Vies de Médiévaux #6 – Blanche de Savoie
Après Dhuoda et Bathilde, découvrez Blanche de Savoie dans ce nouvel épisode !
Dans Passion Médiévistes nous aimons bien vous montrer le Moyen Âge autrement, loin des clichés et des images d’épinal. Avec les jeunes chercheurs en histoire du blog Actuel Moyen Âge, que nous avons reçu dans le troisième hors série du podcast, nous vous proposons un nouveau format, Vie de Médiévaux.
Dans chaque épisode découvrez en quelques minutes un homme ou une femme médiévale qui mériterait d’être plus connu. Pour ce sixième épisode, Ludmila Nelidoff vous parle de Blanche de Savoie, une épouse italienne modèle au rôle politique important !
Plongeons au cœur de l’Italie médiévale, dans le domaine des seigneurs de Milan. Depuis 1277, la famille italienne des Visconti domine la Lombardie en tant que seigneurs. C’est cependant à partir de 1354 que s’ouvre une nouvelle ère pour cette dynastie. En effet, Galeazzo II pose les jalons qui permettront à son fils Gian Galeazzo d’obtenir le titre de duc de Milan et d’ainsi affirmer définitivement leur place prépondérante en Italie du Nord. Galeazzo II gouverne comme co-seigneur de Milan avec ses frères Matteo II et surtout Bernabò de 1354 à 1378.
Blanche de Savoie ou Bianca di Savoia en italien fut son épouse. Né à Chambéry en 1336, elle est la fille du comte Aimone de Savoie et de Violante de Montferrat, ce qui lui confère une parenté intéressante pour de futures alliances matrimoniales, puisque sa mère appartient à la famille des Paléologue, dernière dynastie ayant régné sur l’Empire byzantin. Blanche passe sa jeunesse en Savoie, éduquée dans le luxe et le raffinement. Elle possède par exemple dès sa jeunesse du personnel à son service, comme deux cuisiniers et un couturier, chargés de lui préparer des mets délicats et des habits précieux. C’est en outre une jeune femme lettrée et passionnée de lecture, loisir qu’elle transportera avec elle à la cour milanaise.
Devenue orpheline à l’âge de 7 ans, ses tuteurs refusent la proposition en mariage du roi Édouard III d’Angleterre, pour la marier au membre le plus prometteur de la famille italienne des Visconti, c’est-à-dire Galeazzo II. L’alliance entre la Savoie et le Milanais, territoires contigus donc stratégiques, est formellement scellée par un mariage célébré le 28 septembre 1350 dans le château de Rivoli. Blanche a alors 14 ans, Galeazzo en a déjà 29. L’année suivante, elle met au monde leur premier enfant, un fils, Gian Galeazzo, appelé plus tard à obtenir le titre de duc de Milan.
Diverses sources attribuent à Blanche un rôle important dans la politique menée par son mari pour s’éloigner du gouvernement oppressant exercé par son frère Bernabò depuis Milan. Ainsi, Bernardino Corio, grand chroniqueur milanais qui rédige son Histoire de Milan au tout début du XVIe siècle, nous informe que c’est notamment sous l’impulsion de Blanche que Galeazzo II décide de transférer sa cour de Milan à Pavie en 1365.
« Andavano intanto crescendo i dispareri e le discordie fra i due fratelli Visconti. Tanto fece lavorare Galeazzo nel presente anno intorno al castello e magnifico palazzo di Pavia, che nell‟anno 1365 fu ridotto a perfezione: e allora quel principe mosso anche dalle persuasive della moglie Bianca di Savoja, e d‟altri de‟ suoi consiglieri, che poco si fidavano di quella testa calda di Bernabò, trasportò la sua ordinaria residenza colà. »
Bernardino Corio, Storia di Milano
Traduction : « La mésentente entre les deux frères Visconti empirait tellement que Galeazzo fit rapidement avancer les travaux du château et magnifique palais de Pavie, tant est si bien qu’en 1365, celui-ci était une réelle perfection : alors le prince, convaincu par sa persuasive épouse Blanche de Savoie, et par ses conseillers qui faisaient peu confiance à l’impulsif Bernabò, y transféra sa résidence ordinaire. »
À Pavie, dernière ville lombarde à tomber entre les mains des Visconti en 1359, Galeazzo II « dédouble » donc la cour milanaise en fondant un magnifique château entouré d’un immense parc servant de réserve de chasse, ainsi qu’une grande université où tous les étudiants lombards sont strictement tenus de venir étudier.
Blanche est en quelques sortes le modèle de la parfaite épouse d’un seigneur médiéval : éduquée, docile, charitable tant elle s’occupe des pauvres… Tant de qualités qui contrastent avec le caractère violent de son mari dont l’histoire retient notamment la « quaresima », série de tortures infligées pendant 40 jours par Galeazzo pour punir qui il souhaitait. Lorsque la cour s’installe à Pavie, la cultivée Blanche, entourée d’humanistes célèbres comme Pétrarque, fonde la grande bibliothèque du château et y fait conserver l’une des premières copies de la Divine Comédie de Dante.
À cette époque, que l’on peut a posteriori qualifier comme la plus heureuse pour elle, Blanche partage le titre de duchesse de Lombardie avec sa belle-sœur Beatrice Regina della Scala, l’épouse de Bernabò, qui eut 15 enfants dont elle unira la grande majorité aux plus nobles maisons européennes. Cette prolifique politique matrimoniale pousse Blanche et son mari Galeazzo à faire en sorte que leur fils aussi, Gian Galeazzo fasse un « bon mariage » en épousant Isabelle de Valois (fille du roi de France Jean II le Bon, qui sera adorée par Blanche) alors que leur fille Violante se marie avec Lionello, le second fils du roi d’Angleterre.
Cependant, les difficultés commencent pour Blanche dès 1366 avec une succession d’évènements tragiques dont une fausse-couche, la mort de son gendre Lionello, celle de sa belle-fille Isabelle de Valois, et aussi de son mari le seigneur de Milan en 1378… Dans un des poèmes anonymes connus sous le nom de Lamenti di Bernabò Visconti, on comprend que Blanche va dès lors compter sur son fils survivant, Gian Galeazzo, pour ramener la gloire chez les Visconti et conjurer le sort qui s’acharne sur la dynastie. Ce poème fait état du récit de Blanche à son fils à propos d’une vision d’horreur qu’elle aurait eu le concernant :
« Più e più volti ò abuto in vixione | […] | che de soto tera insiva un dragone, | che facìa tremar ogni creatura. | La boca aprìa sença remissione | sollo per desfare la vostra figura. »
Lamento di Bernabò marciano, XVIII
Traduction : « J’ai plusieurs fois eu en vision / […] / qu’un dragon surgissait de terre, / qui faisait trembler toute créature. / Il ouvrit la bouche sans hésiter / seulement pour engloutir votre personne. »
Ces vers rédigés dans un mélange de lombard et d’italien résonnent comme un avertissement, qui pousse la duchesse à sommer son fils d’arrêter de vivre dans l’ombre de son père et dans celle de son oncle, et de cesser de consacrer son temps aux loisirs alors que sa propre famille cherche à l’évincer : en d’autres mots, de tout faire pour reprendre sa place de chef. C’est chose faite lorsque le 6 mai 1385, Gian Galeazzo parvient à faire emprisonner son oncle Bernabò à la suite d’un piège qu’il lui a tendu et se retrouve ainsi à gouverner seul le Milanais.
Blanche meurt à 51 ans le dernier jour de l’année 1387. Elle est inhumée des dizaines d’années plus tard avec l’habit monacal à Pavie, au sein du monastère des sœurs franciscaines Santa Chiara la Reale qu’elle avait elle-même fondé. Grâce à son action, l’alliance entre la Savoie et les Visconti a perduré.
Pour en savoir plus sur Blanche de Savoie, voici une sélection bibliographique :
- Luisa CHIAPPA MAURI, L’età dei Visconti, Milan, 1993
- Francesco COGNASSO, I Savoia, Milan, 2002 (réédition)
- Francesco COGNASSO, I Visconti : storia di una famiglia, Bologne, 2016 (réédition)
- Gemma GIOVANINI, Le donne di Casa Savoia : dalle origini della famiglia fino ai nostri giorni, Milan, 1909
- Carlo MAGENTA, I Visconti e gli Sforza nel Castello di Pavia e loro attinenze con la certosa, Milan, 1883
- Guido LOPEZ, I signori di Milano, Rome, 2003
Le générique a été réalisé par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).