Épisode 79 – Gabriel et l’agriculture dans le sud-ouest de la France
Quel type d’agriculture caractérise les Landes de Gascogne au Moyen Âge ?
Dans cet épisode de Passion Médiévistes, Gabriel Vialatte vous parle d’agriculture médiévale dans le sud-ouest de la France. Depuis 2021, il poursuit une thèse sur le sujet Le système agropastoral des Landes de Gascogne au Moyen Âge. Il étudie à l’Université Bordeaux Montaigne, sous la direction de Frédéric Boutoulle et Sylvie Faravel. À noter que cet épisode du podcast a été enregistré en public en décembre 2022 à l’Hôtel Mercure Centre de Bordeaux. Qu’est-ce que le système agropastoral, au juste ? Écoutez Gabriel Vialatte semer, pour vous, les bases de cette histoire médiévale.
Les Landes au Moyen Âge
“On a beaucoup de vides documentaires [sur le système agropastoral]. Les indices sont assez faibles sur le monde paysan [en général] et il faut essayer de les trouver dans toutes les sources qui peuvent nous éclairer. C’est plutôt l’accumulation de petits indices [disséminés çà et là] qui va permettre de bâtir des connaissances. Il faut donc multiplier les sources.” — Gabriel Vialatte
Gabriel Vialatte étudie l’agriculture entre le Moyen Âge central – du XIème au XIIIème siècles environ – et la fin de la période médiévale, que les historiens nomment le bas Moyen Âge ou encore, Moyen Âge tardif. Cette délimitation temporelle repose sur les sources parvenues jusqu’à nous sur le sujet et en l’occurrence, il y en a assez peu. Il s’agit de cartulaires – recueils d’actes –, de sources notariales, ou de cartographies de l’époque moderne que Gabriel Vialatte explore pour tenter de recueillir des indices sur l’époque médiévale.
Les recherches de Gabriel Vialatte portent essentiellement sur les Landes de Gascogne. Il décrit la lande comme un espace aux sols assez pauvres sur lesquels pousse une végétation buissonnante, et vous en trace d’ailleurs les contours. Au Moyen Âge, les Landes de Gascogne courent sur un vaste territoire qui va de l’estuaire de la Gironde, au nord, jusqu’à la vallée de l’Adour, au sud, et déborde à l’est sur le Lot-et-Garonne : soit une superficie d’environ un million d’hectares.
La région de Gascogne, quant à elle, ne se limite pas aux frontières régionales actuelles. Aussi, Gabriel Vialatte précise que la Gascogne comme région historique – soit, le territoire de Gascogne à l’époque médiévale – inclut, à l’est, le Bordelais, le Béarn, l’Armagnac et la vallée de la Garonne.
« Au Moyen Âge, […] les Landes de Gascogne sont entièrement dans la zone d’influence des ducs d’Aquitaine ». — Gabriel Vialatte
Historiquement, les Landes de Gascogne appartiennent au territoire des ducs d’Aquitaine. En 1152, suite au mariage de la duchesse Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt – futur roi Henri II d’Angleterre – le duché passe sous la domination de la Couronne anglaise. Les, désormais, rois ducs dirigent le territoire par l’intermédiaire de leurs intendants.
L’agriculture agropastorale
“On pourrait quasiment dire qu’il y a autant d’agricultures et de systèmes agraires qu’il y a de terroirs et de régions en France.” — Gabriel Vialatte
Comme le détaille Gabriel Vialatte, cultiver la terre implique de s’adapter au climat, mais aussi aux reliefs et à la qualité du sol dans lequel on souhaite planter. Ainsi, l’agriculture dans le sud-ouest, et plus précisément dans les Landes de Gascogne, se heurte à quelques particularités. Les paysans landais font face à des sols sableux, pauvres en nutriments, dans lequel toutes les plantes ne peuvent pousser.
“Oui, il faut beaucoup de fumure – comprenez du fumier – pour cultiver le sol landais !” — Gabriel Vialatte
Pour pallier les spécificités agricoles des Landes de Gascogne, les paysans y développent le système agropastoral. C’est une forme d’agriculture qui s’appuie à la fois sur l’élevage et la production céréalière. Selon la définition de Gabriel Vialatte, il s’agit de compenser les carences en nutriments du sol en y élevant d’abord des animaux dont le fumier va progressivement enrichir la terre. Comme la lande est une terre particulièrement pauvre, l’élevage y est donc important afin de la rendre davantage fertile et de pouvoir produire des récoltes chaque année.
“Au Moyen Âge, toute l’Europe suit un système agropastoral.” — Gabriel Vialatte
D’ailleurs, le système agropastoral est le seul système permettant de vivre et de s’installer durablement sur le territoire landais. Comparée aux autres régions, dont les cultures sont plus diversifiées, les caractéristiques spécifiques du sol des Landes de Gascogne impliquent d’avoir un élevage très étendu pour enrichir les sols. Néanmoins, Gabriel Vialatte n’a pas encore trouvé de sources écrites décrivant la mise en place de ce système. Il n’est donc pas facile d’en dater les débuts.
Pour comprendre l’environnement végétal de l’époque médiévale – et faute de sources manuscrites suffisantes – il faut alors se baser sur l’archéologie et les disciplines associées. Ainsi, la palynologie – l’étude des pollens –, ou la carpologie – qui analyse les restes des végétaux fossilisés ou carbonisés, sont autant d’indices à prendre à compte. Grâce aux résultats de ces recherches, Gabriel Vialatte peut donc analyser notamment l’évolution du territoire. Il raconte que les palynologues (qui étudient les traces de pollen) ont pu déterminer que dans les Landes de Gascogne, l’humain commence à avoir un impact sur son milieu dès la fin du néolithique.
Mais, alors, du fait de toutes les contraintes imposées par le sol, quelles plantes cultive-t-on au Moyen Âge dans les Landes de Gascogne ? À l’époque médiévale, les cultures sont assez diversifiées. Gabriel Vialatte mentionne que cela n’est plus le cas à partir du XVIIIème siècle, lorsque chaque région commence à se spécialiser dans un type de production, que le retrouve toujours aujourd’hui. Outre le millet et le seigle, les fèves, et le froment paraissent également cultivés sur la lande. C’est une céréale noble qui produit du blé tendre dont la farine est utilisée pour préparer le pain blanc et qui n’est plus mentionnée après le Moyen Âge.
Au Moyen Âge, l’agriculture paysanne est aussi influencée par les impôts. Les paysans cultivent sous la pression de leur seigneur qui exige un type de céréale plutôt qu’un autre pour le paiement des redevances. Pourtant, Gabriel Vialatte insiste sur ce point : les informations qu’il a récoltées sont biaisées, car il s’agit de sources seigneuriales. Elles indiquent ce que les paysans doivent payer comme redevance au seigneur, c’est-à-dire que le seigneur fixe la variété de céréales que les paysans doivent cultiver pour payer l’impôt. En revanche, cela ne veut pas forcément dire que ces céréales sont les seules ou les plus cultivées.
“Pour l’instant, dans les quelque deux cents actes que j’ai étudiés, je n’ai croisé aucun mouton. Par contre, j’ai croisé des porcs et des bovins. On est loin de cette image d’Épinal du berger landais du XVIIIème, qui surveille son troupeau de moutons, perché sur ses échasses.” — Gabriel Vialatte
Il en va de même pour les bêtes élevées dans les Landes de Gascogne à l’époque médiévale. Même s’il n’y a pas d’impôt sur les troupeaux et qu’il est plus difficile de se prononcer, faute de sources suffisantes, il semble que le bétail soit aussi très diversifié. Si Gabriel Vialatte précise qu’au XVIIIème siècle, l’élevage ovin s’intensifie, au Moyen Âge, ce sont plutôt des bovins et des porcs que les paysans élèvent sur la lande. À noter enfin que le système agropastoral est le seul qui permette de produire de la nourriture pour les populations sur place, palliant de fait les difficultés engendrées par la topographie.
Les hommes et l’agriculture
Gabriel Vialatte parle de celles et ceux qui cultivent la lande sur le territoire de Gascogne. À part les seigneurs, tout le monde participe à la culture des terres. La population est dépendante du sol et de l’agriculture. De plus, fait assez rare au Moyen Âge, il n’y a pas de ville importante dans la région. Les grandes villes, telles que Bordeaux ou Dax, sont situées sur le pourtour du territoire gascon. Ainsi, l’intérieur des Landes de Gascogne est une grande zone rurale. il est donc assez logique que ses habitants y travaillent la terre. La lande est peuplée de villages plus ou moins grands, et de châteaux seigneuriaux qui y font figures d’autorité.
Pour ce qui est des techniques agricoles communément employées par les populations rurales qui cultivent les Landes de Gascogne, Gabriel Vialatte vous explique tout. La plupart des paysans, du moins pour les plus riches, labourent la terre avec une charrue tirée par des animaux. D’autres, qui ne possèdent pas un tel équipement, peuvent le louer ; les plus pauvres, eux, ont recours à la bêche.
“Pour la période féodale, il faut oublier le concept de propriété privée tel qu’on le perçoit aujourd’hui.” — Gabriel Vialatte
Il y a donc énormément de paysans au cœur des Landes de Gascogne. En revanche, il y a très peu de paysans libres, c’est-à-dire, qui possèdent leurs propres terres. En conséquence, les paysans cultivent la terre de leur seigneur. Gabriel Vialatte précise que ce système de questalité est mis en place en Gascogne au XIIIème siècle, afin de prévenir le morcellement des terres lors des successions. Ce nouveau servage touche ainsi les paysans les plus aisés. Ceux qui possèdent le plus de terres se soumettent au seigneur et lui verse la queste – sous la forme d’un impôt. Ils sont toujours attachés à la terre, l’exploitent, mais ne peuvent plus la vendre, et seul l’ainé en hérite.
“Les seigneurs du Moyen Âge sont des entrepreneurs et les paysans des exécutants.” — Gabriel Vialatte
Si au Moyen Âge les seigneurs possèdent les terres et influencent le type de céréales produites via les redevances qu’ils imposent aux paysans qui les cultivent, ils n’ont en revanche aucune prérogative sur les choix et techniques de culture. Comme le développe Gabriel Vialatte, les seigneurs médiévaux se préoccupent seulement de collecter l’impôt et n’ont guère d’intérêt dans la manière dont les récoltes sont organisées.
Gabriel Vialatte précise d’ailleurs que les seigneurs ne sont pas les seuls bénéficiaires de ces redevances céréalières. L’Église prélève également la dîme, soit une dixième des récoltes. Les seigneurs, au Moyen Âge, ne consomment pas non plus l’ensemble des céréales que les paysans leur versent en impôts. Ils font des stocks qu’ils revendent ensuite aux meilleurs moments, grâce à leur accès privilégié aux marchés urbains, et ils alimentent ainsi la spéculation.
Enfin, Gabriel Vialatte vous raconte que l’agriculture est soumise aux rituels du calendrier chrétien. Les paysans respectent donc les interdits religieux, comme celui ne de pouvoir semer ou récolter à certaines dates. Les cycles de cultures, si elles suivent les saisons, tournent surtout autour du calendrier des redevances. Gabriel Vialatte cite en exemple le paiement sur les moissons dû à la Saint Michel. Les cultures sont aussi l’occasion de multiples festivités. Il y a, outre la bénédiction des semences, des processions pour protéger le terroir et favoriser des récoltes abondantes, et plusieurs fêtes populaires, entre autres traditions païennes et superstitions locales.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
- Benoît Cursente, Des maisons et des hommes : la Gascogne médiévale, XIe-XVe siècle, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1998. (Pour comprendre l’organisation de l’espace rurale dans le Sud-Ouest.)
- Laurent Feller, Paysans et seigneurs au Moyen Âge : VIIIe-XVe siècles, Paris, Armand Colin, 2017. (Meilleure synthèse pour comprendre les contextes ruraux de la période féodale en Europe.)
- Louis Papy, « L’ancienne vie pastorale dans la Grande Lande », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest. Sud-Ouest Européen, 18-1, 1947, p. 5‑16. (Vision générale, un peu datée, qui permet de bien comprendre d’où l’on part.) Disponible en ligne sur Persée.
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
- Épisode 59 – Pierre et les moulins à Paris au Moyen Âge
- Épisode 65 – Jean-Baptiste et les Vosges au Moyen Âge
- Hors les Murs #6 – Les fouilles archéologiques des Moulineaux
Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast et à Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !