Épisode 40 – Megan et la surdité au Moyen Âge
Comment étaient perçues les personnes sourdes au Moyen Âge ?
La retranscription de l’épisode est disponible ci-dessous, allez y jeter un oeil !
Référente en langue des signes d’enfants sourds et née de parents sourds, Megan Kateb était, au moment de l’enregistrement de l’épisode du podcast, en master 2 d’histoire médiévale à Paris X. En 2019 elle avait réalisé un mémoire de première année de master sur la surdité en Occident, encadré par Franck Collard et Yann Cantin.
Il était divisé en trois parties : la première exclusivement médicale, la vision des médecins sur ce qui était autrefois considéré comme une maladie, la deuxième portée sur les miracles de sourds qui entendent à nouveau ou pour la première fois et enfin une troisième partie sur l’impact des moines bénédictins qui en faisant vœu de silence ont mis au point un langage gestuel, se rapprochant d’une idée de future langue des signes.
Son mémoire de deuxième année porte toujours sur la surdité mais cette fois dans l’espace euro-méditerranéen médiéval. Elle y aborde les vies religieuses et quotidiennes des sourds tant dans l’empire musulman, chrétien que dans le judaïsme : comment vivaient- ils vraiment ? Quels paradoxe y a t’il entre les textes religieux et la réalité ?
Des personnes sourdes intégrées à la société médiévale
A cause du manque de sources sur le sujet, pour Megan « on ne peut pas faire une généralité du cas de milliers de sourds pendant dix siècles » pour parler de la situation de toutes les personnes sourdes du Moyen Âge. Néanmoins, la situation a évoluée assez lentement pour les personnes sourdes au cours de la période, avec quelques dates clés importantes. La surdité pouvait être considérée au Moyen Âge en Occident comme une punition divine ou une possession démoniaque.
Mais malgré leur mauvaise image dans la Bible, les personnes sourdes sont supposées être protégées par le reste de la communauté chrétienne. Ils n’ont pas de signes distinctifs, « c’est une minorité invisible dans la masse« . On sait que la surdité était plus répandue au Moyen Âge qu’aujourd’hui à cause des maladies qui étaient mal soignées, notamment les maladies infantiles. Mais à la fin du Moyen Âge, les vieilles femmes sourdes sont souvent considérées comme des sorcières.
Un sujet très peu étudié
Un des problèmes qu’a rencontré Megan Kateb au cours de son mémoire est le manque de sources : « je travaille sur tout, parfois dans un ouvrage il va y avoir seulement une petite phrase qui mentionne les sourds, mais il n’y a pas d’ouvrages du Moyen Âge consacré à la surdité« . Même si Megan n’est pas la première à traité du sujet de la surdité au Moyen Âge, le sujet a très peu étudié avant elle. Faire l’histoire de la surdité est essentiel d’un point de vue culturel pour cette communauté minoritaire. Elle permet de mettre en lumière une histoire de progrès face à une histoire récente de grandes souffrances.
En effet, en 1880, le congrès de Milan interdit l’usage des signes dans l’instruction des jeunes sourd.e.s. Un choix dramatique pour de nombreux personnes sourdes se retrouvant ainsi seules, isolées et obligées d’apprendre à oraliser. Incomprises, certaines sont même mises dans des instituts psychiatriques car considérées comme « débiles ».
En 1980, les personnes sourdes sortent dans les rues et manifestent pour une reconnaissance de leur communauté, de leurs droits et de leur langue naturelle : la langue des signes française. Certain.e.s professeur.e.s acceptent le retour des signes à l’école sans pour autant que cela soit légalisé. Ce n’est qu’en 1991, après 110 ans, que la loi Fabius redonne le choix aux familles de choisir entre une instruction signée ou oraliste et en 2005, la langue des signes française dite LSF est enfin reconnue comme une langue dans la loi. C’était hier !
Ce choix a eu des conséquences sociétales importantes jusqu’à nos jours. Ce manque de compréhension, de sensibilisation et de visibilité a crée un fossé et de gros problèmes d’accessibilité en France (pas de sous titres systématiquement à la télé, pas d’interprètes réguliers dans les débats politiques, les services publics ne sont pas tous accessibles etc.). Le champ d’etudes des Deaf studies est donc essentiel pour comprendre cette communauté et lui permettre une meilleure reconnaissance
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de consulter :
- « Les moines médiévaux ont-ils inventé la langue des signes française ? », article de Megan Kateb sur Actuel Moyen Âge
- De Saint-Loup Aude, Delaporte Yves, Renard Marc, Gestes des moines, regards des sourds, Nantes, Siloë, « Rencontres », 1997
- Metzler Irina, A Social History of Disability in the Middle Ages, Cultural considerations of physical impairment, New York, Routledge, « Routledge Studies in Cultural History », 2013
- Scalenghe Sara, Disability in the Ottoman Arab World, 1500–1800, Cambridge University Press, New York, 2014
- Richardson Kristina L., Difference and Disability in the Medieval Islamic World: Blighted Bodies, Edinburgh University Press, Edimbourg, 2012
- Conférence sur les sourds du Moyen Âge de Yann Cantin
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
- Ridicule (film de 2016)
- Kaamelott, Livre III Épisode 62
Fanny : Cet épisode est possible grâce au soutien, non pas d’une marque, mais grâce au soutien que je reçois sur Tipeee, notamment ceux de Adeline et Sibylle, que je tiens à remercier particulièrement. Bonne écoute !
[Générique]
Est-ce que vous savez tout du Moyen Âge ? Mais d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge ? En général, on dit que c’est une période de 1000 ans, de l’année 500 à l’année 1500. Mais vous l’entendez parfois dans ce podcast, il y a autant de définitions du Moyen Âge que de médiévistes. Un médiéviste, c’est quelqu’un qui étudie le Moyen Âge. Je m’appelle Fanny Cohen Moreau et dans ce podcast je reçois de jeunes médiévistes, des personnes qui étudient le Moyen Âge en master ou en thèse, pour qu’ils vous racontent leurs recherches passionnantes, et qu’ils vous donnent envie d’en savoir plus sur cette belle période.
Épisode 40, Megan et la surdité au Moyen Âge, c’est parti !
Fanny : Bonjour Megan Kateb.
Megan : Bonjour.
Fanny : Tu es actuellement en M2, à l’université Paris Nanterre, à Paris X, et tu as soutenu l’année dernière un mémoire, en histoire médiévale bien sûr, sous la direction de Franck Collard et Yann Cantin, sur le sujet des réalités et perceptions de la surdité de l’Occident médiéval. Donc aujourd’hui on va parler de la surdité et des personnes sourdes, de comment elle était perçue au Moyen Âge, un sujet vous allez le voir vraiment passionnant. Et donc Megan, première question, qui est encore plus évidente que d’habitude : pourquoi est-ce que tu as voulu travailler sur ce sujet ?
Megan : Alors, il faut savoir à la base que je suis pas du tout médiéviste, c’était pas du tout ma matière préférée à la fac. Je comptais pas non plus faire un master d’histoire.
Fanny : Mais qu’est-ce que tu fais là ?
Megan : Voilà, exactement ! Non, je comptais plutôt me réorienter vers un master pour devenir institutrice. Au final, je me suis dit pourquoi pas le master d’histoire. J’ai envoyé des candidatures un peu en retard à différents directeurs. Il s’est avéré qu’il n’y en a qu’un seul qui m’a répondu, monsieur Franck Collard, qui est médiéviste, donc au début je me suis dit ah non catastrophe, la pire matière, celle que je détestais en licence. Et pourtant j’étais heureuse de faire de l’histoire médiévale, mais ça a pas collé. Et en discutant avec lui, en fait lui est spécialiste du handicap au Moyen Âge, et en me demandant ce que je faisais dans la vie, un peu mon CV quoi, on s’est mis d’accord sur la surdité, puisque mes parents sont sourds, donc j’ai grandi vraiment dans cet univers, pluri-handicap, handicap sensoriel. C’est même ce que je fais dans la vie : je suis référente en langue des signes pour plusieurs jeunes, donc je suis un peu leur parcours.
Fanny : Leur parcours de vie ?
Megan : Oui, leur parcours de vie, mais leur parcours scolaire surtout. Je traduis les cours, je prends un rendez-vous avec l’orthophoniste, etc., plein de choses. Donc tout naturellement il m’a proposé ce sujet, qui est très peu étudié, et j’ai accepté tout de suite, parce que c’est un sujet qui me passionne. C’est toute ma vie en fait, tout ce qui concerne le monde des sourds, la culture. Ça me paraissait en fait évident que ce soit un sujet que j’accepte.
Fanny : Et donc dans ton mémoire, tu as travaillé beaucoup sur les représentations, parce qu’on va le voir, tout ce qu’on sait aujourd’hui sur le Moyen Âge, on le sait parce qu’on a des textes, parce qu’on a des récits. Mais ce sont à chaque fois que des points de vue, ou des représentations, ou alors des textes de loi, donc il faut vraiment bien se dire aujourd’hui on va pas dire la situation, elle est comme ça. Non la situation c’est aujourd’hui comment on la perçoit à partir des textes. Je fais cette petite précision parce qu’il me semble que c’est important qu’on fasse ça.
Megan : Non, tout à fait, tout à fait. C’est ça, on peut pas faire une généralité du cas de milliers de sourds pendant dix siècles. Ça serait beaucoup trop large et ce serait arrogant, je sais pas si on peut dire ça comme ça. Mais voilà faut vraiment dire que c’est une généralité. On essaie juste de faire transparaître des textes quelle était la représentation générale des sourds à cette époque-là.
Fanny : Parce que toi tu travailles sur le Moyen Âge.
Megan : Voilà.
Fanny : J’ai enfin quelqu’un qui travaille sur le Moyen Âge en général, youpi ! Et donc sur l’Occident médiéval. Pourquoi des cadres aussi larges ?
Megan : La situation a évolué très lentement pour les sourds, du coup ça parait compliqué de donner des bornes chronologiques très restreintes. Est-ce que par exemple, si je veux faire une borne qu’au Ve siècle, eh bien j’aurai qu’un seul texte de loi, et c’est pas assez pertinent pour pouvoir avoir un recul suffisant sur leur condition en fait. Voilà c’est quand même une minorité au Moyen Âge, leur cas intéressait pas forcément tout le monde. Du coup il a fallu du temps pour qu’ils se trouvent une place, pour qu’ils aient des lois, pour qu’ils trouvent leur indépendance. Donc c’est vrai que c’était plus pertinent de faire un grand cadre, le Moyen Âge en entier, plutôt que vraiment de restreindre ça à une courte période.
Fanny : Et donc tu disais, il y a des choses qui peuvent se retrouver au haut Moyen Âge, donc au début, et au bas Moyen Âge. Donc on va essayer de voir un petit peu tout ça. C’est des évolutions, tu hésites pas à me dire évidemment.
Megan : Pas de souci.
Fanny : Donc partons déjà des questions un petit peu générales. Comment étaient perçues la surdité et les personnes sourdes au Moyen Âge en Occident ? Voilà, enfin ne me répond pas une réponse de 4h, hein. En fait il trouve que j’ai préparé cet épisode il y a quelques mois maintenant, en live sur Instagram avec les auditeurs et auditrices. Et il y a une question qui revient assez souvent : est-ce que c’était perçu comme une malédiction ? Est-ce que c’était vraiment comme la conséquence d’un péché, dans la société ? Est-ce que c’est un cliché ou est-ce qu’on pourrait avoir vraiment cette idée-là ?
Megan : Eh ben un petit peu. Déjà il faut savoir que tout ce qu’on perçoit de la surdité, même aujourd’hui, donc avec les expressions « pas tombé dans l’oreille d’un sourd », « il fait la sourde oreille », « il n’est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre », tout ça c’est des expressions qui viennent à la base de la religion. La surdité, on pouvait la mettre dans plusieurs cases. La première, c’était que c’était une punition divine. Donc c’est que toi ou ta famille avez péché, et donc pour vous punir, Dieu vous inflige la surdité, d’un de vos proches ou de toi-même. La deuxième, c’est qu’elle peut être interprétée comme une possession démoniaque.
Fanny : Ah oui, carrément ?
Megan : Carrément. On le voit même dans la Bible, par exemple Luc dit : « Jésus chassa un démon qui était muet. Lorsque le démon fut sorti, le muet parla et la foule fut dans l’admiration. » Il y a plusieurs passages comme ça. Un autre par exemple, Marc, dans son livre, qui dit « et un homme de la foule lui répondit « Maître, j’ai amené auprès de toi mon fils qui est possédé d’un esprit muet. » » Donc c’est plein de…
Fanny : Mais là on parle des muets ? Des sourds ? On mélange entre les deux ?
Megan : Eh ben en fait la surdité-mutité, elle était assez reliée au Moyen Âge. Maintenant on parle juste de sourds, parce qu’il y a eu des progrès dans l’orthophonie, etc. Au Moyen Âge, à part si on devenait sourd ou qu’on était malentendant, en général les sourds ne parlaient pas vraiment, mais c’était quand même assez relié. Ce qui paraît maintenant improbable de dire sourd-muet, même si beaucoup lui disent encore. Faut pas dire ça. Mais au Moyen Âge, ça avait du sens. Malgré tout, dans la Bible, malgré qu’on dise qu’elle soit une punition ou une possession démoniaque, les sourds sont quand même assez protégés, il y a un verset du Lévitique qui dit : « tu ne maudiras point un sourd et tu ne mettras devant un aveugle rien qui puisse le faire tomber, car tu auras la crainte de ton Dieu, je suis l’Éternel. » On voit que malgré tout, malgré le fait qu’ils aient une perception négative dans la Bible, la foi chrétienne doit les protéger quand même. Également, on peut voir ça d’un autre aspect, la surdité elle peut être vue comme la gloire de Dieu, on peut aussi voir ça comme une bénédiction divine, quand elle est guérie. C’est l’œuvre de Dieu en gros, qui s’incarne dans la guérison des sourds, des malheureux par la foi. Ce qu’il faut comprendre en fait dans la Bible, c’est que la surdité, c’est considéré comme quelque chose de négatif, mais ils sont protégés Et s’ils décident de se mettre dans la religion, d’avoir la foi, de vraiment bien se comporter, ils seront guéris, et donc là c’est les œuvres de Dieu qui s’incarnent.
Fanny : Ben bien sûr (rires) !
Megan : Donc la première représentation des sourds qu’on a au Moyen Âge, c’est ça, c’est d’abord la religion, qui nous dit tout ça. Après faut voir que dans la réalité, c’était un peu tout autre.
Fanny : C’est-à-dire, est-ce qu’on avait aussi un point de vue médical, déjà au Moyen Âge, sur les sourds ?
Megan : Ah oui bien sûr ! D’abord l’aspect médical, c’est vrai que c’est plus l’Orient. La médecine du Moyen Âge, elle est beaucoup inspirée des médecines orientales. Par exemple, il y a un grand médecin qui est le premier à avoir donné son point de vue sur la surdité, c’est Ibn Sina, on le connaît plus tôt sous le nom de Avicenne. Et lui donc c’est un médecin qui est né en Perse, qui donne quelques remèdes pour soigner les maux d’oreille, les surdités passagères. Donc il faut bien comprendre ça, on parle pas des surdités profondes ou des surdités de naissance. Pour ça il est très clair, il y a aucun remède. La surdité, elle est donnée par Dieu et c’est comme ça. Il faut pas chercher à la combattre ou à la soigner, parce que ça c’est impossible. Il le dit très clairement et ça c’est dès le XIe siècle.
Fanny : Il y a déjà une forme de discours déjà.
Megan : Oui, il y a déjà un discours sur ça. Après bien sûr il y a d’autres médecins qui essaient de donner des remèdes, donc souvent c’est des solutions un peu astringentes, nettoyantes, désinfectantes. Ils essaient un peu, voilà, de se dire que c’est peut-être quelque chose qui obstrue l’ouïe, c’est pour ça qu’on n’entend pas. Bon ça marche quand on a quelque chose qui est coincé, un insecte ou quoi que ce soit, mais ça ne marche pas quand la personne est née sourde. C’est une petite distinction qu’il faut faire dans les livres médicaux, c’est qu’on parle de soigner la surdité, mais il y a différentes catégories de surdité. Mais par contre, pour ce qui est de la surdité de naissance, on peut rien faire. Et ça, dès le XIe siècle, on le dit très clairement, il n’y a pas de remède.
Fanny : Est-ce que les sourds ont un statut spécifique au Moyen Âge, que ce soit dans les textes, dans les lois ?
Megan : Un statut spécifique, je dirais pas ça. Je dirais plutôt que c’est une minorité qui met du temps à faire entendre sa voix, qui met du temps à se faire comprendre, à se faire connaître et à avoir des droits. Donc je dirais pas qu’ils ont un statut spécifique, ils ont pas de signe distinctif comme les juifs, ils sont juste dans les masses, c’est une masse invisible, une minorité invisible dans les masses des populations.
Fanny : J’imagine que c’est pas possible de les quantifier en fait, au Moyen Âge, les sourds.
Megan : Au niveau de la quantification c’est vrai que c’est compliqué. Il y a un historien donc, Pierre-André Sigal, qui note que la surdité guérie miraculeusement touche plus les hommes que les femmes. On parle de 50 % des muets et 60 % des sourds-muets [qui] seraient de jeunes adultes masculins qui auraient été guéris par la foi divine, chrétienne, et 57 % des miracles se produisent le jour même de l’invocation divine. On sait cependant une chose : c’est que la surdité était beaucoup plus répandue au Moyen Âge, parce qu’il y avait moins de traitements, comme par exemple pour les otites, etc., toutes ces maladies, les grosses fièvres, qui pouvaient faire baisser l’ouïe. On sait qu’il y avait beaucoup plus de sourds au Moyen Âge que de nos jours, mais c’est vrai que ça parait très compliqué de donner un chiffre exact.
Fanny : Comment on désigne les personnes sourdes dans les écrits au Moyen Âge ?
Megan : Les sourds, les muets, mais souvent la mutité équivaut à la stupidité en fait. En allemand, dans certains textes, c’est le terme Dummheit, je suis pas germaniste donc je suis désolé pour mon accent, et ça signifie en fait la stupidité. C’est par ce mot en fait qu’ils désignaient les sourds, les muets. Après sinon en général dans les textes c’est vraiment les sourds, les muets, il y a pas vraiment de nom particulier.
Fanny : Et tu disais qu’il y a une distinction entre les hommes et les femmes ? Ou on met un peu tout le monde dans le même panier ?
Megan : Alors non, pour les femmes il y a bien une différence : elles ont le sort injuste d’être considérées comme des sorcières.
Fanny : Aaaah, on y revient toujours aux sorcières !
Megan : Donc la surdité pour un homme qui vieillit est considérée comme normale, il prend de l’âge. Un jeune homme est sourd, il est stupide, parfois, pas toujours, on verra dans les textes de loi que c’est pas toujours le cas. Mais pour les femmes, souvent quand elles sont âgées, les femmes sourdes sont considérées très clairement comme des sorcières. Il y a un texte qui est assez parlant, c’est le Pèlerinage de la vie humaine de l’abbé Guillaume de Digulleville, écrit au XIVe siècle.
Fanny : Donc là on est fin Moyen Âge, c’est ça ? C’est là que les sorcières arrivent, fin Moyen Âge.
Megan : Voilà. Fin Moyen Âge, tous les péchés de la vie sont incarnés par des femmes, dont la surdité.
Fanny : Forcément, hein (rires) ?
Megan : C’est tellement plus simple et plus facile. Mais voilà, malheureusement les femmes ont un statut un peu injuste, j’ai pas de source, malheureusement on a très peu de sources sur les femmes.
Fanny : Et tu disais tout à l’heure, il y a une différence de perception aussi entre les personnes nées sourdes et les personnes qui deviennent sourdes au cours de leur vie. On les considère pas de la même façon.
Megan : Exactement, on les considère pas de la même façon, et c’est Justinien, l’empereur Justinien, qui fait le premier cette différence. Dans une de ses lois, il note les cinq catégories de sourds. Il y a le sourd et le muet chez lequel la double infirmité est naturelle ; le sourd et muet chez lequel ce n’est pas naturel, cette infirmité, et qui est survenue suite à un accident ; le sourd qui n’est point muet mais dont la surdité est naturelle ; l’individu simplement sourd qui a été atteint par accident de cette infirmité et enfin, celui qui est simplement muet, que ce soit naturel ou par accident. Donc c’est le premier à faire cette distinction, en 531, de vraiment classifier les sourds. Donc ceux qui sont sourds de naissance sont un peu moins bien considérés que ceux qui le deviennent, et particulièrement ceux qui le deviennent à l’âge adulte, puisqu’ils ont déjà la parole. On parle pas vraiment des enfants qui ont perdu l’ouïe à 2, 3 ans, la parole était pas encore construite, donc ils sont plutôt rapprochés des sourds de naissance.
Fanny : Et ces catégories, du coup, elles ont perduré au cours du Moyen Âge, ou pas du tout ?
Megan : Ah si si, c’est même à la base de toutes les lois qui concernent les sourds. C’est aussi pour ça que certains sourds n’ont pas le droit de faire un testament, n’ont pas le droit d’hériter, n’ont pas le droit d’avoir de biens : on considère qu’il pourrait y avoir des abus autour d’eux.
Fanny : De leur entourage.
Megan : Voilà, de leur entourage, des gens qui profitent, peut-être qu’ils n’auraient pas compris la valeur de leur héritage, et donc suite à des mauvaises fréquentations, peut-être une mauvaise gestion de la famille. On préfère les protéger, on préfère leur dire : voilà, vous n’avez pas le droit d’hériter, vous n’avez pas le droit de faire des testaments, pas le droit d’avoir de biens, mais ils sont sous la protection de leur famille, quoi qu’il arrive.
Fanny : Mais alors à ce moment-là, quel rôle pouvait avoir un sourd, une personne sourde dans une société ? C’est-à-dire, est-ce que c’est vraiment totalement un poids pour sa famille ou pour son entourage, ou est-ce qu’il pourrait vraiment avoir quelque forme de rôle ?
Megan : Alors non c’était pas un poids, vraiment j’insiste là-dessus. En fait, la surdité n’empêche pas la capacité au travail. Donc à la différence des aveugles, des estropiés, etc., le sourd peut travailler, le sourd apprend en regardant, de fait les familles les prenaient comme des mains-d’œuvre. Il y a eu un moment un homme religieux allemand qui proposait aux familles, qui encourageait même les familles, à abandonner leurs enfants sourds dans des communautés religieuses, etc., puisque c’était un poids pour la famille. Ce moment a pas pris du tout, puisque déjà la surdité, on s’en rendait compte à partir de 3, 4 ans. L’enfant avant réagit mais avec les gestes, on se rend pas forcément compte, et puis il y a déjà un attachement maternel, un attachement familial, donc les enfants étaient pas du tout abandonnés. Même s’ils étaient sourds, c’était de la main-d’œuvre pour aller travailler avec leurs parents, aux champs, en tant qu’artisan… Ils avaient vraiment une vie banale, ils pouvaient se marier. À partir de 1215, les sourds sont considérés comme aptes au mariage, par le biais des signes ou de la parole. Donc ça c’est déjà un premier point, puisqu’on considère que la langue des signes, c’est un peu un anachronisme de dire langue des signes parce que c’est bien après, mais on considère que les signes équivalaient à la parole. En tout cas pour assurer le consentement.
Fanny : Et ça dès le XIIIe siècle ?
Megan : Dès XIIIe siècle, ouais. C’est à partir du quatrième concile de Latran, sur initiative du pape Innocent III, on déclare que les sourds sont capables d’assurer leur consentement au mariage.
Fanny : Mais j’ai vu dans ton mémoire qu’il y a quand même des personnes, donc des hommes sourds, qui deviennent religieux.
Megan : Alors oui, c’est un cas que je suis en train d’étudier en ce moment. Certains sourds ont quand même été confiés à l’instruction religieuse. Je peux pas pour l’instant dire si c’était des sourds qui étaient de familles très aisées ou si c’était simplement des fils de paysans. En tout cas ce qui est sûr, c’est qu’il y a des sourds qui ont été intégrés dans des communautés religieuses.
Fanny : Là en fait on pourrait dire comme tout le monde au Moyen Âge, comme tout le monde pouvait devenir…
Megan : Voilà, comme tout le monde. Mais ce qu’on remarque, c’est qu’ils ont été placés particulièrement chez les moines bénédictins, puisque pour les Bénédictins, la parole est un péché. On parle pour ne rien dire et donc c’est péché. Pour réduire ces péchés, ils ont décidé de faire vœu de silence et de ne s’exprimer que par des signes. À la base, c’était des signes très classiques, donc “c’est l’heure de la prière”, “c’est l’heure de déjeuner”, “de dîner”, c’était vraiment très cadré, très peu de signes. Au fil du temps, en fait, il s’est avéré qu’il y avait un grand dictionnaire : on parle de plus de 140 signes pour certaines communautés, où on discute de tout, des habits, de la culture, de l’agriculture, de ses sentiments. Et je pense que pour les populations ça tombait sous le sens de placer leurs enfants sourds dans ces communautés-là, puisqu’ils pouvaient à apprendre à signer. Mais ce qui est sûr, c’est que même en dehors de ces communautés-là, les sourds signaient, en faisant peut-être de la pantomime, avec leur famille, avec peut-être les sourds du village, il y avait quand même un minimum de communication. Mais dans ces communautés-là, c’est vrai que ça donnait, un peu, des signes plus cadrés, qui, en sortant de ces communautés-là, sûrement, propageaient ces nouveaux signes, qui étaient encadrés, qui étaient certifiés, on va dire ça comme ça. Et du coup c’est vrai que même jusqu’à nos jours, on a des signes des communautés religieuses des Bénédictins qui se prolongent jusqu’à nos jours.
Fanny : Ah mais c’est génial ! Il y a vraiment une intégration des sourds dans la société beaucoup plus que d’autres handicaps en fait.
Megan : Beaucoup plus. En fait au fil du temps, on se rend compte que, les hommes se rendent compte que les sourds ne sont pas moins à même de comprendre la religion que les autres. Ils sont donc pleinement intégrés, même si considérés comme inférieurs, ils sont quand même pleinement intégrés dans la vie religieuse, et donc avec le temps ils peuvent, ils doivent même, se confesser par le biais de signes.
On sait aussi que dès le VIIe siècle, en Angleterre, il y a déjà un apprentissage qui est fait par les signes, et même un apprentissage oraliste — donc le fait d’apprendre à parler. Le premier à faire ça c’est Jean de Beverley, donc c’est l’archevêque d’York en 685, qui réussit le premier à faire oraliser un sourd. C’est le premier cas qu’on connaît. Ensuite, il y a un établissement, qui est dans l’est de la France, qui est Bouxières–aux-Dames — ce qui est particulier en plus c’est que c’est un établissement de femmes religieuses — on accueille des muets, des sourds, des hommes dans les communautés, pour les instruire à la religion. Certains y restent 10, 20 ans, des fois ils y restent toute leur vie, et la particularité de cette communauté c’est qu’ils ont même un cimetière spécialement réservé aux muets. Pourquoi ? Parce qu’on dit que, dans la légende de la création de cette communauté, c’est un muet qui aurait annoncé l’arrivée, suite à une famine, de vivres de la part de la reine à Gosselin, l’évêque aurait fait construire cette communauté.
Fanny : Donc il y avait en dehors des communautés religieuses, totalement religieuses comme les moines bénédictins, il y avait des institutions en fait en quelque sorte, où on pouvait accueillir les sourds aussi ?
Megan : Tout à fait. C’était pas quelque chose de répandu, je dirais pas ça.
Fanny : Oui, comme ils s’intégraient il y avait pas forcément besoin d’endroits comme ça.
Megan : Voilà, mais c’était quand même quelque chose qui existait, il faut le savoir. Après, bien sûr dans une petite communauté comme à Bouxières aux Dames, il y avait peut-être 5, 6, 7, peut-être une dizaine de sourds tout au plus à chaque fois, c’était pas 200, 300 sourds qui arrivaient pour se faire instruire, mais ça existait. C’était quand même l’apanage des privilégiés, ceux qui désiraient s’instruire ou se mettre dans une carrière purement religieuse, mais je pense très sincèrement que la plupart des sourds restaient dans leur famille et qu’ils menaient une vie laïque tout à fait banale, malgré les moqueries, les préjugés que les gens autour pouvaient avoir, ils vivaient quand même leur vie assez tranquillement on va dire.
Fanny : Tout à l’heure tu parlais donc des sourds qu’on forçait à oraliser. J’ai vu qu’aujourd’hui c’est une pratique qui est vraiment pas très bien vue, on en parlera si tu veux, de forcer les sourds à absolument oraliser, donc parler, à l’époque est-ce qu’il y avait d’autres façons d’essayer de soigner les sourds ?
Megan : On les forçait pas spécialement à oraliser, mais c’est vrai qu’au Moyen Âge on pense que l’intelligence passe par l’ouïe et la parole.
Fanny : Mais le péché aussi !
Megan : Le péché aussi, mais du coup si on ne parle pas c’est qu’on est stupide. Donc c’était pas spécialement qu’on les forçait à oraliser, c’était… En plus il y a autre chose derrière ça, c’est qu’il y a beaucoup d’expressions religieuses qui disent que les sourds refusent d’entendre, refuse de parler, c’est comme si on…
Fanny : Comme s’ils faisaient le choix ?
Megan : Voilà. C’est un refus de la religion, c’est « je ne souhaite pas ». Ces expressions, le fait de dire qu’ils refusent de parler, du coup certaines personnes se sont mises, petit à petit, à vouloir un peu voir s’ils faisaient exprès ou pas du tout. Mais en général, comme j’ai dit tout à l’heure, c’était une minorité dans une masse en fait. Donc malgré les préjugés, c’était quand même quelque chose d’assez, pas banal mais bon, on est dans une société où tout le monde se connaît, le sourd du coin, voilà, on se moque un peu de lui mais on le connaît et puis voilà on sait qui travaille et puis voilà il… C’est, en fait, c’est inscrit dans les mœurs.
[Extrait audio du film “Ridicule”]
Fanny : Est-ce qu’on a des traces de personnalités connues du Moyen Âge qui étaient sourdes ?
Megan : Alors oui. Alors, c’est marrant puisque tout à l’heure on parlait des femmes qui étaient considérées comme des sorcières, et l’une des premières personnalités les plus connues du Moyen Âge sourde, c’est une femme, qui est princesse.
Fanny : Ah ouais, ah bah c’est pour ça.
Megan : C’est Jeanne Stuart, qui est née en 1428. Elle est l’ancêtre d’Élisabeth II, elle vient vraiment d’une très grande famille.
Fanny : C’est Stuart, LA famille des Stuart.
Megan : Voilà. Elle est très connue et elle est surnommée la mutta domina, en fait je sais pas ce que je pourrais dire de plus que c’était une femme de son temps, donc une princesse de son temps, elle a eu une instruction très certainement par le biais de signes, très certainement par le biais des communautés religieuses.
Fanny : Et en plus on est à la fin du Moyen Âge, donc déjà les choses étaient beaucoup plus développées.
Megan : Voilà, les choses se sont développées, les choses ont quand même fait leur chemin. C’est quand même important de voir que, même dans les grandes familles, c’était pas considéré comme une honte ou une tare. Jeanne a eu son rôle de femme comme ses sœurs, c’est-à-dire son but c’était d’être bien mariée, de perpétuer la famille. Voilà, de faire un bon mariage, de créer des alliances politiques.
Fanny : C’était pas la sœur aînée ?
Megan : Bonne question…
Fanny : C’était pas l’héritière quoi ?
Megan : Ah non non non c’est pas l’héritière, non non c’était pas l’héritière directe. Et voilà, elle devait faire un bon mariage et elle s’est mariée justement suite à l’affaiblissement de la couronne écossaise, puisque son père c’est Jacques Ier d’Écosse, il y a eu un affaiblissement politique et donc pour « revaloriser » la couronne écossaise, elle a été mariée à un baron écossais, pour justement solidifier les alliances écossaises de la couronne de son frère, puisque son père a été assassiné. Elle avait une vie quand même assez banale, elle a été mère de famille, elle était très impliquée dans la gestion du royaume, elle avait vraiment sa place comme toutes ses sœurs.
Fanny : Oui le fait qu’elle était sourde, en fait, n’a pas changé grand-chose.
Megan : Ça n’a pas changé grand-chose…
Fanny : Dans son cas, parce qu’elle était privilégiée, j’imagine.
Megan : Oui voilà, elle était, elle venait quand même d’une grande famille, c’est pas le cas de tout le monde. Comme on a dit tout à l’heure, les femmes en général du peuple sourdes et âgées étaient considérées comme des sorcières, mais on voit que c’était pas une généralité. Dans les hautes couches de la société, on suppose qu’elle ne devait pas être la seule, mais c’est la seule pour le moment qu’on connaît. Elle vivait quand même sa vie comme les autres princesses et elle était pas mise de côté, cachée. On sait même qu’elle utilisait les signes pour s’exprimer avec les gens sa famille, donc c’était quand même quelque chose qui était connu, les gens du peuple savaient, c’était pas une honte. Après rien ne nous dit que, derrière, il y avait pas des moqueries, etc. Mais de ce qu’on ressort des textes, elle faisait sa vie quand même assez normalement, comme les autres princesses de son temps.
La deuxième personnalité dont je veux parler — et ça déborde un peu des bornes chronologiques du Moyen Âge, mais on sait que la culture change pas du tout au tout en un jour surtout en ce qui concerne la surdité —, c’est Antoine de Laincel. Donc c’est un seigneur sourd qui avait son domaine à Saint-Martin-de-Renacas, qui est maintenant Saint-Martin-les-Eaux dans le sud. C’est un chevalier des guerres de religion, passionné de chasse…
Fanny : Donc XVIe siècle.
Megan : Oui XVIe siècle oui. C’est un passionné de chasse, un passionné d’échecs, de jeu d’échecs.
Fanny : De chasse ? ! Il chassait en étant sourd ? Pour le coup, je suis désolée, mais c’est peut-être un peu compliqué quand même! (rires)
Megan : Je ne sais pas comme il faisait, mais je sais que les sourds ont de très bons yeux, donc c’était peut-être pour ça.
Fanny : Oui mais y a tout le système avec les… avec les trompettes.
Megan : Oui oui, il devait pas être tout seul, ses chiens ou… En tout cas ce qui est sûr c’est qu’il est connu aussi pour ça, il est connu surtout pour son très bon jeu d’échec puisqu’il y a d’autres seigneurs qui affirment avoir joué avec lui et que c’était un très bon joueur, qui leur prenait tout leur argent, c’est ça qu’ils disaient.
On a des traces aussi de comptes qu’il faisait, c’est-à-dire que, en fait, comme il était illettré — lui par exemple c’est un sourd qui a perdu l’audition très jeune, à 2, 3 ans suite à un accident —, mais pour autant en plus d’être illettré, on savait qu’il était tout à fait capable de gérer les mathématiques. Il tenait ses comptes en dessins, très précisément il savait quel argent rentrait et sortait de sa seigneurie. Il était tout à fait autonome.
Et la particularité chez lui c’est qu’il avait un moine interprète, qui l’assistait dans ses grandes réunions privées, ses entretiens avec peut-être les gens de sa seigneurie et, c’est vraiment une particularité qu’on lui accorde à lui seul puisqu’on ne sait pas pour les autres sourds, par exemple pour Jeanne Stuart on ne le sait pas, si elle avait une interprète ou si elle était, même si intégrée, parfois exclue de certaines réunions. Et voilà on sait qu’il a le droit de combattre mais ça, les sourds n’ont le droit de combattre que depuis la Ve croisade, donc 1213, par une déclaration de Robert de Courson, le légat du pape Innocent III.
Fanny : Au XIIIe siècle y a eu beaucoup de droits pour les sourds en fait entre le mariage et ça…
Megan : C’est vrai, il y a beaucoup de choses, il y a aussi eu beaucoup d’interdictions à partir de de là, plutôt à partir du XIVe-XVe siècle où les interdictions ont commencé à tomber. Donc pour être chronologique, la première autorisation, c’est qu’on a le droit de baptiser les sourds, ça c’est au Ve siècle. La deuxième au VIe siècle, c’est que les sourds n’ont pas le droit de créer un testament, comme on le disait tout à l’heure, justement pour éviter les abus d’autrui, ni faire de donation en général. Tout ce qui est gestion financière, les sourds n’y avaient pas droit. Au VIe siècle, c’est l’empereur Justinien qui fait une classification des sourds. Et puis plus rien jusqu’au XIIIe siècle, où Robert de Courson du coup déclare publiquement à travers tout le royaume de France que les sourds ont le droit de prendre la croix lors de la Ve croisade, avec les femmes et les enfants.
Fanny : Ah ouais on met tout le monde dans le même paquet allez hop ! Tout le monde, venez!
Megan : Voilà, il les nomme sous le terme de parvulos, donc les « petits enfants », tous les petits du royaume, donc les femmes, les enfants, les sourds, les muets, voilà, tous ceux-là ont le droit de prendre la croix à partir de la Ve croisade.
Au XIIIe siècle pareil, on affirme que les sourds peuvent se marier. Et à partir du XVe siècle c’est les interdictions : interdiction d’être avocat… On préconise de ne pas s’adresser à eux directement lors du baptême puisque comme ils n’entendent pas ça sert à rien, et puis on ne sait jamais peut-être qu’ils sont possédés donc faut pas s’adresser directement à eux. Par contre, on les autorise à se confesser par le biais des signes : il faut absolument qu’il se repentissent.
Dans la même période, on leur interdit d’être évêque, ils n’ont pas le droit d’avoir de grandes postures religieuses même s’ils peuvent être moines. Ils n’ont pas le droit d’accéder aux autres fonctions religieuses. Ils n’ont pas le droit d’être juges non plus. Et je pense que c’est tout, mais c’est déjà pas mal. Au début on les autorise et puis en fait on leur interdit pas mal de choses. Les interdictions de juge et d’évêque, en fait c’est simplement parce qu’on considère qu’ils n’ont pas le recul nécessaire pour entendre peut-être les médisances, les mensonges, qu’ils ne sont pas capables de percevoir la vérité chez les gens, donc on préfère leur interdire. Moi je vois ça plutôt comme une sorte de protection des sourds.
Fanny : C’est pratique en fait, on est dans la pratique effectivement oui…
Megan : Ils veulent pas prendre de risque, en se disant, peut-être qu’un sourd est tout à fait apte, mais c’est vrai qu’à l’époque il n’y avait pas autant de signes que maintenant, donc peut-être qu’il risquerait de se faire avoir ou voilà, de se faire prendre son rôle. On sait pas exactement mais moi je vois ça plutôt comme mesure de protection à leur rencontre : on voulait éviter le plus possible qu’ils soient — comme dans la Bible, on dit qu’il faut les protéger — de les mettre en position de victimes, de les mettre… Voilà, c’était vraiment, moi je pense, une mesure de protection envers eux.
Fanny : On va parler un petit peu des sources, tu nous as beaucoup parlé donc des textes religieux, de la Bible et tout ça. Toi, sur quoi tu travailles comme sources ?
Megan : Alors j’ai six pages de bibliographie ! (rires) En fait le problème c’est clairement, il y a un gros manque de sources à leur sujet. En fait je travaille sur tout. C’est-à-dire que dans n’importe quel ouvrage, parfois, il y a une petite phrase où on notifie « les sourds n’ont pas le droit d’être évêque », « les sourds n’ont… », mais c’est vraiment, il y a pas d’ouvrage au Moyen Âge où c’est consacré à la surdité, où on parle de leurs droits, de leurs interdits, il y a pas ça. Donc ça c’est une des difficultés majeures que j’ai pu rencontrer, c’est-à-dire qu’il faut chercher partout, il faut pas avoir de barrière, vraiment se dire que dans n’importe quel ouvrage on peut en parler, que ce soit dans les ouvrages pour la guerre, pour la médecine. Comme c’est un sujet qui est très peu étudié de nos jours, beaucoup de mes recherches sont basées sur des sources du Moyen Âge.
Fanny : Des manuscrits du Moyen Âge, ouais.
Megan : C’est ça, et il y a très peu de choses en fait.
Fanny : On est d’accord que pour un sujet de mémoire c’est un énorme sujet, en fait ? Parce que tu dois brasser toute l’Europe occidentale et tout le Moyen Âge, mais en fait tu va passer ta vie à faire ça !
Megan : C’est pour ça que j’aimerais bien continuer ça en thèse peut-être plus tard, mais c’est vrai que c’est un très gros sujet, qui est pas du tout étudié, donc il y a tout encore à faire.
Fanny : J’ai pas l’impression que ce soit un sujet hyper original, enfin c’est pas hyper précis comme sujet donc on s’attendrait à ce que ce soit étudié en fait…
Megan : Peut-être que le handicap ne fait pas rêver ?
Fanny : Il y a bien des gens qui étudient des comptabilités (rires) alors en termes de sujets qui font rêver…
Megan : Oui c’est vrai mais il faut croire que la surdité n’intéresse pas… Ça a été étudié c’est vrai, je veux pas dire que je suis la première à sortir un mémoire sur ce sujet, mais c’est vrai que ça l’est peu, et même quand ça l’est, par exemple il y a des ouvrages qui traitent du handicap au Moyen Âge en général, il y a très peu de choses sur les sourds, c’est un petit paragraphe, un petit chapitre, mais je peux pas faire mon mémoire, je peux pas passer mon mémoire sur ce genre de chose. Il faut vraiment que je cherche, je cherche, je cherche, je cherche, parce que c’est vraiment pas un sujet qui est énormément étudié, et c’est là où ça fait défaut, c’est que parfois on aimerait trouver un ouvrage où on ouvre et puis on a toute la bibliographie… et en fait non.
Fanny : Parce que ton deuxième directeur de mémoire, donc Yann Cantin, il est spécialiste de cette question en général, donc de la surdité, mais plus pour l’époque moderne lui, c’est ça ?
Megan : Oui, lui il est plus moderniste, mais il s’est intéressé… il est un peu « fluide », il s’est quand même intéressé pas mal au Moyen Âge, il a fait une conférence d’ailleurs pour ceux que ça intéresse qu’on peut trouver sur internet.
Fanny : On la mettra sur le site passionmedievistes.fr et effectivement j’ai pu un peu la regarder, c’est très intéressant.
Megan : À part cette conférence qu’on peut trouver, c’est vrai que c’est très compliqué même de trouver des conférences sur la surdité au Moyen Âge.
Fanny : Et même dans le monde anglo-saxon, parce que je voyais que dans ton mémoire tu parlais des disable studies, ils sont un peu plus en avance sur nous sur le champ historiographique, on l’avait vu déjà sur l’histoire des femmes, sur les gender studies ils sont bien en avance par rapport à la France, donc est-ce qu’ils sont en avance là-dessus aussi ou pas ?
Megan : C’est vrai que outre-Atlantique ça se développe beaucoup plus qu’en Europe, même s’il y a quand même des travaux qui sont faits, notamment sur l’Espagne, voilà des choses comme ça, mais c’est vrai que outre-Atlantique y a beaucoup plus de travaux, surtout aux États-Unis particulièrement puisqu’il y a une grande université, Gallaudet, qui elle est spécialiste vraiment de tout ce qui englobe la surdité, c’est une université pour les sourds à la base.
Fanny : Elle est où aux États-Unis ?
Megan : Euh à Washington je crois si je dis pas de bêtises, et c’est un énorme campus où les sourds peuvent faire des études de droit, où tous les profs signent, des études d’histoire, des études d’interprète, des études… vraiment des études de tout. Pas interprète, traducteur pardon. Et c’est vraiment une université qui est basée sur l’ASL, l’American Sign Language, du coup c’est vrai que là-bas y a un plus gros potentiel de recherche puisque c’est leur visée en fait, leurs étudiants ont envie de savoir ce qui s’est passé avant. Ici je dirais pas qu’on est en retard, mais c’est vrai qu’on n’est pas forcément à la page. Il y a des instituts, il y a des écoles pour les sourds, mais c’est vrai que ça se perd de plus en plus. Bon après on va parler un peu politique mais y a de moins en moins de subventions.
Fanny : Non mais il faut le dire en fait c’est ça, que déjà la recherche est…
Megan : Oui ça se perd. Ça se perd et puis c’est vrai qu’il y a très peu d’options pour les sourds au niveau des études, à moins qu’il soit motivé à payer un interprète pour venir à la fac traduire, avoir des preneurs de notes, etc.
Fanny : Après j’imagine que cette université aux États-Unis elle doit être assez chère aussi quand même non ?
Megan : Comme toutes les universités aux États-Unis !
Fanny : Et du coup y a pas tout le monde, j’imagine que les sourds…
Megan : Mais c’est quand même un énorme campus où même beaucoup d’étudiants français sourds vont aux États-Unis justement pour découvrir, et faire un cursus adapté à leur besoin. C’est vrai même moi en tant que référente langue des signes dans mon travail, j’ai beaucoup d’élèves qui aimeraient faire des études supérieures, ils savent très bien qu’en France c’est très compliqué, même de trouver un interprète disponible tous les jours pour t’accompagner dans tes TD, dans tes trucs, dans tes CM, d’avoir quelqu’un qui prend les notes, de te réexpliquer si tu as besoin… Voilà, cette université aux États-Unis, elle est vraiment particulière : tout est fait pour que les étudiants sourds soient à l’aise.
Fanny : Ouais c’est adapté.
Megan : Que les cours sont adaptés voilà, tout simplement, c’est… ils prônent vraiment l’accessibilité et les études pour tous. Aux États-Unis ils sont beaucoup plus en avance sur l’accessibilité, rien que sur le fait qu’aux concerts, il y a toujours une interprète en langue des signes qui traduit, à la télé que ce soit dans les débats politiques, il y a toujours une interprète en langue des signes. C’est pas le cas en France.
Fanny : On voit en France il y a même des gens qui se moquent de ça, qui, quand c’est à l’Assemblée quand en fait il y a une personne qui traduit, j’ai vu ça il y avait des gens qui se moquaient cette personne qui fait des gestes idiots… C’est énervant.
Megan : Alors que c’est l’une… c’est l’un des seuls moments où les sourds ont un interprète à la télé. C’est tellement rare. C’est très très rare. Je crois qu’il avait Télématin qui le faisait aussi à un moment. En fait c’est tout un ensemble culturel qui fait que la France, peut-être, s’intéresse pas forcément à la surdité. Ça viendra, j’essaie petit à petit d’intéresser des gens.
Fanny : J’espère qu’avec cet épisode peut-être on touchera plus de gens avec ça.
Megan : C’est vrai que c’est une période qui est très intéressante, malgré que ce soit une minorité, il y a énormément de choses à voir, même au niveau de la littérature avec les sourds au Moyen Âge. C’est là où [sont nées] toutes les expressions, comme je le disais tout à l’heure, « pas tombé dans l’oreille d’un sourd », etc. Même l’image du sourd stupide, c’est pas tombé comme ça, d’un coup. C’est pour ça que c’est très intéressant de voir comment les perceptions qu’on a de nos jours des sourds, de se rendre compte en fait que même au Moyen Âge, c’était déjà les mêmes genres de perceptions qu’on avait. Donc tout bêtement, mes parents sont sourds, combien de fois j’ai eu la question « mais tu parles avec tes parents ? » « mais tes parents ils peuvent comprendre ? » « mais comment tes parents ils peuvent travailler ? » « tes parents ils pensent ? » On m’a posé tellement des questions qui paraissent peut-être…
Fanny : Ah ouais, mais quelle horreur !
Megan : Oui mais ça existe, et donc il faut se dire qu’au Moyen Âge, c’était déjà le cas. Donc pour les gens qui étaient proches des sourds, ils devaient se dire « bon bien voilà, bien sûr on communique, bien sûr ils travaillent » mais c’était pas l’apanage de tout le monde. Il y a des gens qui posent parfois des questions qui paraissent un peu excentriques, mais pourtant c’est une réalité, en France en tout cas, il y a très peu de sensibilisation qui est faite sur la surdité, et ça, c’est depuis toujours.
Fanny : J’en profite pour dire, alors on enregistre cet épisode plusieurs mois avant qu’il soit diffusé, j’ai commencé avec certaines personnes volontaires à travailler sur la transcription des épisodes de Passion Médiévistes. Ça prend beaucoup de temps, mais c’est un sujet auquel je m’intéresse, et que je veux faire. Donc si ça se trouve d’ici là ce sera fait, mais je vais essayer de proposer la transcription des épisodes donc disponible sur le site, je vais essayer de prévoir comme il y a une option sur le site avec un texte déroulant où en fait, il y aura un espace où on pourra avoir une transcription écrite de certains épisodes.
Megan : C’est génial !
Fanny : J’essaie à mon petit niveau d’aider aussi.
Megan : Non mais c’est vrai que c’est super, même pour ceux qui s’intéressent à l’histoire parce qu’il y a beaucoup de sourds qui s’intéressent à l’histoire, c’est pas réservé aux entendants, c’est vraiment cool parce que il y a vraiment pas grand-chose qui est fait pour eux en France. Petit à petit, on y arrive mais quand on voit les interdictions, ce que les sourds peuvent ou ne [peuvent] pas faire, ça a évolué, mais pas beaucoup. Après la révolution, après le congrès de Milan en fait, les sourds ont été interdits de signes. On leur a demandé très clairement de « ranger leurs mains » puisqu’on considérait que c’était démoniaque, qu’il ne fallait pas signer, qu’il fallait absolument oraliser.
Fanny : En fait on était plus évolué au Moyen Âge qu’au XIXe siècle, haha !
Megan : C’est vrai. Au Moyen Âge, les sourds n’étaient pas forcément remarqués parce que ce n’était pas réservé à eux de signer. Même les moines bénédictins signaient, donc c’était « il signe, voilà, il peut très bien faire partie d’une congrégation religieuse ». Jusqu’en 1980, les sourds n’avaient pas le droit de signer, donc c’est très récent. Ça fait quarante ans que les sourds ont le droit de signer, ont le droit d’aller dans des instituts pour les sourds, d’avoir la langue qui leur est la plus naturelle, et c’est vrai qu’au Moyen Âge ben du coup, on voit qu’il y avait peut-être parfois un peu plus de liberté pour les sourds d’être eux-mêmes, plutôt que maintenant.
Fanny : Quand je dis que le Moyen Âge c’était bien… Actuellement, Megan tu es en train de travailler sur ton mémoire de M2, donc toujours sur la surdité, comment est-ce que ton sujet a un petit évolué entre le M1 et le M2, est-ce que tu vas travailler sur d’autres choses ?
Megan : En master 1, je me suis plutôt consacrée à tout ce qui est médecine, à l’aspect un peu hagiographique, donc des miracles, je me suis beaucoup focalisée sur ça, les histoires de miracles, et sur la découverte des moines bénédictins, pourquoi ils ont choisi les signes, qu’il ne faut absolument pas appeler langue des signes, on parle plutôt de gestes monastiques. La langue des signes c’est venu bien plus tard, c’est vraiment une langue qui est propre, avec une syntaxe, des vocabulaires, vraiment quelque chose de spécifique. Qui est vraiment lié à la culture sourde. On ne peut pas forcément parler de culture sourde au Moyen Âge, même si ça fait partie de la culture sourde maintenant. On ne peut pas parler vraiment d’une communauté, ça ça vient un petit peu après. Dans mon master 2, j’ouvre un peu la question de la surdité, en me focalisant aussi sur la littérature, donc sur la poésie, sur le théâtre médiéval en occident. Voir comment les sourds étaient perçus même dans la culture populaire, c’est intéressant de voir ça, et c’est intéressant de voir qu’ils n’ont pas été perçus différemment de la religion. En fait c’était vraiment très rapproché. Donc souvent dans les pièces, quand il y avait un sourd, on parlait souvent de miracle, « il a été guéri », ou au contraire, un païen devient sourd parce qu’il ne croit pas en la foi chrétienne. Voilà, c’est des choses qu’on peut retrouver dans la littérature médiévale. Et bizarrement, on ne parle pas tellement de sourds idiots, de voilà, il y a parfois des malentendus un peu marrants, des quiproquos, il n’a pas entendu donc on répète, c’est des jeux de mots, mais c’est pas vraiment, voilà, même à n’importe quelle période du Moyen Âge, les pièces de théâtre qu’on peut retrouver, il y a pas vraiment de moqueries méchantes vraiment sur les sourds. On parle plus de Dieu, comment ses pouvoirs s’incarnent. Avec le sourd qui parle.
Fanny : Le Dieu du Moyen Âge quoi.
Megan : Voilà, et des malentendus, etc. Par contre il y a jamais de sourds puissants dans la littérature. On ne parle jamais de Jane Stuart, bon Antoine de Laincel ça vient plus tard, mais on sait que, si Antoine de Laincel a existé, forcément d’autres sourds l’ont précédé. C’est pas le premier sourd qui est arrivé au XVIe siècle dans une famille puissante, on parle jamais d’eux. Quand on les voit, c’est toujours des gens de la population, des gens classiques, c’est pas des nobles, c’est pas des moines, c’est vraiment des gens de la population en général.
Fanny : Donc là, s’il y a des gens qui nous écoutent et qui dans leurs recherches ont croisé à un moment une personne sourde, il faut qu’ils te contactent.
Megan : Exactement !
Donc en plus de la littérature religieuse, j’ouvre les débats sur la littérature « laïque », on va dire, entre guillemets, mais j’ouvre aussi le débat sur ce qui se passe en Orient, donc dans l’empire islamique. C’est drôle de voir qu’en fait les choses ne sont pas si différentes que ça. Les sourds ont le droit de se marier, les signes sont toujours considérés comme un consentement.
Fanny : Donc là, tu travailles sur quelle zone géographique ?
Megan : L’Occident et l’Orient médiéval. Vraiment je suis large ! (rires)
Fanny : Megan, ta thèse ce sera « le monde » !
Megan : Mais j’aimerais bien pouvoir comparer comment ça se passe dans chaque partie du monde, mais c’est vrai que c’est tellement spécifique, ça parait très compliqué de restreindre les barrières, parce que si on restreint, ben on n’a plus grand-chose. Donc il faut étendre le plus possible, afin de voir ce qui se passe et puis souvent…
Fanny : Attention à ne pas se noyer quand même !
Megan : Non ça va, puisque en fait on se rend compte vite que ce qui se passe en Occident, en France est souvent vraiment très rapproché de ce qui se passe en Angleterre. Donc même si les bornes géographiques sont étendues même jusqu’à l’Orient, on se rend compte par exemple dans tout l’Orient que les sourds ont le droit aussi de se marier, mais qu’ils ont le droit de faire un testament, qu’ils ont le droit de posséder des biens, de vendre, de faire des dons, et ça c’est la grande différence avec l’Occident. Sinon, les sourds n’ont pas le droit d’être juge non plus en Orient, pour les mêmes raisons que j’ai énoncées tout à l’heure c’est qu’ils considèrent qu’ils ne sont pas aptes à entendre la vérité ou le mensonge, qu’ils ne sont pas capables de discerner tout ça. Mais sinon c’est vrai qu’il y a pas mal de ressemblances en fait.
Fanny : Et dans la religion aussi c’est considéré pareil, ou est-ce qu’il y a des différences avec l’islam ?
Megan : Alors non, dans l’islam on considère la surdité, vraiment encore une fois comme « donnée de Dieu », mais on ne parle pas de possession démoniaque. On ne parle pas forcément de punition, c’est possible, mais c’est pas la première chose. On parle vraiment de surdité donnée par Dieu, soit pour que sa puissance se révèle à travers le sourd, donc le jour où il entend à nouveau c’est grâce à Dieu. En islam le statut du sourd est moins compliqué. On parle plutôt de punition divine parce qu’il refuse d’entendre le message divin, c’est surtout ça.
Fanny : On est raccord avec la région chrétienne.
Megan : Voilà on est plutôt raccord par contre, ce qu’on ne retrouve pas en islam c’est la possession démoniaque.
Fanny : Megan, à l’heure où on sort cet épisode, tu auras rendu ton M2, tu seras libre et on verra ce que tu feras mais, j’ai ma petite question rituelle de fin de ce podcast, et je pense qu’en plus dans ton sujet c’est encore plus intéressant : quel conseil tu aurais à donner aux personnes qui voudraient étudier le handicap en général au Moyen Âge ?
Megan : Tout dépend du handicap. Je vais parler pour moi, j’ai pas spécialement envie de parler pour les autres parce que je ne suis pas spécialiste des autres handicaps.
Fanny : C’est à toi que je demande.
Megan : Mais c’est vrai que sur la question de la surdité, c’est beaucoup de travail, beaucoup de rigueur, beaucoup de recherches. Parfois c’est des jours de recherches pour une phrase, donc des fois c’est un peu frustrant, mais sincèrement c’est un sujet qui est passionnant, c’est des sujets où on peut beaucoup faire de parallèles avec la vie de maintenant, du XXIe siècle. Mon conseil c’est « faites du latin » ! (rires)
Fanny : Ah, ça faisait longtemps qu’on l’avait pas eu celui-là, faites du latin.
Megan : J’en ai jamais fait, et c’est vrai que je le regrette un peu, parce que des fois ben je galère un peu avec les traductions. J’y arrive mais c’est vrai que ça me fait du travail en plus. Mais c’est vrai que c’est énormément de recherches, c’est de la recherche en fait de l’Empire romain jusqu’à maintenant. Énormément de travail pour pas beaucoup de résultats, mais c’est très satisfaisant de voir qu’on apporte quand même quelque chose à l’histoire. C’est des choses qui n’ont jamais été faites, très peu. Pour moi, c’est, enfin je me sens utile en fait en faisant ces recherches, parce que je sais qu’il y a certaines choses que j’ai trouvées dans mon mémoire que je n’ai vu, pour le moment, pas ailleurs dans d’autres ouvrages. Donc c’est vrai que c’est assez satisfaisant de se dire qu’on apporte réellement quelque chose à l’histoire et qu’on fait pas quelque chose, j’irai pas dire qui sert à rien, mais voilà, qui est un peu lambda. Ça fait sens en fait dans notre société, de nos jours de travailler sur le handicap.
Merci beaucoup à Marion, Clément et So pour la retranscription !