni souhaite que l’on se souvienne de lui : comme un « prince ». L’enjeu de la mémoire postmortem est majeur dans ces dernières volontés et montre de manière assez explicite un exemple d’évolution de condottières entre les deux siècles.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
Renaissances italiennes
- Crouzet-Pavan Élisabeth, Enfers et paradis : l’Italie de Dante et de Giotto, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque de l’Évolution de l’humanité », n˚ 47, 2004.
- Crouzet-Pavan Élisabeth, Renaissances italiennes : 1380 – 1500, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque de l’Évolution de l’humanité », n˚ 61, 2013 (2e édition).
- Crouzet-Pavan Élisabeth et Maire-Vigueur Jean-Claude, Décapitées : Trois femmes dans l’Italie de la Renaissance, Paris, Albin Michel, 2018.
- Cloulas Ivan, Bec Christian, Jestaz Bertrand et Tenenti Alberto, L’Italie de la Renaissance : un monde en mutation (1378 – 1494), Paris, Fayard, 1990.
- Delumeau Jean-Pierre et Heullant-Donat Isabelle, L’Italie au Moyen Âge : Ve – XVe siècle, Paris, Hachette, coll. « Carré Histoire », n˚ 47, 2000.
- Hale John R., La civilisation de l’Europe à la Renaissance, Paris, Perrin, coll. « Collection Tempus », n˚ 29, 2003.
- Lee Alexander, The Ugly Renaissance: Sex, Greed, Violence and Depravity in an Age of Beauty, New York, Doubleday, 2013 (1e edition).
Sur la guerre médiévale (et en Italie)
- Contamine Philippe, La guerre au Moyen Âge, Paris, Puf, 1992.
- Grillo Paolo et Settia Aldo, Guerre ed eserciti nel Medioevo, Bologne, Il Mulino, coll. «Guerre ed eserciti nella storia», 2018.
- Piffanelli Luciano, Politica e diplomazia nell’Italia del primo Rinascimento : per uno studio della guerra « contra et adversus dominum ducem Mediolani », Rome, École Française de Rome, coll. « Collection de l’École française de Rome », n°569, 2020.
Sur les condottières (en français)
- Cassagnes-Brouquet Sophie et Doumerc Bernard, Les Condottières : Capitaines, Princes et Mécènes en Italie, XIIIè-XVIè siècle, Paris, Ellipses, 2011.
- Savy Pierre, Seigneurs et condottières : les Dal Verme : appartenances sociales, constructions étatiques et pratiques politiques dans l’Italie de la Renaissance, Rome, École française de Rome, coll. « Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome », n˚ 357, 2013.
Sur les condottières (en langues étrangères)
L’ouvrage de référence sur le sujet : Mallett Michael, Mercenaries and their Masters, Londres, Pen & Sword Military, 2009. Existe aussi en version italienne : Signori e mercenari: la guerra nell’Italia del Rinascimento, (Bologne, Il Mulino, 2013).
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
- War – Paolo Buonvino (Medici Soundtrack)
- Les Médicis (2016), saison 2 épisode 4
- Italian Ars Nova – Music of the Trecento by Gherardello da Firenze
- Kaamelott, Livre V, épisode 10 « Les Recruteurs »
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
- Épisode 7 – Guillaume et les tournois de chevalerie
- Episode 16 – Marie-Lise et les bâtards de prince
- Episode 31 – Yannick et Jacques II de Bourbon
Merci à Jonathan pour le montage de cet épisode, à Clément pour la création du générique et à Din pour la réalisation de l’illsutration de l’épisode !
Fanny : Avant de commencer cet épisode, je tiens à remercier quelques personnes qui m’ont particulièrement soutenu ce mois-ci sur Tipeee : Adeline, Maldoror ( ??), Julie, et Charles. Merci encore beaucoup à toutes et à tous, et je vous laisse avec l’épisode 47 du podcast. Bonne écoute !
[générique du podcast]
Fanny : Qu’est ce que l’on sait du Moyen Âge ? Qu’est-ce que vous vous rappelez de ce que vous avez appris sur le Moyen Âge à l’école ? Peut-être pas grand chose, mais ce n’est pas grave. Je m’appelle Fanny Cohen Moreau, et dans ce podcast, je vous propose d’en apprendre plus, de vous replonger dans cette période de plus de mille ans, en compagnie de jeunes médiévistes – c’est-à-dire des personnes qui étudient le Moyen Âge, en master ou en thèse. Ça va être l’occasion de faire le point sur des idées reçues, et même aller plus loin, explorer cette période sous pleins d’angles différents, que ce soit l’histoire politique, sociale, culturelle, ou même économique.
Épisode 47, Peter et les Condottières, c’est parti !
Aujourd’hui dans ce podcast, je reçois un invité un peu particulier. Pour vous qui écoutez, il n’y aura pas de différences avec les autres épisodes. Mais mon invité d’aujourd’hui, autant le dire tout de suite, je le connais bien. Parce que à chaque fois que je sors un nouvel épisode, c’est presque toujours le premier à le repartager sur Twitter, à envoyer des messages de soutien, que ce soit sur le discord de Passion Médiévistes ou ailleurs. C’est un peu un membre fondateur d’ailleurs de ce discord – qui est une sorte de forum d’échanges entre les anciens invités du podcast et les auditeurs et auditrices – on l’appelle même le « Renard de la Taverne » sur ce discord, et il se trouve qu’il a le bon goût d’être médiéviste. Donc aujourd’hui, j’ai le grand plaisir de recevoir Peter Morel. Bonjour Peter !
Peter : Bonjour Fanny, bonjour à tous !
Fanny : Peter, tu es actuellement en…
Peter : …en Master 2.
Fanny : Tu es actuellement en Master 2 à l’université de Reims-Champagne-Ardenne sous la direction d’Isabelle Heullant-Donat. Tu prépares un mémoire sur « Bartolomeo Colleoni, un condottière dans l’Italie des Renaissances », et avec toi Peter, nous allons parler en général des condottières au XIVe et XVe siècles, on va voir ça va être des mercenaires pas tout à fait comme les autres. Bon déjà Peter, première question : qu’est-ce-que ça fait d’être dans le podcast ?
Peter : C’est une grande joie. [rires de Fanny et Peter] C’est une grande joie. Un peu stressé je ne le cache pas aux auditeurs et aux auditrices, mais…ça va bien se passer.
Fanny : Mais oui, ouais. Peter, je voulais juste savoir aussi avant qu’on commence, qu’est-ce qui t’a amené à faire un master, un mémoire, quel a été ton parcours jusque-là ?
Peter : Alors, j’ai passé le bac en 2014, le bac L – oui je prends le poids des années aussi en ce moment [rires de Fanny] – et au bac, dans l’épreuve de littérature, on avait Lorenzaccio d’Alfred de Musset. Lorenzaccio, ça se passe à Florence, en 1536-1537, c’est l’histoire de l’assassinat du premier duc de Florence, Alexandre de Médicis, par son cousin Lorenzaccio. De là, j’ai commencé à faire des recherches sur la ville, sur la période, parce que j’avais vraiment adoré l’ouvrage. Et puis, comme lorsqu’on commence des recherches, quand on commence à s’intéresser, on peut dire que je suis tombé dans la marmite [rires de Fanny]. J’ai continué mes recherches, à m’intéresser à Florence, à la famille des Médicis, sur toute la période que l’on appelle communément la « Renaissance italienne » et…bah voilà, je suis tombé dans la marmite et c’est devenu ma passion.
Fanny : Et donc tu as fait une licence d’histoire, c’est ça ?
Peter : J’ai fait ma licence d’histoire, et arrivé en L3 j’ai hésité entre les différentes possibilités, entre m’orienter vers l’histoire de l’art, le patrimoine, m’orienter directement vers l’enseignement, le CAPES, et au final je me suis dit « bah, écoute, essaye de croire en toi, lance-toi dans le master recherche ». C’était pas du tout ma volonté première en soi, voilà…maintenant ça fait deux ans, enfin trois, que je fais un master recherche et je m’éclate littéralement dans ce que je fais.
Fanny : Et pourquoi est-ce que tu as voulu travailler sur les condottières ?
Peter : Alors, je n’ai pas voulu travailler sur eux, à la base, on peut dire. Ce qu’il s’est passé, c’est que j’ai envoyé un mail à celle qui est aujourd’hui ma directrice de recherche, Mme. Isabelle Heullant-Donat, que je n’avais pas eu en cours en licence, en lui expliquant « Bonjour Madame, je souhaiterais travailler sur l’éclosion de la Renaissance italienne, ou la Renaissance et ses avant-coureurs », en lui donnant tout un [tas de] noms : Dante, Pétrarque, ceux qu’on appelle les grands auteurs humanistes italiens, les grands artistes comme Léonard de Vinci… On voit que j’avais encore une perception de la Renaissance qui est très commune. Quand on dit « Renaissance » on pense Léonard de Vinci, Florence, les Médicis etc. etc.
On s’est rencontré, pour échanger par rapport à cette volonté de faire un mémoire, et elle m’a proposé « Les Condottières, est-ce que ça vous intéresserait ? ». Alors je l’ai regardé avec un air « mais de quoi elle est en train de me parler ? » [rires de Fanny] un petit peu – désolé si vous m’entendez, chère Madame – et elle m’explique « ce sont des mercenaires qui combattent dans l’Italie au XIVe et XVe siècle ».
Fanny : Donc rien à voir avec tes envies de littérature, d’histoire de l’art plutôt là…on est éloigné ?
Peter : C’est ce que je croyais au début.
Fanny : Ahah
Peter : En fait, ils ont une place centrale dans l’Italie à ce moment-là, mais une place qu’on ne connait pas d’eux, parce que en général en France, il y a une certaine forme de vide historiographique. On en parle en général dans les ouvrages sur la Renaissance pour dire au niveau de « l’art militaire » dans l’Italie de la Renaissance, ou des Renaissances – ce qui est d’ailleurs beaucoup plus logique à dire – il y a des mercenaires qui combattent pour les États. ». Mais il n’y a presque pas d’ouvrages qui leur sont consacrés directement. Il y a eu un ouvrage qui est sorti en 2011, de Sophie Cassagnes-Brouquet et Bernard Doumerc qui s’appelle Les Condottières : Capitaines, Princes et Mécènes en Italie, XIIIè-XIVè siècle, et la thèse de Pierre Savy en 2013 qui est consacrée à une famille particulière de Condottières, qui s’appelle Seigneurs et Condottières : les Dal Verme ; c’est une famille où il y a eu neuf Condottières tout au long de la fin du XIVe et du XVe siècle. Sinon, la majeure partie des ouvrages sont étrangers, soit anglophones, soit italophones et il y a quelques ouvrages germanophones, mais en France il n’y a pas vraiment d’ouvrages qui traitent directement de ce sujet-là.
Fanny : Juste avant de nous plonger, pour savoir qui sont les Condottières et tout ça, je pense qu’il est important Peter qu’on replace un petit peu le cadre spatio-temporel si j’ose dire. Donc on est en Italie, à la fin du XIVe siècle et au début du XVe siècle : est-ce que c’est la fameuse Renaissance qui commence ?
Peter : Alors, je vais commencer par lâcher une bombe historiographique si on peut dire…
Fanny : Ouh la…
Peter : La Renaissance… n’existe pas !
Fanny : Attends que…que… QUOI ?
Peter : Voilà. Dit comme ça, ça peut être assez brut. Il faut nuancer ce qu’on appelle la Renaissance. Les contemporains ne se considéraient pas comme « renaissants ». Le mot « Renaissance », ça vient de l’italien Rinascimento, qui, selon la tradition historiographique, date de Vasari. Vasari qui était un artiste, sculpteur, peintre à la cour des ducs de Florence puis de Toscane, en particulier de Cosme 1er. Et, plus la conception qui date alors là directement des contemporains du XIVe et du XVe siècle, de dire « l’humanisme, nous – dans le sens « homme », nous sommes une rupture par rapport à la période précédente, qui est sombre – c’est ce qu’on pense généralement du Moyen Âge avant de vraiment se plonger dedans. Il y avait une rupture dans énormément de codes, de dogmes, que ce soit dans la conception philosophique de ce qu’ils étaient eux – on passe de Dieu à soi – c’est le but de l’humanisme. Il y a une forme de changement de mentalité dans l’Italie de cette époque, mais qui n’est pas commune qu’à l’Italie.
D’autre part, en 1860, un historien Suisse si je ne me trompe pas, Jacob Burckhardt, – historien de l’art – sort un ouvrage qui s’appelle La Civilisation de la Renaissance en Italie, où – pour vraiment résumer énormément le propos – il dit « Il n’y a qu’une Renaissance, elle est italienne, et elle s’est diffusée après à l’échelle européenne. L’Italie est le lieu de l’émergence de l’État moderne, de toute la civilisation moderne ; qui se donne ses propres lois ; qui est sujet de son histoire et à côté tout ce qu’il s’est passé avant, à l’époque médiévale, c’est à jeter ». C’est une rupture entre l’Antiquité et l’époque où ils sont. De là, on a toute cette conception du « Moyen Âge sombre », qui est commune. On le voit encore aujourd’hui à chaque fois qu’il y a quelque chose de – je grossis le trait en le disant – mais « barbare », « mauvais », on dit « ah, des pratiques moyenâgeuses », c’est digne du Moyen Âge. Mon dieu, vraiment j’ai des Jeanne d’Arc dans les yeux à chaque fois que c’est comme ça [rires]. Mais voilà. De là, dans les années 1970, on a commencé à déconstruire ça et à voir qu’au final, la Renaissance c’était plutôt une histoire de plusieurs Renaissances tout au long de l’époque médiévale, que ce soit la Renaissance carolingienne, ce qu’on appelle la renovatio imperii – coucou Ilan… [rires de Fanny]
Fanny : Ilan que l’on entend dans le format Super Joute Royale, qui est un fervent défenseur des Carolingiens.
Peter : …Voilà. Que ce soit la renaissance Otto-Clunisienne, c’est-à-dire le moment d’affirmation des différents ordres monastiques, qui se situe aux alentours du Xè-XIè siècle…on peut même tirer jusqu’au XIIè en soi. Et la pré-Renaissance, le Duecento et le Trecento en histoire de l’art, car on donne des noms en « -ento » en général pour les périodes artistiques que l’on n’utilise pas comme dans les études historiques pour les siècles. Le Duecento et le Trecento ne font pas partie de ce qu’on appelle communément « la Renaissance ». La Renaissance, c’est le XVè siècle dans la conception antérieure. Or, on l’a vu avec l’épisode de Mecthilde sur les peintres florentins du XIVè siècle, il y a déjà des codes, des formes de représentation, et de nombreuses évolutions au niveau des concepts qui arrivent déjà dans les périodes antérieures.
Donc plutôt que de parler d’une Renaissance unitaire, je préfère utiliser le titre de l’ouvrage d’Élisabeth Crouzet-Pavan — Renaissances Italiennes — au pluriel, parce qu’on peut considérer que les Renaissances sont à la fois plurielles dans les espaces, plurielles dans les temporalités, plurielles dans les différentes formes, que ce soit politique – avec l’affirmation de l’État -; artistique – changement des codes de représentations, changement des sujets de représentation -; philosophique, etc. etc.
C’est une des parties qui est assez importante, c’est déconstruire le mythe de la Renaissance. Même, au contraire, on peut parler d’une Renaissance « sombre ».
Fanny : Ah oui…
Peter : Oui.
Fanny : C’est un concept en soi…
Peter : Il y a un ouvrage d’un historien anglais qui s’appelle Alexander Lee, qui s’appelle The Ugly Renaissance, la Renaissance « moche »/« sombre », où il montre que en fait, par rapport à l’époque médiévale, la Renaissance comporte tout un lot – non pas d’obscurantismes en soi, il y en a – mais un lot de ruptures qui en soi font que par rapport à une partie de l’époque médiévale, la Renaissance est peut-être même plus sombre que ce qu’on a l’habitude de croire.
L’espace italien à ce moment-là, c’est pas vraiment la Dolce Vita. Il faut comprendre que l’Italie est un espace complètement divisé. Je travaille sur l’Italie du Nord et du Centre, c’est-à-dire tout l’espace qui exclut en fait l’Italie du Sud – le Mezzogiorno – qui correspond au Royaume de Naples et de Sicile.
[Intermède musical]
Fanny : On comprend où est-ce qu’on est, maintenant on va pouvoir parler des condottières. Alors, déjà Peter, question toute simple : c’est quoi un condottière ?
Peter : Alors, un condottière, c’est au sens strict un capitaine de troupes, ce qu’on appelle en italien una schiera di soldati mercenari, donc de soldats mercenaires, simplement. Et, par extension du nom, c’est devenu la figure du commandant.
Fanny : OK.
Peter : C’est un chef mercenaire, entrepreneur de guerre, dont le statut va énormément évoluer sur la période qui nous intéresse. Les condottières ont joué un rôle très important dans l’Italie des XIVe et XVe siècles, que ce soit d’un point de vue politique, structurel, organisationnel etc. etc.
Fanny : A partir de quand est-ce qu’on utilise ce terme de condottière ?
Peter : Alors, le terme condottière est contemporain des condottières eux-mêmes. On l’utilise dès le XIVè siècle. Ce sont des capitaines engagés par un contrat. Et par déformation en fait, la condotta, le contrat qui stipule précisément tous les points d’engagement a donné son nom à la fois au contrat lui-même et à la troupe mercenaire qui suit le condottière.
Fanny : Pourquoi est-ce que les condottières apparaissent à cette époque-là ?
Peter : Alors c’est compliqué et pour ça il faut faire un petit point Italie communale.
Fanny : Oui !
Peter : L’Italie en plus d’être complètement désunie à ce moment-là, d’être une multiplicité d’États différenciés, a une double influence entre au nord et au centre l’ancien Royaume d’Italie ; c’est à dire les territoires lombards que Charlemagne a annexé quand il a battu les Lombards en 774 et qui font que tout le nord et le centre de l’Italie ont une dépendance vis-à-vis de l’Empereur du Saint-Empire Romain Germanique. Le Roi d’Italie, c’est l’Empereur du Saint-Empire Romain Germanique.
Fanny : D’accord.
Peter : D’autre part avec le traité du Quierzy de 754, le traité dit « je cède l’Exarchat de Ravenne, la Marche d’Ancône, l’Ombrie et le Latium à l’évêque de Rome ». Le Pape, pendant l’époque médiévale, est à la fois un souverain spirituel à la tête de l’Église, et en même temps un souverain temporel, à la tête de terres beaucoup plus grandes que le Vatican actuel. Il possède presque la moitié d’Italie en soi. Ce qui s’est passé, c’est que l’Empereur est peu descendu sur ses terres italiennes et que de là, il y a eu tout ce qui est le procédé de communalisation de l’Italie, l’apparition des communes. Dans cette Italie communale, il y avait ce côté « besoin de se défendre et de s’affirmer » par rapport à l’autorité de l’Empereur, affirmer leur autonomie par rapport à l’autorité de l’Empereur ou du Pape quand ça pouvait arriver. Ce sont des armées communales mais à la fin du XIIIe siècle progressivement apparaissent des entrepreneurs privés, mercenaires, qui font la guerre, qui sont employés par les États en complément de leurs armées communales…
Fanny : Mais parce qu’ils ont besoin de plus d’armées ?
Peter : …Soit parce que ce sont des compétences particulières, soit pour compléter leurs rangs. En fait, les condottières prennent naissance dans un changement de l’Italie communale, c’est à dire qu’il y a une forme « d’enseigneurement » progressif des communes. Les communes évoluent. Certains podestats, c’est à dire les représentants chargés de faire la justice dans les villes, réussissent à se faire élire seigneurs ou prennent le pouvoir par la force ou provoquent des changements dans les communes qui font que de plus en plus tu as des seigneuries qui remplacent les communes.
Progressivement, les communes ne veulent plus qu’il y ait des soldats qui sont impliqués dans les conflits. On dit il faut que les hommes… C’étaient les hommes, tous les hommes en âge de se battre qui partaient au combat. S’ils étaient riches et qu’ils avaient la possibilité d’avoir un cheval ils étaient Milites. Il y avait différentes classes sociales entre les Milites, donc les « patriciens » parce que définir la noblesse en Italie c’est un peu particulier, les Pedites qui sont à pied, et en dessous le popolo grasso, c’est à dire les marchands, le peuple gras en soi, et le popolo minuto qui eux sont les petits artisans. Tout ce schéma, à cause du passage progressif des États italiens à des modèles seigneuriaux, n’est pas complètement remis en cause mais va évoluer. Et en fait, les condottières vont présenter l’avantage d’être étrangers. Comme ils sont étrangers, ils ne sont pas impliqués dans les conflits politiques locaux. Ils font la guerre. En soi, on peut parler de « vacataires de la guerre », et c’est dans la décennie 1320-1330 où ils s’imposent de manière durable, comme étant les forces armées des différents États.
En fait au XIVe siècle c’est un âge de stranieri en italien, d’étrangers. En fait il y a beaucoup d’étrangers que ce soient des Catalans, des Allemands, des Hongrois, des Français ou des Anglais qui vont venir combattre en Italie. Pour la fortune, d’une part, la gloire, aussi. Principalement la fortune quand même. L’Italie est une terre extrêmement riche, c’est le cœur des échanges commerciaux européens à cette époque. En 1252, tu as la création du florin, et qui est la monnaie d’échange qui s’est imposée à travers toute l’Europe à la fin de l’époque médiévale. Florence est un cœur économique, l’Italie des communes est extrêmement riche, en plus d’avoir des pratiques de l’écrit très avancées par rapport à d’autres États européens, d’avoir une alphabétisation plus élevée qu’ailleurs. Donc t’es vraiment dans un monde où tu as tout un processus qui a déjà commencé, une forme de pré-Renaissance en soi.
Fanny : Oui et en fait, si j’ai bien compris, employer ces condottières ça permet de ne pas avoir à envoyer sa population à chaque fois faire la guerre.
Peter : Exactement. Surtout qu’il va y avoir une grosse saignée démographique au milieu du XIVe siècle que tout le monde connaît bien : la peste noire.
Fanny : Ah bah oui !
Peter : Où un tiers de la population italienne part comme un pet sur une toile cirée [rires de Fanny] d’un seul coup [rires de Peter]. Non, je résume très vulgairement mais…
Fanny : Oui, donc c’est quand même très important le contexte démographique aussi.
Peter : On a même dit que c’était les condottières qui avait provoqué la propagation de la peste noire.
Fanny : En fait, c’est l’Erasmus de toute l’Europe, venez on fait la guerre en Italie. [rires]
Peter : L’Erasmus, je dirais pas ça comme ça [rires partagés].
Fanny : Si on se concentre un petit peu sur les individus : comment il vit, comment il gagne sa vie ?
Peter : Alors c’est un véritable travail de négociation. En fait la compagnie, ce qu’on appelle une compagnie d’aventure – c’est le nom de la compagnie de mercenaires – a un système très organisé, beaucoup plus que quand on parle ou on pense à un mercenaire. On pense à quelque chose de tout à fait désorganisé qui part au combat, voilà. Non, non, c’est vraiment un système extrêmement organisé qui prend modèle sur les différents États. Les condottières ne sont jamais des pauvres désargentés qui partent au combat, voilà comme ça. C’est toujours des nobles désargentés mais qui ont une culture militaire importante, qui ont une formation militaire, qui savent combattre et connaissent l’organisation des armées dans les autres parties de l’Europe, ça reste un modèle très organisé.
Fanny : Il y a aussi quelque chose que tu m’as dit quand on a préparé l’émission, c’est que les condottières quand même, on ne les trouve pas qu’en Italie, c’est ça ? On les trouve un peu là où y’a des conflits ?
Peter : Le condottière, et plus largement le mercenariat, c’est un sujet pour moi d’histoire globale. Il faut le réinsérer dans l’espace européen, qui est une multitude d’espaces selon les différentes zones géographiques : donc l’espace italien, l’espace français etc. etc. On retrouve des condottières, par exemple la Compagnie Catalane de Roger de Flor – considéré comme le père de tous les condottières – c’est à la toute fin du XIIIe siècle, qui combat dans l’empire byzantin.
Fanny : Donc oui, en fait, il y a aussi quelque chose qu’on a, que tu as un petit peu dit, mais qui est important de préciser, c’est qu’un condottière n’est jamais seul.
Peter : On peut même considérer en soi, que les condottières, du moins au XIVe siècle – ça sera un peu plus à nuancer au XVe – sont une véritable classe sociale qui se gère entre elle. Au XIVe, comme on est sur un modèle « étranger », il n’y a pas toute cette question de la reproduction de tout ça. Ils vivent entre eux, puisque c’est une compagnie qui bouge, on peut dire en soi un c’est une forme d’État en mouvement qui a sa propre organisation, ses propres trésoriers, ses propres chanceliers, qui est tout le temps en mouvement.
Fanny : Y’a une caisse de retraite des condottières ou pas ?
Peter : [rires] Non il n’y a pas ça. Ce qui évoluera au XVe, avec la pratique dont on parlera probablement après de l’insignoramento. À la fin du XIVe siècle, les condottières étrangers vont partir, progressivement, car il y a d’autres combats en Europe, que ce soit la reprise de la guerre de Cent Ans, par exemple. De plus en plus de villes, en particulier dans l’Empire Romain Germanique, vont interdire à leurs habitants de venir combattre en Italie pour se faire de l’argent et on a un processus d’italianisation du phénomène condottière, qui va faire énormément bouger les choses puisqu’en soi, le XIVe siècle apparaît comme une parenthèse dans l’histoire militaire italienne, où ce sont des étrangers qui font la guerre pour les italiens. A la fin du XIVe siècle, les italiens reprennent la main sur les combats qui ont lieu chez eux, retirent ce péril étranger qui les menaçait et il y a énormément de changements qui vont apparaître à ce moment-là.
[intermède]
Fanny : Et justement, tu étudies l’un de ces mercenaires dans ton Master 2, donc ce fameux Bartolomeo Colleoni. Pourquoi tu as voulu l’étudier, lui en particulier ?
Peter : Alors comme pour le sujet, je n’ai pas voulu l’étudier [rires de Fanny] lui en particulier à la base. Disons que Bartolomeo Colleoni a toujours été un peu un fil conducteur sans vouloir l’être. Il est connu principalement car, à Venise, se trouve une statue équestre le représentant qui a été dessinée par Andrea del Verrocchio, le maître de Léonard de Vinci…
Fanny : D’accord.
Peter : …qui a été coulée par un sculpteur vénitien qui s’appelle Alessandro Leopardi, plus tard, et qui est actuellement sur le Campo San Zanipolo à Venise. C’est une place au nord de Venise, à côté d’une basilique.
Fanny : On mettra la photo sur le site passionmedievistes.fr.
Peter : L’histoire de la statue est un peu particulière : c’est qu’à la base, Colleoni voulait que la statue équestre soit édifiée sur la place Saint-Marc !
Fanny : [rires] Le melon du mec quoi !
Peter : On ne se refuse rien. Mais les Vénitiens jugeant que la place Saint Marc était le cœur politique de la cité, ont trouvé une parade en disant : « on va pas le mettre sur la Piazza San Marco, on va le mettre à proximité de la scuola di San Marco ». [rires de Fanny]. Sauf que du coup, la statue se retrouve à l’opposé de la ville, isolée sur une place.
Fanny : D’accord.
Peter : On connaît surtout Colleoni par rapport à ce monument équestre. Au début de mon master 2, où je m’orientais plus sur des recherches consacrées aux vies, aux morts, aux sépultures et aux testaments des condottières, j’ai fait des recherches autant que possible dans les fonds italiens à la recherche d’un testament de condottière, tout simplement. Ça a été « retracer complètement le parcours des différents condottières que j’avais », parce que en soi ils sont extrêmement nombreux. Il y a un site italien consacré aux condottières qui en recense un peu plus de 2700…
Fanny : Ah ouais ! Ah ouais, ouais…
Peter : Voilà. Au XVe siècle, il y aura beaucoup moins de mercenaires, il y en a un peu près entre 130 et 150…
Fanny : Et principalement italiens ?
Peter : …et principalement italiens ; et principalement pour 60% d’entre eux, d’une part noble et d’autre part originaires des mêmes familles. Il y a des dynasties condottières qui se forment progressivement, où le métier se transmet de père en fils ou d’oncle en neveu. En me confrontant au système des archives italiennes, qui n’est pas le même que les archives françaises, et tout ça en restant sagement à Reims puisque je ne me suis pas rendu du tout en Italie pour mon mémoire….
Fanny : Ohh…
Peter : …Malheureusement. J’ai réussi à trouver numérisé, sur le site des archives de Bergame, la version numérisée du recueil contenant les minutes notariales où il y a la transcription du testament de Bartolomeo Colleoni.
Fanny : Ah oui !
Peter : Quand je dis que les joies de la recherche, c’est à partir d’une note de bas de page découvrir des sources… J’ai passé toute ma première année sans sources… [rires de Fanny]… à la recherche de sources, où c’était vraiment un mémoire de bibliographie.
Fanny : Elle avait jamais été étudiée ?
Peter : Alors, elle a été étudiée en Italie, car les condottières sont bien évidemment beaucoup plus étudiés en Italie, mais d’un regard français pas que je sache. À partir d’autres notes de bas de page, à partir de ces minutes notariales qui – pour résumer très vite : l’écriture de médecin actuel, c’est l’écriture notariale du XVe siècle [rires de Fanny] – ils sont très difficilement transcriptibles, j’ai réussi à trouver une copie d’époque, enluminée sur un magnifique manuscrit, du testament et du codicille qui étaient conservés dans le dépôt d’archives de la ville voisine, l’Archivio di Stato de Brescia, qui a gentiment accepté de me l’envoyer, sans que je n’ai à venir le consulter sur place.
Fanny : Ah ouais, c’est chic ça !
Peter : Magnifique. Je les remercie tous les jours [rires de Fanny]. Je les remercie tous les jours, car ils m’ont vraiment, on peut dire changer la direction de mon mémoire.
Fanny : Donc une fois que tu avais cette source, tu as pu te consacrer – et te concentrer – sur cet homme en particulier ?
Peter : Exactement. À partir de ses dernières volontés, il y a un testament et un codicille. Le codicille, c’est une annexe que l’on rajoute à posteriori au testament principal. J’ai pu étudier comment Colleoni avait préparé sa mort, avait organisé la dispersion de ses biens entre ses différents héritiers, et tout le processus que le condottière a mis en place pour organiser ses dernières volontés.
De là, j’étudie sa vie et je montre à quel point les dernières volontés sont aussi représentatives de ce qu’a été la vie du condottière. Ce qui se passe au XVe siècle avec « l’Italianisation », c’est que les condottières vont se resserrer au niveau de l’organisation sociale. On peut faire toute une analyse des réseaux condottières de plus en plus, puisqu’on se répartit entre dix et treize familles je dirais. Et tu fais du procédé d’enseigneurement – le mot est moche en français je préfère insignoriamento, c’est plus clair, ces condottières – [ceux] qui étaient de simples capitaines mercenaires qui combattaient pour un État vont se sédentariser, ou dans un autre nombre assez important de cas, ce sont des seigneurs de petits États qui vont devenir condottières pour dire d’assurer leur indépendance et qui se mettent au service d’autres, sachant qu’ils ont eux-mêmes la culture militaire etc. etc. Et ils assurent d’une part, le financement de leur Etat, d’autre part leur statut, grâce au condottièrisme.
Bartolomeo Colleoni, lui c’est un peu particulier. Il y a aussi des roturiers, il faut préciser, dans les condottières que ce soit au XIVe au XVe siècle, et Colleoni ce n’est pas vraiment un roturier. Il est dans un statut intermédiaire à chaque fois, c’est assez drôle, on a toujours l’impression que c’est celui qui est au milieu de tous les statuts [rires partagés]. Pour expliquer simplement, Bartolomeo Colleoni descend d’une des familles patriciennes les plus importantes de Bergame, qui vivait dans un château à l’extérieur. Bergame, c’est à 40 kilomètres de Milan, et c’est…l’histoire de la ville évolue pendant la période de la vie de Colleoni, justement. Bartolomeo Colleoni, il naît à la toute fin du XIVe siècle. On ne sait pas si c’est 1392 ou 1395, ou comme il l’a fait dire lui ,1400 [rires de Fanny]. On sait juste qu’il est mort aux alentours de 80 ans, ce qui est déjà énorme.
Fanny : Ah oui, quand même, c’est énorme !
Peter : Ce qui est déjà énorme.
Fanny : Surtout pour un mec qui fait la guerre, quoi.
Peter : Voilà. Surtout quand on sait que, au XIVe siècle, décapiter pour trahison un condottière était assez monnaie courante.
Fanny : Ah donc les risques du métier, quand même étaient assez importants.
Peter : À partir du moment où on commençait à se mêler de politique, c’est sûr que mieux valait avoir une certaine assurance vie derrière pour les héritiers. Donc il naît entre 1392 et 1395, dans un château qui est à côté de Bergame, qui s’appelle Solza. La famille réussit, par la conquête d’un château qui appartient aux Visconti, à s’assurer une forme d’indépendance, de revenus etc. etc. Or, il se trouve que le père de Colleoni et son frère aîné sont tués et que lui, se réfugie dans un château qui appartient à un autre condottière important qui s’appelle Braccio da Montone, qui va lui offrir son premier cheval. Oui, raconté comme ça, on a l’impression que c’est une histoire pour enfants au début, mais…
Fanny : Non mais c’est, c’est quand même, le cheval au Moyen Âge, c’est quand même réservé à une certaine classe.
Peter : …Voilà. Et [da Montone] va le former progressivement au métier de condottière. Ainsi en 1411, il commence comme page à la cour de Filippo Arcelli, à Plaisance, et à partir de 1418-1419, il commence son parcours de condottière. Tout d’abord, au service de celui qui lui a offert ce fameux cheval, qui à ce moment-là combat à Naples. Braccio da Montone dépend du plus important général de la reine de Naples, Jeanne II, c’est à dire l’épouse de notre looser préféré, Jacques II.
Fanny : Dont on avait parlé dans un épisode du podcast, y a…ouf y a fort longtemps.
Peter : Il y aurait des légendes aussi, disant que la reine Jeanne trouvait Colleoni fort beau etc. etc. [rires de Fanny] Je ne sais pas si c’est avéré que Colleoni a eu une relation avec la reine Jeanne II, qui est dépeinte mais comme une croqueuse d’hommes, en général…
Fanny : Oui bon, l’historiographie et les femmes, on sait que…
Peter : …Exactement et c’est tout à fait critiquable d’ailleurs. On sait juste que Colleoni commence son service militaire à Naples. Il combat, il participe à une bataille très importante qui est a lieu à l’Aquila, où il est au service de Braccio da Montone, qui lui sera blessé et mourra sur le champ de bataille tandis que le condottière le plus important du camp adverse, Muzio Attendolo, « Sforza » – enfin surnommé Sforza par la reine Jeanne II d’ailleurs -, lui a voulu récupérer des hommes qui étaient restés sur l’autre rive du fleuve qui passe à côté de l’Aquila, et nous a fait une Frédéric Barberousse en tombant dans l’eau en armure. [rires de Fanny] Voilà.
Colleoni continue son parcours au service d’autres condottières. Il combat un moment à Florence, et la partie la plus importante de sa vie commence en 1431. Alors pourquoi 1431 ? Il faut savoir qu’en 1428, dans la conquête progressive de ce qu’on appelle le Dominio da Terra Ferma pour Venise – c’est à dire les «terres fermes» c’est la Vénétie, une partie de la Lombardie actuelle par Venise -, Bergame passe sous domination vénitienne. Elle était sous la domination des Visconti de Milan, dont l’État s’effondre petit à petit entre la fin du XIVe et 1447, la mort du dernier duc Visconti de Milan, Filippo Maria Visconti. Bergame passe de l’autre côté de la frontière et Colleoni a quand même cet attachement à Bergame, c’est sa ville natale, sa famille en vient, c’est une famille patricienne, donc Bergame va jouer un rôle majeur dans la vie de Colleoni jusqu’à la fin. D’ailleurs c’est là-bas qu’il est enterré.
En 1431, il est embauché, enfin il est stipendié pour utiliser le bon terme, «stipendié» c’est sous-entendu «soudoyé» par Venise. Il commande alors 40 chevaux dans l’armée du capitaine général de Venise à ce moment-là, qui s’appelle Carmagnola.
Fanny : Donc là il est pas encore condottière ?
Peter : Il est condottière. En fait, le système condottière est une forme de système pyramidal, au XVe siècle du moins, où tu as un condottière principal qui est à la tête de l’armée et tu as toute une subdivision de condottières en dessous, ayant un certain nombre d’hommes à leur service, et qui selon même qu’ils gagnent ou qu’ils perdent les batailles, s’ils ont l’honneur, la force, le courage au combat, peuvent progressivement monter en grade.
Fanny : Oui, et si celui au-dessus de lui, il meurt entre-temps, c’est pratique aussi.
Peter : Ce qui était assez facile en général dans l’Italie de cette époque.
Fanny : Oui, voilà, donc l’honneur, le courage, enfin c’était plus une guerre de dominos…
Peter : Bah par exemple, Carmagnola, on l’appelle comme ça parce qu’il est comte de Carmagnola, son vrai nom c’est Francesco Bussone. Il est décapité par les Vénitiens…
Fanny : D’accord.
Peter : …entre les deux colonnes qui sont au bout de la place Saint Marc, les colonnes de San Marco et San Teodoro, parce que les Vénitiens avaient peur qu’il ne les trahisse.
Fanny : Ah oui, quand même.
Peter : En fait, les États ont toujours eu cette peur de la trahison par les condottières. Ça fait partie de tout ce qu’il y a d’aspects négatifs dans le condottièrisme, [avec] le côté «le camp en face me propose une somme d’argent plus importante, je vais en face».
Fanny : Parce que c’est arrivé aussi, c’est pour ça qu’ils ont peur.
Peter : C’est beaucoup arrivé au XIVe siècle, qu’il y ait des retournements de situation, des changements de camp en pleine bataille etc. etc. L’avantage du XVe siècle, c’est qu’il y a de plus en plus des solutions diplomatiques qui sont trouvées à bon nombre de conflits. En fait, le XIVe siècle est un siècle où il y a énormément d’États régionaux qui se forment en Italie. Il y a donc une forme, de plus en plus par les États, de volonté d’agrandissement. C’est les Etats les plus forts qui absorbent les États les plus faibles, en soi.
Fanny : Logiquement.
Peter : Par exemple, Florence qui s’agrandit de plus en plus entre toute la fin du XIVe et le début du XVe jusqu’à atteindre tout le nord de la Toscane, Pise comprise – l’ancienne République maritime de Pise – qui était quand même une cité maritime médiévale assez importante, qui tombe sous domination florentine.
Pour revenir à l’exemple de Colleoni. Quand Venise s’agrandit sur la terre ferme, [et] conquiert progressivement toutes les cités de Vénétie, que ce soit Vérone, Trévise, Padoue, ils avancent vers les Visconti, de plus en plus vers Milan. Ils prennent Brescia donc qui est la ville juste à côté, et ils prennent en 1428, Bergame. Bergame-Milan, ils sont à 40 kilomètres. Les Milanais ont eu très chaud [rires de Fanny], on peut le dire.
Dans ce système pyramidal donc, Colleoni s’insère – enfin, a été inséré – avec le soutien d’un condottière qui l’a formé au métier des armes – et il va progressivement monter en grade, avoir de plus en plus de soldats mercenaires dans ses compagnies jusqu’à atteindre le niveau ultime pour lui. Il va devenir capitaine général des armées vénitiennes.
Fanny : Ah ouais, la classe.
Peter : Colleoni se met en lumière en 1431, tout de suite, au moment il arrive à Venise, car il capture un autre condottière. Il y a tous les soldats entre le condottière et lui quand même. Lui et sa troupe réussissent à en capturer un autre, ce qui n’est pas si courant que ça. Il y a une forme de disgrâce de Colleoni à la mort – à l’exécution dont on a parlé précédemment – de Carmagnola et il sert comme capitaine de rang inférieur dans l’armée vénitienne. Il reste encore au bas de la pyramide pour le moment. Progressivement, il va participer à toutes les campagnes que Venise va mener pendant toute la décennie 1430-1440. Par exemple, il défend Bergame, à un moment, contre un autre condottière qui s’appelle Niccolò Piccinino. Puis il va défendre Brescia avec un autre mercenaire qui s’appelle Gattamelata, où là c’est important car Gattamelata, avec Colleoni, ce sont les deux seuls qui ont eu effectivement une statue équestre dans l’Italie du XVe siècle. Il y a eu énormément de projets de monuments équestres, à leur gloire mais ce sont les deux seuls qui ont été réellement réalisés. Donc il combat, de plus en plus, sachant que à ce moment-là y a énormément de guerres, ce qu’on appelle les guerres anti-Visconti, entre majoritairement les Vénitiens et les Milanais, c’est toute la constitution progressive dont on a parlé, voilà. Il combat beaucoup. Accessoirement, entre-temps en 1433, il se marie avec Tisbe Martinengo qui vient de la famille des Martinengo, une famille où ils font aussi du condottièrisme.
Fanny : Ça reste bien cohérent.
Peter : On reste vraiment dans ce système de classe et de réseaux. Il monte en grade (x3), il obtient des fiefs car la condotta va évoluer, elle ne fixe plus uniquement les durées d’engagement et le moyen de paiement. Au XIVe siècle c’était les Etats qui finançaient par exemple les chevaux, l’équipement. Tu avais des clauses qui permettaient de renouveler les chevaux quand ils mouraient au combat, selon les types, avec une somme, un remboursement à la clé, etc. etc. Au XVe siècle, là où ça change, c’est que le condottière est propriétaire de sa troupe. Les soldats ont une vraie dépendance et une vraie fidélité avec le condottière en chef – qui est en haut [de l’ordre militaire] – puisque c’est lui qui les recrute. C’est vraiment [le moment où l’on] passe du modèle des armées mercenaires ou de «l’Etat mercenaire parcourant toute l’Italie» à l’idée du général avec ses soldats, qui se met au service de l’Etat le plus offrant.
Fanny : D’accord.
Peter : En 1442, il se passe ce qui peut se passer souvent avec des vacataires : Colleoni n’est pas payé par Venise.
Fanny : Ah oui ?
Peter : Il déclare ne pas vouloir renouveler son contrat et il passe à l’ennemi. Il est embauché par Filippo Maria Visconti, le duc de Milan.
Fanny : Donc là, ça faisait quasiment 15 ans qu’il était – ouais 10 ans – qu’il était bien fidèle à Venise, et juste parce qu’il a pas d’argent, paf il passe à l’adversaire ?
Peter : L’argent reste le nerf de la guerre, quelle que soit l’époque. Donc, il passe au service de Milan. Il reçoit 1 500 chevaux en soldats et un château en résidence.
Fanny : Oui ça va, il est bien accueilli, quoi.
Peter : Il est plutôt bien accueilli. Il effectue diverses missions pour les Visconti pendant la période où il les sert. Il combat avec d’autres condottières, tout pareil. Et il se passe quelque chose de tragique si on peut dire [rires]. Non, quelque chose de très important en Italie, c’est qu’en 1447, Filippo Maria Visconti, le dernier duc Visconti de Milan, meurt sans héritier mâle….
Fanny : Ouh… Donc là, ça veut dire qu’au sein des Visconti de Milan, on a des problèmes.
Peter : Bah… a plus de duché…
Fanny : A plus duché carrément ?
Peter : …A plus de duché, le duché tombe. Il y a une République, la République Ambrosienne qui remplace le duché, [et] qui garde Colleoni à son service, et à ce moment-là, il va faire une bataille hyper-importante pour lui, c’est la bataille de Bosco Marengo, où il réussit à défendre Milan et il défait le prétendant orléaniste…
Fanny : Orléaniste ? Oh non…
Peter : …Oui ! Il faut comprendre que les Visconti ont cherché à s’implanter un peu en dehors de l’Italie. [À] la bataille de Bosco Marengo, il réussit à défaire et à s’emparer, là encore du capitaine français qui s’appelait de Dresnay, et c’est considéré comme sa première grande victoire en tant que capitaine. Je passe, je passe. Il continue de considérer pendant ce temps que, bon, Bergame est chez l’ennemi. Les possessions qu’il a [lui] dans la région de Bergame, sont chez l’ennemi, à Venise. En 1448, re-changement de camp. Il signe une conduite, une condotta avec Venise, pour…
Fanny : Parce qu’il n’a pas été payé ? Parce qu’il pensait à Bergame ?
Peter : Parce que, de plus en plus, il envisageait de repasser du côté vénitien. Parce que le problème, c’est que la République Ambrosienne est très disputée : il y a plusieurs prétendants pour restaurer le duché dont un condottière, Francesco Sforza, qui est marié avec une fille illégitime du dernier duc Visconti.
Fanny : Donc on a une bâtarde, là ?
Peter : On a une bâtarde. Coucou Lili.
Fanny : Ah voilà, on avait fait un épisode sur les bâtards, donc c’est pour ça.
Peter : Et en plus ce qui est bien, c’est que du fait chez les condottières, les femmes jouent un rôle très important au niveau de toute la création d’alliances matrimoniales, qui se transforment en alliances militaires et politiques, derrière. Il repasse au service de Venise, pendant un temps, et il subit une grosse défaite : c’est la bataille de Caravaggio, qui est considérée comme fatale contre Francesco Sforza qui lui est resté au service de Milan. Je passe – enfin je résume – sur le fait que finalement, c’est Sforza qui va réussir à se faire de facto proclamé duc, même s’il n’aura jamais vraiment le titre de duc approuvé par l’empereur du Saint-Empire Romain Germanique. Mais Sforza devient et restaure «duc de Milan». À ce moment-là, Colleoni est toujours au service de Venise. Il y reste et il y a un grand désaccord qui va avoir lieu. Le capitaine général des armées vénitiennes à ce moment-là, qui s’appelle Sigismondo Malatesta, est en désaccord avec la République, interrompt son service et s’en va. Plus de capitaine général…
Fanny : Et donc une place se libère.
Peter : Sauf que, et bah c’est pas Colleoni qui va la remporter !
Fanny : Oh no !
Peter : Pourquoi ? Parce que le Sénat choisit un autre condottière, qui s’appelle Gentile da Leonessa, qui est certes jeune, [et] a moins d’expérience au combat que Colleoni mais est l’héritier de Gattamelata, dont on a parlé précédemment et a récupéré ses troupes. Des troupes qui sont du fait aguerris au combat et qui, comme il est l’héritier de Gattamelata, respectent le chef.
Fanny : Il y a une forme de népotisme, en fait ?
Peter : Il y a une forme de népotisme, une forme de « je transfère mes armées à mon héritier ». Voilà.
Fanny : Bon, l’Italie quoi [rires partagés].
Peter : C’est pas, c’est pas la mafia, mais…
Fanny : Mais…
Peter : Bon, tout ça pour dire c’est un exemple de dynastie condottière. Colleoni de fait, comme il n’est pas nommé capitaine général, les Vénitiens ont peur que Colleoni les trahisse. Et bah, il repasse à Milan. Pourquoi ?…
Fanny : Ah, non ! Mais…
Peter : Pourquoi ? Parce que les Vénitiens ont envoyé le nouveau capitaine général attaquer le camp de Colleoni qui se trouvait en territoire vénitien, de peur qu’il ne les trahisse. Sauf que en faisant ça, bah, ils ont provoqué ce qu’ils cherchaient à éviter. Donc, il repasse un temps au service de Sforza. Pas longtemps. Il continue de mener des missions pour Sforza en tant que condottière du duc de Milan etc‧etc. Et il se passe toute une série de paix, au cours du XVe siècle, du fait des volontés des différents États de stabiliser l’Italie, dont la paix qui est encore considérée la plus importante est la paix de Lodi de 1454. À ce moment-là, Colleoni repasse à Venise…
Fanny : Mais…
Peter : Là ça va, parce qu’il restait entre deux États principaux, entre Milan et Venise. Au XIVe siècle, en général on pouvait changer d’État très régulièrement.
[intermède]
Fanny : Donc là, il a à peu près quoi, 60 ans ? Il commence à être un peu âgé là, ça y est, ça suffit.
Peter : …Ah mais non ! [rires de Fanny] Tant qu’on peut combattre on continue, en soi. En fait, à travers les différents condotte au XVe siècle, les États vont chercher de plus en plus à fidéliser les condottières à leurs États. Donc, il n’y a plus seulement l’argent. On leur donne des titres, des fiefs. surtout des fiefs en l’occurrence. De plus, les durées des contrats sont volontairement de plus en plus longues. Au XIVe siècle, on embauche le condottière avec ce qu’on appelle une « conduite ferme » de 6 mois et il reste au service 6 mois. Et après il peut [aller combattre ailleurs] voilà. Au XVe siècle, les durées des contrats s’allongent. On atteint des durées de un an, renouvelable, par exemple, assortie d’une autre condotta, qu’on appelle une « condotta de réserve » où c’est censé être pour un temps plus de paix, où il reste employé par l’Etat mais ne combat pas. Ça permettait de prévenir les risques de défection et en même temps de garder une forme d’armée toujours présente au cas où d’un seul coup, il y est une révolte ou quoi qui se déclencherait quelque part. On avait déjà une troupe condottière qui était prête.
Colleoni, donc, par ces différentes condotte – au pluriel en italien – avec Venise a obtenu plusieurs fiefs dans la région de Bergame. Il voulait obtenir Bergame elle-même mais ne l’a jamais eue parce que Venise ne renonce jamais à une seule once de son pouvoir. Mais, il réussit à obtenir une dizaine de fiefs qui forment une forme de petit État, dans l’État [vénitien]. Ce qui est très important, c’est que l’État Colleoni se trouve dans la province de Bergame. Bergame, c’est la frontière avec Milan. Donc, on peut dire que les terres Colleoni, dirigées par celui qui devient capitaine général en 1456…
Fanny : Hum hum.
Peter…il y arrive enfin – vont former une forme d’État-tampon entre Milan et Venise, où lui va défendre la terre. Il n’y a quasiment plus d’affrontements pour Colleoni après, il reste un peu statique à Bergame, il développe de plus en plus…
Fanny : Bah là il commence à être âgé aussi, enfin quand même, là même s’il peut bouger…
Peter : Voilà. Mais, le XVe siècle est marqué par le grand basculement chez les condottières du statut purement militaire à un double statut politico-militaire.
Fanny : D’accord.
Peter : Du fait qu’ils sont ou deviennent seigneurs, ils vont agir en prince. Agir en prince, c’est avoir un château, que l’on fait décoré par des artistes – de la Renaissance, donc du mécénat en l’occurrence. C’est préparer ses dernières volontés, la transmission de ses biens, faire des œuvres de charité ou des œuvres pieuses, créer ou rénover des monastères par exemple, et prendre soin de la population dont on est [seigneur], même si chez Colleoni, il reste toujours la tutelle vénitienne au-dessus. Il a cherché de plus en plus à s’en affranchir, mais elle reste toujours là. Donc il renouvelle ses conduites, il continue d’avoir des troupes pendant tout le temps. Il est toujours le capitaine général donc il peut toujours être appelé à combattre. Il va combattre une seule fois, c’est dans un cadre de révolte d’exilés florentins contre la famille Médicis, qui avaient – ça reste le principe du prince sans couronne à Florence où les Médicis sont au pouvoir sans l’être officiellement, il y a toujours un régime à façade républicaine –, mais ces exilés florentins anti-Médicis ont embauché Colleoni. Ça s’est soldé par un échec, il s’est fait battre par un autre condottière très important, celui qu’on considère comme l’archétype du prince condottière : Federico da Montefeltro, Frédéric de Montefeltre, le duc d’Urbino. Urbino qui est considérée comme la cité idéale de la Renaissance. Il se fait battre et à partir de ce moment-là, Colleoni reste dans ses terres.
Fanny : Jusqu’au testament que tu étudies ?
Peter : Jusqu’à sa mort. Il joue quand même un rôle fondamental du fait de ses fiefs, de ses différentes possessions, et de son statut, mais il ne combattra plus. Je fais une ellipse, je passe de ses derniers combats à 1475, c’est l’année de sa mort. Fin 1475, Colleoni tombe très malade. Il a l’hépatite.
Fanny : Ah ouais.
Peter : Truc moche. En général, les condottières souffrent de la goutte, du fait de leur côté très princier, consommation excessive de viande etc. etc. La maladie du condottière, souvent c’est la goutte. Par exemple, Frédéric de Montefeltre est mort de ça, de la goutte. Les Médicis, c’était une famille [où ils] étaient tous touchés par la goutte. Et Colleoni, il a l’hépatite. On sait juste qu’il en suit une longue agonie de plus d’un mois, où il est dans son château et où là, il va finir par y mourir.
Fanny : Et c’est là qu’il rédige le testament ou il avait déjà rédigé un peu avant ?
Peter : Alors il a déjà fait un testament en 1468, qu’il a cassé pour faire un testament en 1475.
Fanny : D’accord.
Peter : Sur son lit de mort, où il y a plusieurs notaires, avec des témoins dans sa chambre de mourrant – on peut dire – et il dicte ses dernières volontés.
Fanny : Est-ce qu’il y a quelque chose de particulier dans ses volontés ?
Peter : Alors, le testament concerne précisément toute sa relation avec d’une part sa famille, sa cour car il avait fait dans le château qu’il avait acheté – au milieu de ses fiefs, le château de Malpaga – où il meurt, il a organisé une cour. Il a des sénéchaux ; des chanceliers ; il y a même des bouffons, toute une cour princière. C’est le principe du condottière qui veut être prince. Donc, il donne un peu à toute sa cour : il distribue de l’argent, ses fiefs, ses biens, tandis que le codicille est plus important car il correspond à ses relations en particulier avec Venise. Il rajoute un peu pour ses filles, pour ces filles illégitimes etc. etc. Mais il y a vraiment une dissociation. Le testament le concerne lui plus directement, alors que le codicille, c’est un ajout qui a lieu deux jours après la rédaction du testament. Il rajoute encore de nouveaux items. Pour Venise, c’est dans le codicille par exemple qui demande la fameuse édification de la statue dont on a parlé.
Fanny : D’accord, c’est donc une statue post-mortem.
Peter : La statue, il demande une «image pour la mémoire perpétuelle du condottière» qui sera élevé sur la place Saint-Marc.
Fanny : Mais finalement, non.
Peter : Mais finalement, non, voilà et c’est toute l’histoire. Il meurt et il avait entrepris l’édification, à Bergame dans la ville haute, à proximité de la basilique Santa Maria Maggiore, d’une chapelle – la Cappella Colleoni – où il a été mis. Le seul problème, c’est qu’il est mort un peu vite et que la chapelle n’était pas terminée [rires de Fanny], mais du coup, il a été mis dans son tombeau deux mois après sa mort. Il y a eu une toute une messe funèbre, deux oraisons funèbres qui ont été prononcées, dont une qui a été imprimée par l’auteur après. Et Colleoni a été retrouvé, puisqu’on a longtemps cherché où était précisément son corps : l’emplacement précis avait été perdu. Et le 21/11/1969, on a retrouvé son corps, plutôt bien conservé. On a encore trace des vêtements avec lesquels il était habillé dans son sarcophage dans la chapelle, donc on sait qu’il est là.
[Intermède]
Fanny : Et jusqu’à quand va perdurer le statut des condottières ?
Peter : Alors les condottières, il va y avoir un moment hyper important. C’est 1494 : l’arrivée des français de Charles VIII en Italie. Charles VIII cherchant à faire valoir ses droits sur le trône du royaume de Naples, puis Louis XII qui va revendiquer en plus du royaume de Naples, le duché de Milan. C’est l’arrivée des étrangers en Italie, ce qu’on appelle « la chute de l’Italie ». L’Italie cesse d’être totalement indépendante. Ce statut va perdurer, on le sait, jusqu’à l’unification italienne au XIXe siècle. Les contemporains commencent à dire que le modèle condottière a été absolument néfaste, et c’est de là que vient toute cette part extrêmement négative de la perception qu’on a des condottières aujourd’hui. Par exemple, l’un de leurs principaux détracteurs, c’est Machiavel, qui dit « Les mercenaires et auxiliaires sont inutiles et dangereux. Si quelqu’un tient son pouvoir fondé sur les armes mercenaires, il ne sera jamais solide, ni sûr. Elles ne veulent bien être à votre solde pendant que vous ne faites pas la guerre, mais lorsque vient la guerre, ne veulent que s’enfuir ou s’en aller. Chose dont je devrais avoir peu de peine à persuader parce qu’aujourd’hui, la ruine de l’Italie n’est causée par rien d’autre que s’être reposé durant nombre d’années sur les armes mercenaires. » [Nicolas Machiavel, Le Prince, Livre XII].
Fanny : Donc là, clairement, il désigne les condottières.
Peter : Et ça va rester dans l’historiographie pendant très longtemps. Les condottières quant à eux, du fait de cette arrivée d’armées étrangères, ils vont continuer d’exister en soi. Mais comme il y a eu toute cette politique d’enseigneurement, il va arriver un moment où les condottières princes vont devenir plus prince que condottière et perdre ce côté mercenaire-militaire, pour devenir des princes-seigneurs à l’image de tous les seigneurs qui peut y avoir en Europe, que ce soit des ducs ; des marquis etc. etc. Mais on trouve encore des condottières jusqu’environ les années 1550. Quand on sait que la fin des guerres d’Italie c’est le traité du Cateau-Cambrésis en 1559, le phénomène condottière s’essouffle de plus en plus, déjà par cette volonté des États d’avoir des armées permanentes, donc de les garder à leur service, et d’autre part, par cette arrivée étrangère en Italie qui va faire que on va vraiment passer sur le modèle des armées étatiques, organisées, structurées et où le mercenariat disparaît.
Fanny : Et ce qui est intéressant aussi avec les condottières, c’est que, aujourd’hui, là attention petit flashforward, on avance au 20e siècle, et bien les condottières sont présents dans certaines choses. Alors moi, j’avais entendu parler des condottières et j’avais aucune idée de ce que c’était, pour la première fois dans un jeu de société, vraiment un jeu de société avec des petits jetons et tout, qui s’appelle Citadelles, où on a plusieurs personnages, et un des personnages c’est le condottière, qui en fait le pouvoir de … un pouvoir de destruction. Et donc raconte nous un peu Peter, comment ça se fait qu’on parle encore des condottières aujourd’hui ?
Peter : En fait, du fait des modèles de représentation des statues équestres, on se souvient des condottières plus pour ce côté très héroïque au combat, ce côté de figuration théâtrale, parce qu’en soit une statue équestre, c’est une belle représentation que pour tout ce côté sombre que l’historiographie a créé autour d’eux. Par exemple, la statue équestre de Bartolomeo Colleoni, à Venise, je l’ai retrouvée dans un film d’animation japonais des studios Ghibli que beaucoup de monde doit connaître qui s’appelle Kiki la Petite Sorcière.
Fanny : Ah bon ? [rires]
Peter : Oui, au tout début, à son arrivée dans la ville, elle mange son déjeuner au pied d’une statue. Ma statue en question est clairement inspirée – et on peut même dire que c’est la représentation – de la statue équestre de Venise.
Fanny : Ah, c’est génial.
Peter : Après, je fais partie de la génération qui a connu les premiers Assassins’ Creed quand ils étaient encore adolescents…
Fanny : Les jeux vidéo, ouais …
Peter : Il y a des condottières dans Assassins’ Creed.
Fanny : Waouh !
Peter : Un qui a été totalement inventé, l’oncle du héros, l’oncle d’Ezio, Mario Auditore, qui est à la tête de Monteriggioni. On le dit mercenaire mais on ne précise pas que c’est un condottière. Souvent, on occulte le côté condottière pour dire que c’est un chef mercenaire.
Fanny : Oui pour résumer, au moins on comprend bien.
Peter : Et un qui a vraiment existé : Bartolomeo d’Alviano, lui c’est celui qu’on voit qui cherche toujours son épée Bianca partout, et qui fait « Bianca je t’ai retrouvée ». On le représente un peu comme un couard qui a peur du combat alors qu’en fait Bartolomeo d’Alviano a été assez important puisqu’il a participé à une défaite très importante des armées vénitiennes en 1509 qui s’appelle la bataille d’Agnadel et il a participé à la bataille de Marignan.
Fanny : Aaaah, d’accord.
Peter : Voilà. Dans tout le côté un peu « propagande de la monarchie française » qui a dit Marignan est une victoire éclatante de la monarchie française, on oublie que Venise était alliée des français à ce moment-là, et qu’il y avait des renforts vénitiens qui sont arrivés sur le champ de bataille, dirigés par des condottières. L’un des derniers condottières les plus connus pour finir, celui où on dit c’est « le dernier des condottières », c’est Jean des Bandes Noires, – Giovanni delle Bande Nere en italien – qui lui est connu parce que déjà on lui a consacré un film, qui s’appelle justement Le métier des armes…
Fanny : D’accord.
Peter : …d’une part, et qui se trouve être le père de Cosme 1er, le futur premier Grand-duc de Toscane…
Fanny : D’accord.
Peter : Quand la branche aînée des Médicis s’éteint, c’est un fils de condottière qui prend le pouvoir à Florence. Et au final, la carte politique de l’Italie de la fin du XVe et du XVIe est profondément marquée par des dynasties condottières qui ont réussi à se maintenir au pouvoir. Et même, si je vous dis qu’on trouve des condottières dans Game of Thrones.
Fanny : Ah bon ? Où ça ?
Peter : Est-ce que si je te dis la Compagnie Dorée ?
Fanny : Oui, bah oui, c’est des… mercenaires.
Peter : Ce sont des mercenaires, ils sont basés à Bravos. Bravos, qui est représentée comme une ville se trouvant dans une forme de lagune avec des canaux, et qui est aussi le siège de la Banque de Fer. La Banque de Fer est librement inspiré des grandes banques florentines de la Renaissance. La Compagnie Dorée, on pourrait dire que c’est un exemple de condottièrisme mis dans une série actuelle.
Fanny : Comme quoi, on retrouve des condottières partout, même dans Game of Thrones !
[Intermède]
Maintenant, chers auditeurs et auditrices, vous en savez beaucoup plus sur l’Italie au XIVe et au XVe siècle. Vous voyez qu’effectivement, c’est compliqué l’Italie à cette époque-là, donc merci beaucoup Peter Morel pour tout ce que tu nous as raconté, c’était passionnant. Ça y est, j’ai envie d’aller en Italie maintenant, dès que ce sera possible.
Peter : Merci à toi Fanny.
Fanny : Si vous voulez en savoir plus, si vous voulez vous replonger dans le contexte, allez voir sur le site passionmedievistes.fr, on mettra des explications, on mettra des cartes, on mettra des photos de cette fameuse statue équestre. Allez voir, on mettra plein d’éléments, mais aussi des conseils de lecture si vous voulez aller un petit peu plus loin et n’hésitez pas à aller écouter les autres épisodes de Passion Médiévistes. Voilà, on a eu plein plein plein de sujets différents. On approche bientôt de l’épisode 50, vous rendez compte ? Bientôt l’épisode 50, sur un sujet qui sera super, vous verrez.
Et voilà, vous avez aussi plein d’autres formats à écouter dans Passion Médiévistes. Si vous voulez vous imprégner du Moyen Âge, y’a plein de choses, et si vous l’écoutez dans les premiers jours de sa diffusion, il y a bientôt un nouveau podcast qui sort qui s’appellera Passion Antiquités, Antiquités avec un « s ». Je vous laisse aller voir dans votre application de podcasts, s‘il est déjà disponible, mais sinon soyez patients, il arrive. Donc on va faire ce qu’on fait déjà dans Passion Médiévistes et Passion Modernistes – là où on parle d’histoire moderne – mais dans Passion Antiquités, on va parler de toutes les Antiquités. Voilà je suis très, très, très contente du lancement de ce nouveau projet.
Je tiens à remercier spécialement Jonathan qui fait le montage. En fait, ça fait quelques mois que, grâce au soutien des personnes sur Tipeee, je peux payer quelqu’un, donc en l’occurrence Jonathan qui fait le podcast Osef, allez l’écouter, je peux l’employer et donc sortir encore plus d’épisodes de Passion Médiévistes, grâce à votre soutien sur Tipeee. Ce mois-ci, je tiens à remercier Aurel, Sam, Rita, Clémentine et Hélène. Merci encore beaucoup pour tous vos messages d’encouragement, je les lis tous, et chacun m’encourage à continuer. Et quand, j’ai des moments de baisse de moral en fait, il me suffit de les relire et paf c’est bon je suis repartie. Et justement, voilà, là, après la sortie de cet épisode, vous allez voir qu’il y a un format spécial qui va arriver fin janvier sur Passion Médiévistes, je ne vous en dis pas plus mais je vous préviens il y aura beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses à écouter, je vous laisse découvrir ça. Et dans l’épisode 48, qui sortira normalement début février 2021, on parlera des recluses au Moyen Âge. Salut !
Merci à Marion pour la transcription et à Peter pour la relecture !