Épisode 88 – Pauline et les hôpitaux au Moyen Âge
Comment fonctionnaient les hôpitaux au Moyen Âge ?
Dans cet épisode de Passion Médiévistes, mon invitée Pauline Triplet nous révèle les coulisses des hôpitaux du Moyen Âge. En 2021, dans le cadre d’un master d’histoire à l’Université de Lille, elle a soutenu un mémoire de recherche sur le sujet Dans le lit des povres. Fondation et administration de l’hôpital Saint-Jean d’Hesdin (XIVème siècle). Elle était sous la direction d’Élodie Lecuppre-Desjardin et Mathieu Vivas. Aujourd’hui, elle prépare une thèse sur comment les interactions sociales au sein de Lille ont façonnés la ville au Moyen Âge.
À savoir que cet épisode du podcast a été enregistré en public, dans le bar la Boulangerie à Lille, d’où les bruits en fond !
Les hôpitaux au Moyen Âge
Historiquement, l’espace de soin est très ancien. Dès l’Antiquité des espaces s’en rapprochent, comme les hôpitaux militaires qui sont itinérants et suivent les soldats lors des guerres et des affrontements. Il y a également des maisons médicales, ou encore des temples avec des lieux de soins. Ces endroits sont fortement liés à une dimension religieuse et le dieu de référence attribué est Esculape (ou Asclépios), dieu de la médecine dans la mythologie grecque. À partir de l’essor du christianisme, la notion de “charité” émerge et prend en force.
Au Moyen Âge, la nécessité de prendre soin des personnes dans le besoin devient une idée essentielle. Il peut s’agir d’une détresse physique, financière ou de tout autre forme de détresse. Les structures qui vont ainsi émerger pour prendre soin, seront les hôpitaux. Il y a une continuité claire entre celles de l’Antiquité et les premiers hôpitaux du Moyen Âge. Cependant au XIIème et XIIIème siècles s’opère un changement et les hôpitaux fleurissent.
“Au XIIème et XIIIème siècle, il y a un immense changement. C’est ce qu’on appelle le phénomène de floraison hospitalière, parce que dès cette époque, la charité est si importante [qu’elle] devient une notion essentielle”. Pauline Triplet
Dans cette volonté d’assister les personnes en détresse, le choix d’implanter un hôpital dans une ville au Moyen Âge suit une logique précise : s’installer dans des endroits de passage, proche de la foule. Le lieu se doit d’être visible et accessible pour la patientèle potentielle, mais également pour les donateurs de proximité. Des troncs sont placés à l’extérieur des hôpitaux pour permettre de recueillir des ressources financières, alimentées par l’esprit de charité ambiant.
Cette charité implique en creux une générosité pécuniaire. À cette période de boom hospitalier, les princes et les bourgeois vont être encouragés à faire des dons pour fonder des hôpitaux. Cette idée du don va inclure une dimension genrée. Implicitement cette générosité charitable sera beaucoup plus attendue des princesses et des bourgeoises. Bien que la fonction primaire du lieu demeure, c’est-à-dire de soigner les “pôvres malades” comme on les appelle à l’époque, se développe aussi la volonté d’affirmer la place du laïque dans ce système. Cependant, en cette période de purgatoire profonde, il y aura aussi des enjeux personnels liés au Salut de sa propre âme. La fonction de l’hôpital a ainsi un double intérêt qui converge : prendre soin des pauvres, mais aussi sauver les riches.
“On met en place une mathématique du Salut. Dans cette mathématique fonder un hôpital ou donner beaucoup d’argent pour créer un hôpital, c’est un très très bon investissement, un placement rentable, un allé simple pour le paradis.” Pauline Triplet
Les soins au Moyen Âge
“D’abord des âmes et ensuite des corps, car il n’y a pas de médecins dans les hôpitaux.” Pauline Triplet
Au Moyen Âge, l’hôpital est défini comme étant un lieu d’assistance qui prend soin des âmes et des corps. Il y a une connaissance du soin pour les plaies courantes, mais il n’y a pas de vraie notion médicale à l’époque. La notion spirituelle de l’aide et de l’assistance est ainsi une donnée essentielle. C’est un lieu qui s’adresse aux marges de la société médiévale, car les plus riches payent un médecin à domicile. L’espace principal de l’hôpital appelé la salle des malades est divisé en sections destinées à chaque type de “pôvres malades”. Se mêlent ainsi aux personnes qui traversent les couloirs des hôpitaux, des pèlerins sans argent pour payer une nuit d’auberge, des voyageurs de tout bord, des femmes enceintes, des veuves, des orphelins, des blessés.
La direction et la gestion des hôpitaux s’organisent en trois pôles : la maîtresse d’hôpital qui s’occupe des mesquines, et des cuisiniers (les membres du personnel), le maître d’hôpital qui gère la partie administrative et la tenue des comptes, et enfin le chapelain qui s’occupe des affaires liturgiques du lieu. Et contrairement aux idées reçues, l’hôpital du Moyen Âge n’est pas rempli de malades au seuil de la mort. Le chapelain prend ainsi soin, le cas échéant des malades sur le point de mourir, et il s’occupe aussi des offices.
Les traces et les manuscrits donnent peu d’informations sur le type de patientèle ainsi que sur les soins réalisés dans les espaces hospitaliers. Cependant, les documents comptables donnent des informations précieuses sur la vie menée dans ces espaces. On y trouve des achats de fioles et d’épices qui peuvent être utilisées pour des soins médicaux tels que la préparation de bains ou de grogs pour soulager des maux divers. Lorsque les mesquines ne peuvent pas soigner des malades pour des maux plus graves, elles font appel à des médecins, des bouchers ou des barbiers. Enfin, la médecine obstétrique se développe comme spécialité et les sages-femmes ont un rôle très important. Elles sont alors les seules à s’occuper des femmes enceintes.
Les recherches de Pauline Triplet
Pauline Triplet s’est intéressée à l’institution hospitalière du XIVème siècle dans le comté d’Artois en s’appuyant sur un cas d’étude précis, l’hôpital Saint-Jean d’Hesdin. Son travail vise à comprendre les logiques institutionnelles à l’œuvre au moment de la fondation d’un hôpital à cette période, mais aussi à rendre tangible la vie au cœur de cette institution.
Au XIVème siècle, la ville d’Hesdin est plutôt prospère et compte trois à quatre mille habitants. Cette période est marquée par la fin du règne des capétiens, et par de grandes tensions politiques. Le contexte social est également complexe en raison d’une météo rude qui détruit les récoltes et favorise la famine. En 1314, les nobles se révoltent contre le roi, car ils estiment qu’il est trop oppressif. En 1315, les révoltes cessent partout, sauf en Artois. La comtesse Mahaut d’Artois est contrainte de quitter le comté pendant plusieurs années et se réfugie en région parisienne. Au XVIème siècle, Charles Quint rase la ville d’Hesdin et l’hôpital avec. Elle sera reconstruite quelques kilomètres plus loin. Pauline Triplet a donc travaillé spécifiquement sur l’hôpital disparu et enfoui sous terre du XIVème siècle.
L’hôpital d’Hesdin est fondé en 1318, au moment où la révolte des nobles en Artois commence à se calmer. Lorsque Mahaut d’Artois revient dans son comté après s’être isolée quelque temps à Paris, elle fonde un hôpital. Ce geste est politique dans la mesure où il a été question de trahir la comtesse en son absence. Fonder un hôpital lui permet de réinstaurer son autorité.
C’est dans son deuxième testament que Mahaut d’Artois choisit de fonder l’hôpital St-Jean d’Hesdin. Il s’agit d’un geste fort, car ce document permet d’afficher ses ambitions politiques, mais aussi personnelles. Le chantier est lancé dès 1321 et il s’achève le 5 juillet 1323. L’hôpital est divisé en deux sections : l’une est consacrées aux “pôvres malades” et l’autre aux femmes enceintes nommée l’ajuterie (car on dit d’une femme qui accouche qu’elle ajut).
L’étude des livres comptables permet à Pauline Triplet d’obtenir un nombre conséquent d’informations sur la vie de cet hôpital. Observer à la loupe cet espace lui permet d’identifier des dynamiques plus amples à l’échelle macro. Elle observe ainsi des périodes de contextes sociaux compliqués lors de grandes froidures impliquant une surcharge de l’espace hospitalier, mais aussi des dynamiques politiques propres, avec l’exemple de la comtesse d’Artois. Grâce à cet épisode, nous découvrons que l’espace hospitalier au Moyen Âge offre une nouvelle grille de lecture qui dépasse largement les portes de l’hôpital lui-même !
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
-
IMBERT Jean (dir.), Histoire des hôpitaux, Toulouse, Privat, 1982.
- MOLLAT Michel, Les pauvres au Moyen Âge, Paris, Complexe, 1978.
- MOLLAT Michel, Études sur l’histoire de la pauvreté (Moyen Âge – XVI e siècle), Paris, publications de la Sorbonne, 1974.
- LE GOFF Jacques, La bourse et la vie. Économie et religion au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1986.
- ALADJIDI Priscille, Le roi, père des pauvres : France XIIIe – XVe siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009.
- TOUATI François-Olivier (dir.), Maladies, médecines et sociétés. Approches historiques pour le présent, Paris, L’Harmattan, Coll. « Histoire au présent », 1993.
- ROCH Jean-Louis, « Le jeu de l’aumône au Moyen Âge », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 44 e année, n°3, 1989.
- LE BLÉVEC Daniel, La part du pauvre. L’assistance dans les pays du Bas-Rhône du XIIe siècle, Rome, École Française de Rome, n°265, 2000.
Plus spécifiquement sur l’hôpital Saint-Jean d’Hesdin :
- RICHARD Jules-Marie, Cartulaire de l’hôpital Saint-Jean-en-L’estrée publicé avec d’autres documents et une étude sur le régime intérieur de cette maison et des hôpitaux d’Hesdin et Gosnay dans la première moitié du XIVe siècle, Paris, H. Champion, 1888.
- TRIPLET Pauline, Dans le lit des povres. Fondation et administration de l’hôpital Saint-Jean d’Hesdin au XIVe siècle, Mémoire de Master II, Université de Lille, sous les directions d’Élodie LECUPPRE-DESJARDIN et de Mathieu VIVAS, 2021.
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
- Passion Modernistes : Épisode 3 – Johana et les sages-femmes en Alsace
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- Épisode 82 – Élodie et les parfums au Moyen Âge
- La vie quotidienne au Moyen Âge : Épisode 4 – Les soins du corps
Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le générique du podcast, à Baptiste Mossiere pour le montage de l’épisode et Ryme Ouanane pour la rédaction de l’article !