Passion Antiquités

Épisode 28 – Isaac et l’exorcisme en Mésopotamie (Passion Antiquités)

A quoi servait l’exorcisme en Mésopotamie au Ier millénaire avant notre ère ?

La Mésopotamie est une aire historique et géographique souvent évoquée dans Passion Antiquités, mais dans c’est épisode 28 nous partons pour le Ier millénaire, une période moins abordée. Mon invité Isaac Ismael Kissane est diplômé du Master Mondes Anciens de l’Université Lyon 2. Il a réalisé un mémoire de première année sur l’exorcisme au Proche-Orient ancien (d’après les sources du Ier millénaire av. J.-C.) sous la direction de Virginie Muller, maîtresse de conférences en assyriologie. Il a aussi soutenu un mémoire de deuxième année de master sur les modalités de domination du territoire de l’Empire assyrien au Levant au Ier millénaire av. (d’après les sources archéologiques et textuelles).

L’objectif de son premier mémoire était d’explorer l’exorcisme au Proche-Orient ancien, au Ier millénaire av. notre ère d’après les sources historiques et philologiques permettant de comprendre autant la pratique (ses textes et rituels), ses offices, que le statut de ses officiants. L’exorcisme occupe une place importante dans la pensée et la pratique religieuse du Proche-Orient ancien, notamment en Mésopotamie où elle est très bien documentée.

Quel exorcisme en Mésopotamie ?

Plaque-de-conjuration-contre-Lamastu-Assyrie-env.-10e-7e-s.-av.-J.-C.-Bronze-138-x-88-x-25-cm-Musee-du-Louvre
Musée du Louvre, Département des Antiquités orientales, AO 22205 – https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010120479 

L’exorcisme mésopotamien s’inscrit dans une tradition ancienne, dont les premières attestations remontent au IIIème millénaire avavant notre ère. Toutefois, c’est au Ier millénaire que la documentation devient particulièrement riche, notamment grâce à la découverte et à la conservation de nombreux textes rituels et administratifs issus des fouilles des bibliothèques royales de Ninive (Assyrie) et de Babylone au XIXème siècle. Les sources utilisées par mon invité Isaac Ismael Kissane proviennent principalement de l’empire néo-assyrien (934-609 av. J.-C.), où l’exorcisme joue un rôle essentiel dans la protection du roi et de l’État, et plus sporadiquement de l’empire néo-babylonien (626-539 av. J.-C.) qui hérite et développe les traditions rituelles anciennes.

L’exorcisme peut se définir comme une pratique rituelle visant à combattre et expulser des entités ou des forces nuisibles, pouvant être considérées comme responsables de maladies ou de malheurs. Cette pratique prend place aussi bien dans le cadre privé (guérison des individus, particuliers) que dans le cadre officiel des temples et du palais royal, où il est utilisé pour préserver la souveraineté divine du roi et assurer la prospérité du royaume.

L’assyriologue Jean Bottéro définissait cette pratique de la façon suivante : « Souvent improprement appelé ‘ magie ’, c’était l’ensemble des procédés, mêlant et renforçant mutuellement rites manuels et oraux, exécutés pour écarter les maux de la vie » (BOTTÉRO 1987, p. 352.)

 

Des manuels et des rituels d’exorcisme précis

En Mésopotamie au Ier millénaire avant notre ère, l’exorciste (āšipu) est le spécialiste chargé d’intervenir avec ces entités, grâce à des incantations et des rituels souvent associés à des puissances guérisseuses (des dieux, mais aussi des démons). L’intervention de l’exorciste, un spécialiste formé à la récitation de formules rituelles et à l’exécution de gestes précis, vise à rétablir l’ordre cosmique en chassant les forces malveillantes.

Isaac Ismael Kissane explique dans l’épisode qu’il existe des pratiques et des rituels exorcistiques avant le Ier millénaire avant notre ère, mais ils sont pour la plupart moins bien documentés, moins bien standardisés. Dans l’éventail de textes exorcistiques et de manuels qu’il a étudié, le déroulement type d’un exorcisme suivait une structure précise qui peut inclure plusieurs étapes :

  • La préparation du rituel : le rituel commence par une purification de l’exorciste et du patient, impliquant des ablutions, des prières et la préparation d’objets rituels (matériel apotropaïque)
  • Invocation divine : L’exorcisme appelle à l’aide des divinités protectrices : souvent Ea (dieu de la sagesse), Marduk (poliade de Babylone), Shamash (dieu du soleil) ou Asalluhi (dieu de l’exorcisme)
  • Prononciation de l’incantation : des formules spécifiques sont récitées pour expulser l’entité malveillante
  • Gestes rituels : ils peuvent inclure la destruction symbolique d’une figure ex-voto matérialisant l’esprit, ces gestes s’accompagnent aussi d’usage de fumigations ou d’encens
  • Clotûre du rituel : l’exorciste s’assure que l’entité est définitivement bannie et scelle la protection du patient
Tablette K 3859(prière conjuratoire à Ea, Shamash et Marduk contre un spectre), British Museum
Tablette K 3859(prière conjuratoire à Ea, Shamash et Marduk contre un spectre), British Museum

On possède des textes qui sont étonnamment riches en informations sur le déroulé de certains rituels. On peut prendre pour exemple le rituel namburbi attesté dans la tablette LKA 114 au sein duquel une liste d’actions à effectuer est énumérée afin de conjurer un izbu, un mauvais esprit d’origine animale ou humaine, où l’action à réaliser est très claire :

“Afin d’écarter ce mal, [pour qu’il ne s’approche pas] de l’homme et de sa maison : tu vas au fleuve, tu construis une hutte de roseaux, [tu disperses] les plantes de jardin. Tu dresses un autel de roseaux, sur cet autel, tu verses sept offrandes de nourriture, de bières, de dates… Tu remplis trois vaisselles-lakanu de bière fine, et tu [mets en place] le pain en forme d’oreille, un grain d’argent, (et) un grain d’or.” etc (LKA 114, l. 5 – 23).

 

Des entités à excorciser

Au cœur des rituels exorcistiques mésopotamiens, on retrouve une conception du mal multiforme, incarné par des entités surnaturelles dont la nature, les effets et les intentions varient. Isaac Ismael Kissane vous présente dans l’épisode les différents corpus de textes étudiés dans ce mémoire, avec par exemple les recueils Utukku Lemnutu, Maqlû et Šurpu, ainsi que les rituels-namburbi, permet d’établir une typologie détaillée des forces à conjurer.

Les démons représentent l’un des périls majeurs dans la pensée religieuse mésopotamienne. Ils sont souvent décrits comme des agents du désordre, invisibles, mais redoutablement efficaces : responsables de maladies, d’échecs personnels pour de malheurs collectifs.

Autre exemple, le spectre (eṭimmu) incarne l’âme d’un défunt n’ayant pas reçu les rites funéraires appropriés, ou mort de manière tragique. Ces morts “mal enterrés” sont considérés comme hostiles aux vivants, leur souffrance les rendant envieux ou vengeurs. Ils se manifestent par des maladies chroniques, des troubles du comportement, des cauchemars ou des sensations de froid et de vide.

 

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

  • Abusch, Tzvi. 2002. Mesopotamian Witchcraft: Toward a History and Understanding of  Babylonian Witchcraft Beliefs and Literature. 1St Edition. Brill Academic Pub.
  • Abusch, Tzvi. 2015. The Witchcraft Series Maqlu. Annotated édition. SBL Press.
  • Black, Jeremy, et Anthony Green. 1992. Gods, Demons and Symbols of Ancient Mesopotamia:  An Illustrated Dictionary. University of Texas Press.
  • Pendentif de tête de Pazuzu, Neo-assyrien, entre le VIIIe et le VIIe siècle, bronze, Metropolitan Museum of Art, New York City
    Pendentif de tête de Pazuzu, Neo-assyrien, entre le VIIIe et le VIIe siècle, bronze, Metropolitan Museum of Art, New York City

    Clancier, Philippe. 2009. « Le Manuel de l’exorciste d’Uruk ». Dans Et Il y Eut Un Esprit Dans  l’Homme. Jean Bottéro et La Mésopotamie, X. Faivre, B. Lion et C. Michel (Éd.), De Boccard,  2009, Pp. 105-117. https://www.academia.edu/1532265/Le_manuel_de_lexorciste_dUruk.

  • Geller, M. 2018. « The Exorcist’s Manual (KAR 44) ». In In: Steinert, U, (Ed.) Assyrian and  Babylonian Scholarly Text Catalogues: Medicine, Magic and Divination. (Pp. 292-312). De  Gruyter: Berlin/Boston. (2018), 9, édité par U. Steinert. no 9. De Gruyter.
  • Geller, Markham J. 2007. Evil Demons: Canonical Utukku-Lemnu-Tu-Incantations. State  Archives of Assyria. Cuneiform Texts 5. Neo-Assyrian text corpus project.
  • Geller, Markham J., et Ludek Vacin. 2016. Healing Magic and Evil Demons: Canonical Udug-Hul  Incantations. Die Babylonisch-Assyrische Medizin in Texten Und Untersuchungen, Band 8. De  Gruyter.
  • Herrero, P., René Marcel Sigrist, et François Vallat. 1984. Thérapeutique mésopotamienne.  Editions Recherche sur les Civilisations. Recherche sur les civilisations. Mémoire 48. Ed.  Recherche sur les civilisations.
  • Jean, Cynthia. 2006. La Magie néo-assyrienne en contexte: recherches sur le métier d’exorciste  et le concept d’ āšipūtu. State archives of Assyria Studies 17. Neo-Assyrian text corpus project.
  • Joannès, Francis. 2001. Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne. Bouquins. Robert  Laffont.
  • Loisel, Anne-Caroline Rendu. 2009. Démons et Exorcismes En Mésopotamie et En Judéehttps://www.academia.edu/648175/D%C3%A9mons_et_exorcismes_en_M%C3%A9sopotamie _et_en_Jud%C3%A9e.
  • Parpola, Simo, Julian Edgeworth Reade, et Simo Parpola. 1997. Assyrian Prophecies. State  Archives of Assyria 9. Helsinki university press.
  • Schwemer, Daniel. 2017. The Anti-Witchcraft Ritual Maqlû: The Cuneiform Sources of a Magic  Ceremony from Ancient Mesopotamia. Harrassowitz Verlag.

Dans cet épisode vous avez pu entendre un extrait de la vidéo suivante :

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Baptiste Mossiere pour le montage de cet épisode !