Épisode 48 – Alice et les recluses au Moyen Âge
Qui étaient les recluses et comment vivaient-elles au Moyen Âge ?
L’invitée de cet épisode Alice Fournier a réalisé un mémoire à l’université Bordeaux Montaigne en master REEL (Recherche En Etudes Littéraires) sur le sujet “Femme araignée et Femme recluse de Fred Vargas au Moyen Âge”. Sous la direction d’Agathe Sultan, elle a notamment étudié l’histoire des femmes recluses au Moyen Âge.
L’histoire médiévale de la réclusion
Dès le Moyen Âge, et dans de nombreux pays européens, la figure de la recluse devient un pilier de la communauté urbaine, et garde ce rôle pendant plusieurs siècles. Équivalents urbains des ermites, les reclus ont en général choisi leur sort, et sont majoritairement des femmes. Le début du mouvement de réclusion se situe au IVe siècle, cependant il prend une ampleur notable surtout à partir du XIe et XIIe siècles. La recluse fait en effet l’objet d’un engouement populaire et d’une admiration pour sa dévotion à un mode de vie très exigeant. Cependant elle fait l’objet de nombreuses critiques qui participent à sa disparition progressive à la fin du Moyen Âge.
Enfermée dans sa minuscule cellule, à la fois à l’écart et au centre de son monde, la femme recluse personnifie l’attitude de toute une société médiévale patriarcale envers la femme, et plus encore envers la femme seule, rejetée et parfois même considérée comme dangereuse. Elle est tolérée par le clergé grâce à sa fonction de protectrice de la ville, mais elle fait aussi l’objet de débats ponctuels et reste très contrôlée par la société dont elle dépend pour sa survie.
Parmi les règles adressées à ces femmes enfermées à vie, Alice Fournier s’est particulièrement intéressée à celle, très populaire, écrite au XIIe siècle par Aelred, abbé cistercien de Rievaulx dans le Yorkshire, rédigée originellement à l’intention de sa sœur, recluse volontaire depuis plusieurs années. Celle-ci souhaitait que son frère compile des règles spécifiques à la situation et à la vie unique des recluses. Le texte s’adresse donc à une jeune sœur qu’Aelred idolâtre, jugeant qu’il était lui-même incapable d’atteindre un tel niveau de perfection, et crée, comme d’autres règles similaires, une image idéalisée de la recluse, véritable sainte aux yeux de l’abbé. Un personnage fictif se développe tout au long du texte, une femme parfaite qui, contrairement à certaines autres recluses, est suffisamment forte pour résister à tout péché. Elle devient elle-même un modèle pour les autres femmes, rivalisant avec d’autres figures bibliques féminines déjà citées plus haut.
Une figure qui divise du Moyen Âge
Si la recluse divise autant l’opinion, c’est qu’elle ne fait pas partie d’une réelle institution au Moyen Âge, contrairement aux moniales. Là où celles-ci appartiennent à un ensemble, à une communauté contrôlée par l’Église et dont la vie et les pratiques sont codifiées, la réclusion découle davantage d’une démarche individuelle et en partie laïque.
En effet, à partir du Xe siècle, les candidates au reclusoir sont de plus en plus des laïques qui tentent, en choisissant de s’emmurer seules dans une petite cellule munie d’une seule fenêtre donnant sur le ciel, de fuir les dangers de la société (viol, mariage forcé, épreuve de l’accouchement…) et d’accéder au statut supérieur de protectrice spirituelle de la ville. La recluse fait en effet pénitence pour les péchés de toute la ville et la protège des maladies et des envahisseurs en priant continuellement. Elles diffèrent également des ermites, qui eux souhaitent garder leur liberté, indépendamment du monde. Si la recluse est seule, elle est aussi dépendante de la charité et ne peut survivre sans la générosité de ses voisins.
La recluse revue par l’époque contemporaine
Cette catégorie est néanmoins beaucoup moins connue et étudiée de nos jours que d’autres formes moins extrêmes de pratiques religieuses féminines, telles les moniales. Presque tombée dans l’oubli, elle a pourtant été reprise dans plusieurs œuvres de fiction contemporaines, dont le roman policier de Fred Vargas, Quand sort la recluse, qui a inspiré le mémoire de l’invitée de l’épisode Alice Fournier.
Le Moyen Âge bénéficiant d’un regain d’intérêt dans la littérature contemporaine, notamment policière et dans la fantasy, il est normal que la recluse, personnage complexe et fascinant, intéresse autant les auteurs que le public. Si elle fascine encore aujourd’hui, c’est qu’elle a encore des choses à nous dire sur des sujets qui nous concernent toujours.
Alice Fournier a créé un podcast REEL qui donne la parole aux étudiants du master REEL de l’université Bordeaux Montaigne.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire et voir :
- « Le cimetière des Saints-Innocents et ses emmurées vivantes », Priscille Lamure sur le blog Savoirs d’histoire)
- « La vie quotidienne des recluses », article de Paulette L’Hermite-Leclercq dans mensuel le n°126 daté octobre 1989 du magazine l’Histoire
- Au XIIIème siècle, une vie de reclus – Chronique de Xavier Mauduit pour 28 minutes sur ARTE en mars 2020
- AELRED de RIEVAULX, La Vie de recluse, éd. Charles Dumont, Paris, Éditions du Cerf (Sources chrétiennes), n°76, 1961.
- VARGAS, Fred, Quand sort la recluse, Paris, Flammarion, 2017.
- L’HERMITE-LECLERCQ, Paulette, « La recluse, la femme et l’amour de Dieu chez Aelred de Rievaulx », dans Georges Duby, L’écriture de l’Histoire, 1996, p. 379-384.
- DUVAL, Sylvie, « De la réclusion volontaire. L’Enfermement des religieuses entre Moyen Âge et Epoque moderne. », dans Bretschneider, F. ; Claustre, J. ; Heullant-Donat, I. ; Lusset, E. : Enfermements et genre, Paris, Presses de la Sorbonne, 2017, p. 53-69.
- L’HERMITE-LECLERCQ, Paulette, « Les reclus parisiens au bas Moyen Âge », dans Villes et sociétés urbaines au Moyen Âge: hommage à M. le professeur Jacques Heers, 1994, p. 223-231.
- MINOIS, Georges, Histoire de la solitude et des solitaires, Fayard, 2013.
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
- L’histoire des recluses – chaîne Youtube Point de vue
- Kaamelott Livre II Épisode 20 – Les Misanthropes
- The House of the Rising Sun – Bardcore