Épisode 21 – Maxime et les procès de sorcellerie (partie 1)
Dans la première partie de cet épisode 21, Maxime Gelly-Perbellini vous propose un panorama général sur les procès de sorcellerie à la fin du Moyen Âge.
Sa thèse porte sur “Construire la figure de la sorcière en France à la fin du Moyen Âge (XIVe-XVe siècles) – Justice, représentations, circulations des savoirs et des imaginaires”. Maxime nous rappelle qu’il n’y a pas vraiment eu de “chasse aux sorcières” au Moyen Âge, et nous apprend qu’il n’y a pas eu de systématisation d’accusation envers les hommes ou envers les femmes, cela dépendait des régions.
Au Moyen Âge les premières accusations de sorcellerie sont relevées dans les sources dès le début du XIIIème siècle, notamment en Italie du nord. Mais l’accusation pour sorcellerie ne date pas du Moyen Âge, on trouve la figure de la sorcière déjà dans l’Antiquité par Cicéron puis au Haut Moyen Âge. C’est uniquement vers la fin de la période que se focalise une action judiciaire, théologique, doctrinale et commune qui conduit à des accusations et à des répressions envers des personnes accusées de sorcellerie.
Maxime a été tellement passionnant que nous avons fait un deuxième épisode sur les procès de sorcellerie !
Pour aller plus loin sur le sujet Maxime vous propose cette petite bibliographie
- Brian P. Levack, La grande chasse aux sorcières en Europe aux débuts des temps modernes, Paris, 1991.
- Richard Kieckhefer, European Witch Trials: Their Foundations in Popular and Learned Culture, 1300-1500, Londres, 1976.
- Jean-Patrice Boudet, Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval, XIIe -XVe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006
- L’imaginaire du sabbat. Edition critique des textes les plus anciens (1430 c. – 1440 c.), réunis par Martine Ostorero, Agostino Paravicini Bagliani, Kathrin Utz-Tremp, Lausane, 1999.
- Claude Gauvard, « Renommées d’être sorcières : quatre femmes devant le prévôt de Paris en 1390-1391 », dans E. Mornet, F. Morenzoni (éd.), Milieux naturels, espaces sociaux. Études offertes à Robert Delort, Paris, 1997, pp. 703-716.
Les extraits diffusés dans cet épisode :
- Kaamelott Livre I L’expurgation de Merlin
- Sacré Graal des Monthy Python
[Générique]
Fanny : Est-ce que l’on sait tout du Moyen Âge ? Est-ce qu’il reste encore des choses à découvrir ? Et d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge ? En fait, il y a autant de réponses que de médiévistes. Dans ce podcast, nous rencontrons des personnes qui étudient l’histoire médiévale aujourd’hui. Ils nous parlent de leurs sujets passionnants et de leurs recherches pour vous donner envie d’en savoir plus.
Épisode 21, Maxime et les sorcières, c’est parti !
Fanny : Bonjour Maxime Gelly-Perbellini.
Maxime : Bonjour.
Fanny : Tu fais une thèse depuis fin 2014 en histoire médiévale à l’Université libre de Bruxelles et à l’École des hautes études en sciences sociales et tu travailles précisément sur comment s’est construite la figure de la sorcière en France à la fin du Moyen Âge, donc XIVe-XVe siècle et tu es sous la direction de Marie Anne Polo de Beaulieu et Alain Dierkens.
Maxime : Tout à fait.
Fanny : Pour préparer cet épisode, j’ai demandé aux auditeurs de m’envoyer des questions et j’en ai jamais reçu autant ! Donc Maxime, le sujet, manifestement, passionne. Merci beaucoup à eux. J’aimerais vraiment qu’on commence sur un sujet qui pour moi est vraiment primordial. Est-ce qu’on peut faire le point sur la chasse aux sorcières au Moyen Âge. Est-ce qu’on peut vraiment parler de chasse aux sorcières au Moyen Âge ?
Maxime : Alors. La question, en effet, se pose d’emblée. Parce que, lorsque l’on parle de la répression de personnes accusées de sorcellerie, je préfère utiliser une paraphrase un peu plus longue pour parler d’un phénomène qui, je pense, est complexe. Donc du coup, c’est sûr que l’historiographie, en général, et dans les discussions, apparaît plus souvent et plus facilement l’expression de « chasse aux sorcières » qui peut, à mon sens, être beaucoup plus appliquée à cette répression de femmes et d’hommes accusés de sorcellerie à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle. Où là, pour le coup, il y a eu vraiment une répression systématique, globalisée et où le nombre de procès, d’accusations et de condamnations a été très très très fort. En ce qui concerne le Moyen Âge, il est difficile de parler de « chasse aux sorcières » ou de « chasses aux sorciers » stricto sensu dans le sens où, déjà, la formulation pose le problème du genre que l’on emploie pour parler de ces personnes accusées. Il n’y a pas, à vrai dire, de systématisation d’une accusation féminine ou masculine. La réponse est plus complexe dans le sens où les particularités géographiques se font sentir sur le type de personnes qui sont accusées. Certains foyers vont représenter, vont être représentatifs d’une accusation centrée plus sur des femmes, d’autres plus sur des hommes. Donc, pour le Moyen Âge, parler de chasse aux sorciers ou aux sorcières est à mon sens… Pas anachronique mais exagéré.
Fanny : Alors comment on pourrait définir une sorcière au Moyen Âge ?
Maxime : Pareil. La réponse n’est pas… Ce n’est pas qu’elle n’est pas facile mais qu’elle nécessite de prendre quelque distance avec la question. Comment se définit une sorcière ? La définition se conçoit dans l’esprit des accusateurs. Les accusateurs peuvent être multiples. Ils peuvent être tant ecclésiastiques que laïques sur une période qui va du XIIIe au XVe siècle, en tout cas pour les siècles qui nous intéressent dans mes travaux pour la fin du Moyen Âge. Déjà, cette conception diverge en fonction du parti pris ou de l’angle d’accusation qui est souhaité par l’accusateur, en tout cas, qui est modélisé par l’accusateur. La sorcellerie cohabite avec d’autres types de répressions qui vont, au cours du Moyen Âge, être agglutinées à la sorcellerie à proprement parler, tels que la magie rituelle, l’astrologie, toute forme d’arts divinatoires, chiromancie, géomancie, l’art notoire, la nécromancie, et la sorcellerie en elle-même revêt différentes réalités, en tout cas dans la bouche des accusateurs. Ça peut être l’adoration du diable stricto sensu, l’apostasie — donc le rejet de la foi chrétienne —, le maléfice — c’est-à-dire nuire à quelqu’un d’autre par une action réputée magique —, une invocation démoniaque, un envoûtement, le vol magique pour se diriger vers le sabbat et le sabbat lui-même qui est l’adoration du diable au cours d’une réunion secrète nocturne. Tous ces éléments-là, dits d’une certaine manière, comme je le fais, en bouquet, émergent au cours du Moyen Âge d’une manière non pas simultanée mais au cours de l’évolution des différents concepts.
Fanny : D’après les recherches que tu as faites, quelles sont les premières accusations de sorcellerie qu’on trouve au Moyen Âge ?
Maxime : Sur la tranche chronologique que j’étudie sur la fin du Moyen Âge, les premières accusations de sorcellerie, c’est-à-dire, où se retrouvent conjointement dans un procès l’idée qu’une personne, par le biais d’un sortilège — en latin sortilegus —, que ce soit par l’entremise du diable ou non, a causé un méfait à quelqu’un d’autre, apparaît ou en tout cas, est relevée dans les sources, dès le XIIIe siècle, en Italie du Nord, dans le Frioul et autour de Perouse.
Fanny : Et est-ce qu’on a des traces de ce que pouvait être la sorcellerie au haut Moyen Âge, donc au début du Moyen Âge ?
Maxime : Oui, parce que l’accusation en sorcellerie elle-même ne date pas du Moyen Âge. La condamnation en sorcellerie ne date du Moyen Âge. Dans l’Antiquité déjà, la figure de la magicienne ou de la sorcière ou du sorcier, du nécromancien, existe. Elle est critiquée par Cicéron lui-même. Au haut Moyen Âge, des capitulaires carolingiens mentionnent l’idée de condamnation de certaines pratiques réputées magiques, de pratiques qui vont à l’encontre de la foi chrétienne, de pratiquer des sortilèges, des maléfices. Par exemple, dans certaines condamnations aussi, dans la bouche de l’Église. Je pense spécialement à Incmar de Reims au haut Moyen Âge, qui réfléchit par exemple autour de l’annulation du mariage, aux caractères qui peuvent nuire au mariage, et dans ces éléments-là, on retrouve l’idée du sortilège, qui est une possibilité d’empêchement de copulation des époux et donc de quelque chose qui doit être condamné, réprimé. Cette idée-là se retrouve très régulièrement, mais c’est uniquement vers la fin du Moyen Âge, XIIIe, XIVe, XVe siècle que se focalise une action judiciaire, théologique, doctrinale, conjointe, commune et qui conduit à une condamnation, une répression, une accusation de personnes qui sont réputées pratiquer. Je vais utiliser très souvent au cours de l’enregistrement du podcast la formulation de « réputé » parce qu’en tant qu’historien moi-même je ne peux pas me placer pour juger si les personnes qui sont mentionnées dans ces sources sont ou ne sont pas sorcières. Justement le but de l’historien c’est de détricoter l’ensemble des processus qui mènent et qui construisent cette criminalité, la conjonction des différents modèles judiciaires, théologiques, doctrinaux qui conduisent une personne, un juge à accuser une autre d’être porteur de méfaits, de crimes, qui sont la sorcellerie.
Fanny : On revient à la fin du Moyen Âge. Tu travailles donc surtout sur la France.
Maxime : Oui.
Fanny : Est-ce qu’il y a des zones en particulier ou des régions où on retrouve plus d’accusations de sorcellerie ?
Maxime : Oui. Il faut déjà poser d’emblée que le royaume de France n’a pas les mêmes contours qu’aujourd’hui, de la France que nous connaissons. Les foyers d’accusations se retrouvent essentiellement – en tout cas pour des foyers d’accusations, parce qu’ensuite, les accusations apparaissent momentanément un peu partout sur le territoire du royaume de France — mais on observe des foyers de répression ponctuels, avec des pics d’accusation d’un coup comme ça, tels que, par exemple, au Parlement de Toulouse, à Arras, au milieu du XVe siècle, dans le Dauphiné, à Paris. Je le dis pas dans l’ordre bien sûr mais il faut surtout retenir que ces accusations apparaissent sur les contours géographiques de ce royaume de France, dans ses périphéries, dans ses marges. Bien sûr, la question de l’articulation entre accusation de sorcellerie, instrumentalisation judiciaire de cette accusation et construction de l’État sont liées dans cette émergence de foyers, puisque l’accusation de sorcellerie va très souvent servir, dans l’ordre judiciaire, à imposer la place et surtout, l’État, l’autorité royale et la construction d’un État centralisé, pyramidal.
Fanny : Je l’avais pas vu sous cet angle, effectivement c’est hyper intéressant vu comme ça. Pour enchaîner, je reprends une question que m’a posé Akim sur Twitter qui disait qu’il avait cru comprendre qu’il suffisait de dénoncer une femme en tant que sorcière pour qu’elle puisse être jugée en tant que telle. Et plus largement, moi je te demande comment commençait une enquête pour sorcellerie.
Maxime : Bien sûr ! Dans ce que je viens de dire, on a l’impression que l’accusation émane uniquement des autorités judiciaires ou royales ou ecclésiastiques. Ce n’est pas le cas, bien sûr. Ces organes de répression et de punition sont bien sûr ceux qui agissent dans l’accusation de sorcellerie. Mais l’accusation peut bien sûr émerger par une voisine, une personne de son entourage. Car l’accusation de sorcellerie, au Moyen Âge, en France spécialement, est fondamentalement reliée à la question de la renommée, c’est-à-dire de la réputation de la personne qui est accusée. Les sorciers et sorcières que l’ont retrouvent en procès sont, le plus souvent voir, majoritairement, considérées posséder une mauvaise renommée, une mauvaise réputation. Ces éléments sont souvent basés sur les caractères délétères de leur vie. Ils n’ont pas une bonne fréquentation de l’Église, ils sont mauvais chrétiens, mauvaises chrétiennes, ils refusent la confession, ils refusent l’eucharistie, ils adorent le diable, ils ont fait vœu d’adorer le diable, ils sont dans l’apostasie… Enfin, tout un système qui les met en fracture de la société chrétienne, donc de l’Église avec un « E » majuscule. Ces accusations intracommunautaires, bien sûr, existent. Le nombre d’injures que l’on retrouve dans les registres de justice, qui mentionnent simplement le mot « sorcière », « vaudoise », « facturière », un autre mot que l’on connaît pour parler de cette réalité, « sortilège » « adorateur du diable », etc., montre à quel point les populations civiles se saisissent, participent à ce phénomène d’accusation de personnes et construisent, au sein de la communauté, une sorte de pression sociale sur des personnes qui sont réputées exercer la sorcellerie.
[Extrait de Kaamelott]
Fanny : Est-ce que les procès sont surtout conduits par l’Église ou est-ce la justice laïque condamne pour sorcellerie ?
Maxime : Non. Les procès ne sont pas exclusivement conduits par les instances ecclésiastiques, loin de là. Dans certaines régions même, ce n’est même exclusivement que des procès menés par des tribunaux laïques, des tribunaux royaux. Par exemple, dans le Dauphiné ou au Parlement de Dauphiné, un tribunal laïque qui va, au cours du XVe siècle, mener un nombre important de procès à l’encontre de sorciers et de sorcières.
Fanny : Comment se déroulent les procès pour sorcellerie ? Est-ce que les personnes accusées peuvent se défendre ?
Maxime : Oui. Alors, c’est une question qui revient très souvent. La justice médiévale, et surtout la justice à la fin du Moyen Âge, n’est absolument pas arbitraire. Elle autorise bien sûr le contradictoire et elle possède une procédure très réglementée.
Fanny : Un peu comme aujourd’hui ?
Maxime : Elle n’est pas écrite comme aujourd’hui. Aujourd’hui, on possède le code de procédure civile ou pénale. Au Moyen Âge, c’est la coutume qui prévaut dans l’organisation des procès, la coutume ou le style, on parle très souvent de style du Parlement de Paris ou de style du bailliage de quelque chose, c’est-à-dire de comment, dans une institution judiciaire, à telle ou telle localité on construit un procès.
Fanny : Donc il n’y a pas de texte de loi en fait.
Maxime : Il y a des textes normatifs qui construisent le droit, les ordonnances royales, etc., mais le droit est le plus souvent majoritairement coutumier. C’est-à-dire que c’est la coutume qui prévaut sur la manière d’agir face à tel ou tel crime, tel ou tel délit.
Fanny : Donc, j’imagine qu’il doit y avoir…
Maxime : Et cette coutume est écrite !
Fanny : Ah ! La coutume est écrite quand même.
Maxime : La coutume est écrite mais elle est… On ne conserve pas toutes les coutumes, mais en général elle est écrite. Par exemple, la coutume de Beauvaisis de Philippe de Beaumanoir, qui est un des monuments du droit médiéval est une source écrite, c’est une coutume écrite.
Fanny : Donc j’imagine que les procès ne se déroulent pas de la même façon selon les régions alors.
Maxime : La procédure en général est assez… En tout cas, pour les tribunaux royaux, donc du coup qui sont l’émanation de la justice déléguée du roi dans le royaume de France, la procédure est globalement la même. Les tribunaux laïques vont très rapidement s’accaparer la procédure inquisitoire, qui est la procédure donc du coup des tribunaux ecclésiastiques, pour mener un certain nombre de procès, pas uniquement pour la sorcellerie, mais en tout cas pour appliquer un certain nombre de caractères procéduraux, pour mener des enquêtes, des informations à l’encontre de personnes qui sont accusées, pour démêler finalement, pas le vrai du faux, mais pour démêler la réalité des causes qui sont placées devant le tribunal. Alors, comment ça marche ? Pour répondre à ta question, il est possible de se défendre, il y a aucun problème. Par exemple, devant le Parlement de Paris, les personnes qui font appel de procès qui ont été jugés en première instance, des tribunaux du coup de degré inférieur à celui du Parlement de Paris, donc bailliages, prévôtés, châtellenie… Des femmes et des hommes qui sont réputés être sorciers, qui viennent se défendre devant le Parlement de Paris, ont des avocats pour plaider leur cause. Il y a aucun problème. Le contradictoire, en tout cas au Parlement, existe, sans aucun problème. Devant d’autres juridictions, aux degrés inférieurs, on peut tout à fait se défendre par soi-même ou être représenté par quelqu’un d’autre : son mari, un avocat, tout est possible.
Donc je disais tout à l’heure, avec l’introduction du coup de la procédure inquisitoire, ce qui va changer dans la procédure judiciaire de ces procès, en tout cas pour l’accusation de sorcellerie, c’est l’introduction essentiellement, du coup, de la formation, donc c’est-à-dire une enquête sur la renommée de ces personnes où on va interroger, chercher des témoignages. Mais également l’introduction de la torture, qui revient pour avoir l’aveu de la personne qui est incriminée, qui est réputée être sorcier ou sorcière, parce que la preuve, dans l’ordre judiciaire médiéval, n’est pas matérielle, elle est exclusivement basée sur l’aveu. Faire avouer à quelqu’un qu’il est sorcier est essentiel pour pouvoir le faire condamner. C’est même la condition exclusive. La torture dans la procédure judiciaire à l’encontre des sorciers et des sorcières, la torture donc du coup, existe. Elle est employée pour faire avouer à telle ou telle personne qu’elle a commis tel ou tel crime, sortilège, etc. Les autorités, tant laïques qu’ecclésiastiques, sont toujours un peu timides à exercer la torture, mais elles l’exercent quand même, et surtout elle est encadrée, et lorsqu’elle est mal employée elle peut être… un procès peut même jusqu’à être annulé. En tout cas, la procédure inquisitoire prévoit trois séances de torture à la suite, où on essaye de faire avouer sous tout un système de maltraitance, le crime que la personne aurait commis, et chaque séance, chaque des trois séances, est intercalée par un moment de repos pour la personne qui est mise à la question. Et si au bout de ces trois séances de torture, la personne, la femme réputée être sorcière ou l’homme réputé être sorcier n’a pas avoué son crime, elle est réputée comme étant non-sorcière ou non-sorcier.
Au cours du Moyen Âge, les séances de trois tortures vont se multiplier, allant parfois jusqu’à cinq — donc trois fois cinq —, pour essayer d’établir l’innocence ou la réputation de la personne accusée. Mais, encore une fois, jusqu’à la fin du Moyen Âge, cette procédure va être renforcée dans le Marteau des sorcières. Le Marteau des sorcières c’est un traité d’inquisition, de deux inquisiteurs dominicains rhénans qui s’appellent Heni Institoris et Jacques Sprenger, qui mettent en place toute une série, un traité quasiment pratique pour déceler, au cours d’une procédure judiciaire, les sorciers, les sorcières. Ce traité met l’accent sur la féminisation de l’accusation de sorcellerie, et surtout indique que la torture doit être appliquée sans restriction, donc du coup sans respecter la coutume de la procédure inquisitoire, jusqu’à ce que la personne avoue, puisque le sorcier ou la sorcière sont réputées être des menteurs par nature et donc aussi de par leur part avec le Diable. Donc il faut les faire torturer jusqu’à ce qu’ils avouent. Donc on voit bien qu’il y a une évolution du regard sur la torture dans la procédure inquisitoire à l’encontre des sorciers et des sorcières et un durcissement de cette procédure, surtout dans les traités d’inquisition jusqu’à la fin du Moyen Âge.
[Extrait de Sacré Graal]
Fanny : On vient d’écouter un extrait du film Sacré Graal des Monthy Pythons. Qu’est-ce que tu penses de la représentation de la sorcière dans ce film ?
Maxime : Ce qui est intéressant c’est qu’elle est déguisée. Ce qui est intéressant, c’est le village, le voisinage, la communauté circonvoisine à cette personne qui l’accuse, qui la déguise, qui l’amène, si je comprends bien, au représentant de la justice locale pour qu’elle soit, même pas jugée mais directement condamnée, sans forme de procès. Et ce qui est intéressant aussi, c’est la déconstruction des caractères accusatoires de cette personne, bien sûr avec tout le caractère comique, et la construction d’une logique accusatoire. Ce qui est intéressant dans la déconstruction des éléments accusatoires du peuple, c’est la déconstruction des caractères physiques. Ils lui ont ajouté un faux nez, un chapeau et si j’ai bien compris également une sorte de guenille, de haillon. Alors là, on est en plein, bien sûr, dans cet imaginaire de la vieille femme, vetula en latin, qui simplement par son caractère, son âge avancé, sa laideur, le fait qu’elle est certainement hors mariage, qu’elle n’a pas pu se marier, est en fracture de la société : société civile, villageoise mais également société chrétienne puisqu’elle n’est pas intégrée dans cette société.
Donc, on y retrouve ici des ferments, qu’on a d’ailleurs au Moyen Âge, sur une tentation, en tout cas un sentiment que les accusations féminines de sorcellerie se concentrent sur ce type de femmes, sur l’émergence d’un de ces stéréotypes de la sorcière qu’on a encore aujourd’hui. Ensuite, on a une nouvelle construction accusatoire qui apparaît en disant que si cette sorcière pèse autant que du bois, qui pèse autant qu’un canard, (rire de Fanny) elle est sorcière et donc du coup elle peut être accusée. Ici, on touche un autre ordre, celui de l’ordalie. L’ordalie, c’est une épreuve judiciaire qui permet d’établir la culpabilité ou l’innocence d’une personne qui est accusée. L’ordalie peut revêtir différentes formes, différents procédés : l’ingestion de plomb en fusion, vérifier si l’on résiste à une noyade, etc., etc. Ici, elle prend le caractère d’une pesée où les preuves consistent à mettre la personne qui est réputée sorcière dans une grande balance et sur un plateau, on met la sorcière et sur l’autre plateau on met le canard qui est sensé être aussi léger que le bois et donc du coup, flotter sur l’eau. (rire de Fanny) Vous imaginez bien que la sorcière est aussi légère que le canard et donc les villageois peuvent aller la brûler, la condamner.
Fanny : Et bien justement, parfaite transition, merci. À quoi sont condamnées les personnes accusées de sorcellerie ?
Maxime : Lorsqu’une personne qui est réputée sorcier et sorcière passe devant les tribunaux, la sentence n’est pas toujours la condamnation, bien au contraire. Elle peut aller de la relaxe, donc c’est-à-dire l’annulation de la sentence, jusqu’à la condamnation à mort sous différentes manières — le bûcher, la pendaison, la décapitation — allant de l’amende, à la prison, prison plus ou moins sévère, etc.
Fanny : Et est-ce qu’on a des cas où les personnes qui à l’origine étaient accusées ont finalement été innocentes ?
Maxime : Oui. D’une manière vivante ou posthume.
Fanny : C’est-à-dire « posthume » ?
Maxime : Après leur condamnation à mort. (rire)
Fanny : C’est-à-dire qu’ils l’ont tué et après ils se sont rendu compte qu’ils avaient fait une erreur ?
Maxime : C’est le cas de la vauderie d’Arras qui donc du coup, au milieu du XVe siècle, sévit dans la ville d’Arras, qui va condamner un certain nombre de femmes et d’hommes pour sorcellerie, hérésie, etc. qui vont être toutes condamnées à mort. Et le Parlement de Paris, lorsqu’Arras redevient française, fait annuler, en tout cas rejuge les cas de sorcellerie qui ont été jugés à Arras et un certain nombre de personnes sont innocentées.
Fanny : Elles ont eu de la chance.
Fanny : Alors, Maxime a encore plein de choses à nous raconter sur les sorcières et les sorciers, sur son travail, sur ce qu’il a découvert sur les procès de sorcellerie. Pour écouter la suite de cet épisode, je vous donne rendez-vous dans une quinzaine de jours. Je dois remercier [Lismel ?? 26:16] qui m’a été d’une grande d’aide pour le montage. Allez l’écouter dans le podcast La Menstruelle, auquel je participe aussi. Et si vous aussi vous avez envie de passer dans le podcast, que vous êtes en master ou en thèse et que vous étudiez le Moyen Âge d’une façon ou d’une autre, envoyez-moi un mail à l’adresse passionmedievistes@gmail.com. Salut !
[Générique]
Merci énormément à Marie et So pour la retranscription !