Hors-série 14 – La loi salique, avec Magali Coumert
La loi salique, un débat du Moyen Âge hérité de père en fils ?
Dans ce hors-série de Passion Médiévistes, vous pourrez entendre Magali Coumert, maîtresse de conférence en histoire médiévale à l’Université de Bretagne Occidentale. Elle vous présente ses recherches sur la loi salique, un texte très important à la fin du Moyen Âge, ainsi que les problématiques soulevées par son édition.
Les premières mentions de la loi salique
La lex salica est évoquée dès le VIe siècle comme étant la loi ancienne des Francs. Pourtant, son contenu exact reste extrêmement flou, faute d’écrits conservés à l’époque. Au tournant de l’époque carolingienne, elle est mise par écrit et plusieurs manuscrits sont conservés jusqu’à aujourd’hui.
La loi salique est alors un ensemble de condamnations pour des crimes et délits très précis, sans ordre clair. Elle ne contient aucune généralisation du droit, si ce n’est un ordre social assez vague divisant la société entre les hommes libres, Francs, les Romains et les esclaves.
Ces ensembles de condamnations très précises sont numérotées, mais leur numérotation est variable selon les manuscrits. Elles prennent aussi le nom de leur sujet, comme le « de alodis » (des alleux) qui s’intéresse aux règles de successions. Elles forment ainsi un ensemble très contextualisé, par exemple en dédiant plusieurs articles éparpillés dans l’ensemble à la seule question du vol de cochon. Ainsi, que le vol soit commis avec ou sans effraction, sur un porc de plus ou de moins de 3 ans, par un homme libre ou un esclave, les peines varient selon les articles et les contextes.
L’utilisation de la loi salique au Moyen Âge
Au cours du Moyen Âge, les usages de la loi salique varient. Si au VIe siècle elle semble surtout à destination de petites communautés rurales, son réemploi à la période carolingienne lui donne un aspect de justice royale. Elle est alors associée à d’autres droits, comme le droit romain et la loi ripuaire, mais sert aux juges royaux à arbitrer certains conflits. Son aspect ancestral lui donne sa légitimité, même si certains traits sont inapplicables en tant que tel, se rapportant à des systèmes disparus. Ainsi, certaines peines s’expriment en denier, en partant du principe qu’un denier vaut 40 sous. Or un tel système monétaire n’existe plus à l’époque de l’utilisation de la loi.
Si la loi salique est abandonnée au tournant de l’An Mil, elle est réintroduite au XIVe siècle pour régler un grave conflit de succession. En effet, depuis Hugues Capet, le « miracle capétien » avait permit une succession constante de père en fils majeur, et donc une continuité des règnes. Mais à la mort de Louis le Hutin, celui-ci n’a pas encore de fils. Si Jean Ier le Posthume nait peu de temps après la mort de son père, il ne survit pas.
Le roi n’a donc pas d’héritier direct mâle, bien qu’il ai une fille, ce qui permet au roi d’Angleterre de revendiquer la couronne de France, en pleine Guerre de Cent Ans. Philippe V, le frère de Louis le Hutin, ressort alors l’article de alodis de la loi salique pour le faire interpréter en sa faveur et éloigner les femmes de la succession. Si l’interprétation repose sur une notion, la terre salique (terra salica) qui n’a pas de rapport avec le royaume de France, il parvient tout de même à se faire couronner. Mais lui aussi meurt, et n’ayant eu que des filles par la volonté d’un destin taquin, la loi salique est à nouveau invoquée pour lui trouver un successeur, son plus proche cousin.
Ainsi, cette loi archaïque est réinterprétée à la fin du Moyen Âge et assoit la tradition de la succession au premier mâle, dite succession agnatique, en se reposant sur son archaïsme pour la rendre très flexible.
L’impossible édition de la loi salique au XXème siècle
Depuis le XVIe siècle et jusqu’au XXe siècle, deux historiographies s’affrontent sur l’interprétation et l’édition de la loi salique. Côté français, la loi salique est reprise dans sa forme la plus compréhensible, même si cette version est sans doute réécrite sous Charlemagne.
Et côté allemand, on utilise les « antiquités germaniques », dans un objectif nationaliste, en y rassemblant tous les textes de peuples parlant Allemand, ou dérivant de l’Allemand, ou même associés aux Allemands selon la description faite par Tacite au IIe siècle de notre ère. Ces textes sont ensuite édités aux Monumenta Germaniae Historiae (MGH) à partir de 1900. Les MGH rassemblent ainsi des éditions nombreuses et précises de textes, aujourd’hui consultables en ligne.
Mais l’édition de la loi salique provoque une véritable lutte d’historiens en 1916, rendant l’édition impossible et voyant les volumes déjà édités détruits. C’est ensuite un historien nazi, Karl August Eckhardt, qui propose en 1935 une version de la loi salique, empreinte d’idéologie nazie. Il récupère alors sa vieille édition de la loi salique pour se redonner une légitimité académique. Pour l’actualiser, il s’approprie le travail d’un chercheur juif, Wilhelm Levison, ayant réussi à s’exiler avant la guerre mais malheureusement mort en 1947. Il parvient dans les années 1960 à publier son édition dans les Monumenta. Cette édition devient le texte de référence pendant des décennies.
Dans l’épisode, Magali Coumert raconte comment elle a démontré dans ses recherches que l’édition est fautive, coupée arbitrairement et qu’elle n’a pas été vérifiée. En effet, les plus de 80 manuscrits étaient, avant la progression de la numérisation, très difficiles à consulter dans leur ensemble. Et cette découverte peut amener à réviser énormément de conclusions sur la loi salique, ainsi qu’à une réflexion profonde sur la manière d’éditer les textes anciens au XXIe siècle.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
- Magali Coumert et Bruno Dumézil, Les royaumes barbares en Occident, Paris, 2010, PUF, collection « Que-Sais-je ? ».
- « Les « prologues » de la loi salique : les premiers temps des Francs suivant les copistes carolingiens », Autour du règne de Clovis. Les Grands dans l’Europe du haut Moyen Âge. Histoire et archéologie, Actes des XXXIIe Journées internationales d’archéologie mérovingienne, M. Kazanski et P. Périn dir., AFAM, Caen, 2020, p. 43-57.
- » Contester l’autorité législatrice ? La résistance au pouvoir royal dans les manuscrits carolingiens de la loi salique « , Contester au Moyen Âge, XLIXe Congrès de la Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public, Rennes 24-27 mai 2018, Paris, 2019, p. 127-142.
- « « Invasions barbares » ou « transformations du monde romain » », Espaces, temps, pratiques et représentations. Formation de la culture, formation des cultures, sous la direction d’E. Carillo-Blouin, Brest, CRBC, 2017, p. 133-42.
- « Les lois au nord et à l’est de l’Europe entre la fin du VIIe et le milieu du XIe siècle », Confrontations, échanges et connaissance de l’autre au nord et à l’est de l’Europe de la fin du VIIe siècle au milieu du XIe siècle, B. Dumézil, S. Joye et Ch. Mériaux dir. , Rennes, PUR, 2017, p. 296-305.
- L’espace Afrique-Caraïbe, au sein de l’équipe Manuscrits francophones de l’ITEM (UMR 8132, CNRS-ENS), propose une approche de l’édition numérique, ici surtout située sur les manuscrits contemporains de leur espace d’étude : https://eman-archives.org/francophone/
- La Bibliothèque Nationale de France propose un large choix de manuscrits numérisés