Les hors-sériesPassion Médiévistes Les épisodes retranscrits

Hors-série 1 – Exposition « Le Verre, un Moyen Âge inventif » (Musée de Cluny)

Pour ce premier hors-série on vous propose une visite immersive de l’exposition « Le Verre, un Moyen Âge inventif » au Musée de Cluny.

Du 20 septembre 2017 au 8 janvier 2018 a eu lieu au Musée de Cluny à Paris l’exposition Le verre, un Moyen Âge inventif. Pour vous en donner un aperçu, Sophie Lagabrielle, commissaire de l’exposition, nous propose une petite visite guidée de l’exposition, une déambulation à travers les objets présentés. Elle nous parle des vitraux de la Sainte-Chapelle, du verre de Charlemagne et de miroirs convexes particuliers dont l’art a été perdu au fil des siècles.

Les hors-séries de Passion Médiévistes vous montrent comment le Moyen Âge vit aujourd’hui d’une façon différente des épisodes habituels du podcast, à travers des rencontres hors les murs avec des historiens de tous horizons. Merci à Aline Demoiseau et à Sophie Lagabrielle pour leur aimable collaboration.

Transcription du Hors-Série 1 (cliquez pour dérouler)

[Introduction] Bonjour à tous. Je vous en avais déjà un petit peu parlé, j’ai envie de faire des hors-série de ce podcast, de parler du Moyen Âge et des médiévistes d’aujourd’hui d’une façon un peu différente que celle d’un épisode de Passion Médiévistes. Dans ces hors-série, nous allons rencontrer des personnes qui font vivre le Moyen Âge, qui le rendent accessible à tous, ce que j’espère faire moi aussi. Aujourd’hui, pour ce premier épisode hors-série de Passion Médiévistes, je vous emmène dans un haut lieu du Moyen Âge à Paris, le Musée de Cluny, dans le Quartier Latin, à côté de la Sorbonne. Jusqu’au 8 janvier 2018, le musée propose une exposition sur le verre au Moyen Âge. Et pour vous donner un aperçu de cette exposition, je vous présente aujourd’hui Sophie Lagabrielle, qui nous propose une petite visite.

 

[Fanny Cohen Moreau] Bonjour.

 

[Sophie Lagabrielle] Bonjour.

 

[F.C.M.] Vous êtes donc la commissaire de l’exposition, et par ailleurs conservateure générale du patrimoine. Est-ce que vous pourriez déjà nous présenter le lieu où se tient l’exposition, où on est en ce moment ?

 

[S.L.] Oui. Nous venons de descendre quelques marches, et j’aime bien juste cet accès à l’exposition, parce qu’on aperçoit la voûte gallo-romaine au-dessus des cimaises qui ont été construites pour l’exposition. Donc c’est juste un petit aperçu pour entrer dans ce lieu du frigidarium où elle se tient

 

[F.C.M.] C’est ça. En fait, il faut imaginer que la voûte fait 14 mètres de haut. Donc, quand on entre, faisons quelques pas, qu’est-ce qui est présenté aux visiteurs ici ? Donc on voit des vitraux, mais est-ce que vous pouvez m’en dire plus ?

 

[S.L.] Oui, nous voyons des vitraux tels qu’ils se montrent, ils se déroulent in-situ, mais ce que j’ai voulu montrer, c’est une petite introduction pour parler de la naissance du vitrail et montrer comment on passe de pièces découpées, de verres de couleurs, comment on ajoute du plomb, puis de la peinture, et que l’on a donc une définition de cet art qui naît au Moyen Âge.

Si on s’avance, effectivement, nous sommes dans une salle très riche en couleurs, et là on est bien dans le propre du vitrail, un lieu très lumineux aussi, avec un baie qui est celle de l’Arbre de Jessé de Saint-Denis. Ici elle fait 3,75 mètres de haut. Les baies in-situ à Saint-Denis font 4 mètres de haut. Là, on a conscience de la monumentalité d’un vitrail, et pourtant traité de façon très miniaturiste, puisque si on regarde bien les couleurs, l’adjonction, l’addition de ces différents verres, de différentes couleurs, n’est pas si variée que ça, parce qu’on a du bleu, du rouge, on a du vert, un petit peu de jaune et un petit peu de lie de vin ou marron ou brun, mais finalement, ces couleurs sont assez réduites. Mais elles sont très présentes et la couleur est apportée par le verre lui-même et non par la peinture et la spécificité du vitrail, c’est bien cette richesse de couleurs, et pour des hommes du Moyen Âge, cela parlait énormément, parce que couleur, densité de couleur, intensité, c’est synonyme de richesse. Donc on a un art qui est très riche, un art que l’Église peut s’autoriser à avoir.

 

[F.C.M.] C’est qu’en fait, le verre, même dans les monuments, est présent, et tout le monde peut voir ces verres magnifiques qu’on peut voir reconstitués aujourd’hui.

 

[S.L.] Oui. L’un des édifices les plus spectaculaires de ce point de vue là, c’est effectivement la cathédrale de Chartres. Mais c’est aussi la Sainte-Chapelle. Et cette ambiance très riche en couleurs, c’est toute cette paroi que nous avons sur notre côté droit. Là, on est dans les vitraux XIIe, XIIIe siècles. Et les couleurs, vous voyez, ne sont pas du tout les mêmes que celles qu’on a sur la paroi d’en face auxquelles on arrivera peut-être tout à l’heure. [Pour] l’exposition, on a eu des prêts assez exceptionnels puisqu’on a à la fois pu illustrer l’Abbaye de Saint-Denis, ce très très grand projet, commande du milieu du XIIe siècle, donc du nord de Paris. C’est l’abbaye où les rois se faisaient enterrer et c’est l’abbaye royale, donc soutenue par le roi, très bien gérée par son abbé Suger et donc construite en un temps assez record. Je ne parle là que du cœur, mais richement doté de verrières. Là, on va lancer le lien entre l’architecture gothique et le vitrail. Et à côté, vous avez la Sainte-Chapelle et c’est un peu le pendant, un siècle plus tard, d’une très grande commande, conçue et réalisée en un temps record, puisqu’on pense qu’il a fallu cinq années simplement pour faire ces quinze baies de 15 mètres de haut, plus une rose qui a été changée depuis, renouvelée au 15è siècle. Mais on voit bien que ce sont de très grands projets et la qualité du verre, la qualité de la peinture, la qualité des dessins, la force de réalisation, de conception imagée, sont aussi au niveau de ces grandes commandes.

 

[F.C.M.] Est-ce que vous pourriez aussi nous raconter comment on voit l’évolution autour de nous, au fur et à mesure des années ?

 

[S.L.] Oui, c’est verres… On l’a dit, des couleurs finalement très réduites que l’on a aux XIIe, XIIIe siècles. Il y a des choses qui sont assez caractéristiques, par exemple pour un vitrail du XIIIe siècle. Regardez, ces rouges, qui sont comme flammés, comme fouettés. Et cette difficulté qu’ont les premiers verriers à obtenir un verre rouge très pur et très uniforme, qui est mélangé à du verre blanc pour ne pas assombrir la couleur, finalement, c’est une des spécificités du vitrail du XIIIe siècle dont vont se servir les peintres-verriers. Alors ici, ils vont faire les flammes à partir de ça. Dans d’autres endroits, ils vont faire du sang, ils vont utiliser les défauts du verre. Pour nous, ce sera un critère de datation, par exemple.

 

[F.C.M.] Si on continue ensuite vers l’exposition, on peut voir déjà ici, on va s’en approcher, plusieurs manuscrits, qui sont présentés juste avant la deuxième partie. Pourquoi avoir fait ce choix de présenter des manuscrits en parallèle de l’exposition sur le verre ?

 

[S.L.] Oui, effectivement, c’est vraiment un parti pris. Un parti de mettre les objets de verre, qui sont le sujet de l’exposition, en relation avec une iconographie du temps, de façon à voir à la fois les évolutions techniques et les contextes d’utilisation. Alors ici, effectivement, nous sommes sur un très beau manuscrit qui vient de la collection Louis de Bruges, par un peintre Jean Hennecart, qui est probablement un peintre qui a travaillé pour le Duc de Bourgogne, et on s’aperçoit que les fenêtres sont beaucoup moins luxueuses qu’on peut penser. Elles sont certes en forme de croix, ce sont des croisées, mais le vitrage est absent. On est pourtant à la fin du XVe siècle. Ça vous montre combien le verre, et finalement le vitrage, pénètrent très très lentement dans les demeures au cours du Moyen Âge.

Ici, vous voyez un très beau manuscrit de Jean Colombes, qui est un peintre du Val-de-Loire, qui travaillait pour les rois, ici qui se trouve à Lyon, en côté Savoie, et qui nous montre une croisée vue de l’intérieur. C’est un intérieur de boulanger, donc c’est très vivant. C’est à la base une enluminure de calendrier. Vous voyez que le vitrage n’est présent que dans la partie haute de ces croisées, ce qu’on appelle l’imposte, et la partie basse, ou jour bas, est fermée par des volées de bois. Donc là, on a vraiment la fenêtre la plus commune du Moyen Âge, lorsqu’on a évidemment les moyens de se payer un peu de vitrage. Donc là on est chez un riche boulanger.

 

[F.C.M.] Et là, on accède à ce qui est la plus grande partie de l’exposition. Donc c’est beaucoup d’objets en verre qui sont présentés, donc assez divers, et à peu près de toutes époques. Pourquoi ces objets ont été choisis pour l’exposition et quel a été le critère de sélection ?

 

[S.L.] C’est une bonne question. J’ai surtout imaginé qu’il fallait que je parte d’objets qui étaient sortis de fouilles archéologiques attestées. Les verres peuvent être de très très belle nature mais finalement, il faut essayer de s’assurer de leur provenance. C’est un réflexe premier et ça permet ensuite, si l’on est sûre d’une chronologie, d’une évolution des formes, on pourra rattacher d’autres objets qui n’ont pas été pris en compte dans l’exposition et qu’il faudrait pouvoir dater. Donc c’est pour s’assurer une chronologie sûre, que ce sont des objets archéologiques qui ont été choisis. Et de ce fait, vous le voyez, ils portent leur ancienneté, soit par la dégradation de leur matière, soit par des casses, aujourd’hui qui peuvent être réparées, ou des lacunes, qui sont laissées telles quelles. Voilà, ils sont porteurs de toute une histoire.

 

[F.C.M.] Oui, c’est ça, en fait on a autant des verres vraiment très jolis, on a l’impression qu’ils viennent d’être faits, mais certains, même, on se demande comment ils font pour tenir debout, tellement ils sont encore très fragmentaires.

 

[S.L.] Et c’est le parti de l’exposition que de faire appel à des socleurs assez expérimentés de façon à nous présenter les pièces un peu parfois en apesanteur, donc surélevées, montrées de façons variées. Vous avez par exemple ces verres apodes, qui n’ont pas de pied puisqu’ils sont apodes, donc ils sont retournés tels qu’on les voit parfois sur des enluminures. D’autres qui sont présentés un petit peu en hauteur et on peut voir leurs décors moulés, et on peut voir leurs parties les plus intègres, et varier effectivement les présentations.

 

[F.C.M.] Est-ce qu’il y a des objets en particulier que vous voudriez nous présenter ?

 

[S.L.] Oui, je m’arrêterais bien devant cette petite ampoule. Une ampoule, au Moyen Âge, est un fiole qui a une panse globulaire, mais sa caractéristique est d’avoir un col très très long, très allongé et très fin. Et le fait est que ce col a une utilité, c’est qu’il permet de réguler les flux et, effectivement, l’homme au Moyen Âge ne boit pas dans un verre. Aux XIIe, XIIIe siècles, à l’époque, il va boire directement au goulot. C’est une forme très caractéristique de l’objet de verre du Moyen Âge, que cette ampoule à long col, qui a un nom particulier à Bordeaux. Du côté de Bordeaux, on parle d’orcel.

Ici, nous pouvons nous arrêter devant le grand verre dit « de Charlemagne », appellation complètement plaquée sur ce verre parce qu’on ne l’atteste qu’à partir du XVIIIe siècle à peu près. Ce verre se trouve aujourd’hui au musée de Chartres, qui nous l’a prêté. Autrement, il provient du trésor de l’église de Châteaudun. Vous voyez qu’il était tellement précieux parce que, effectivement, avec un riche décor émaillé et doré, on lui a rajouté, probablement au XIVe siècle, un pied d’orfèvrerie, ce qui le rend encore plus luxueux. Donc ça donne un peu la mesure de l’importance, de la préciosité et de l’investissement que l’on pouvait mettre sur ces verres.

 

[F.C.M.] Et en plus, dites-moi si je me trompe, mais j’ai l’impression que c’est de l’Arabe qui est écrit dessus.

 

[S.L.] Voilà, c’est un verre qui est islamique, et donc il porte une incantation en Kufique, qui nous montre son origine. Et effectivement, cette petite série de verres devant lesquels nous nous trouvons, ce sont ces verres émaillés, qui proviennent du Proche-Orient et qui sont extrêmement luxueux, extrêmement convoités par les Occidentaux qui les ramènent. Mais ils les ramènent à la pièce. Et vous voyez à côté un verre, celui qui vient du Victoria and Albert Museum (ndlr: à Londres), qui a derrière lui son étui, un étui qu’on a commandé exprès pour le conserver. Ça nous montre la richesse que représente la possession de tels objets.

 

[F.C.M.] Et comme on a vu tout à l’heure, les manuscrits sont toujours présentés à côté des objets, par exemple, qu’est-ce que nous avons devant nous ?

 

[S.L.] Nous avons ici un Code Justinien. C’est intéressant de savoir que les premières illustrations de verre, à partir du XIIe, XIIIe siècle, vont être dans certains types de manuscrits, donc les manuscrits soit qui détiennent le savoir, donc les codes de Justinien, les codes de Gratien, etc., vont être de ceux-là, soit dans des ouvrages religieux, soit dans des ouvrages à destinations des princes. Donc nous sommes dans un très haut niveau de qualité. Et sur ce code de Justinien, nous avons un verre, un gobelet qui est tenu par une petite figure grotesque qui se trouve dans la marge, et ce verre est une forme de gobelet évasé par le haut, avec une bande. Celle-ci est une bande bleue et c’est le type de décor émaillé qu’effectivement, les hommes les plus instruits pouvaient voir de personnalités qui les avait ramenés d’Orient.

 

[F.C.M.] Si on marche encore un petit peu, est-ce qu’il y a un autre objet que vous voudriez nous présenter ?

 

[S.L.] Ces verres à tiges sont quand même des verres qui sont assez fascinants. Ils prouvent la grande qualité du verre et de la verrerie telle qu’elle existe au XIVe siècle. Ce sont des verres que l’on trouve et, le manuscrit qui est à côté le montre, sur les tables des rois. Ce sont des verres extrêmement précieux, très hauts en tige. La coupe s’est ouverte par rapport à leur ancêtres du XIIIe siècle et on a là effectivement les premiers signes de ces coupes à champagnes que l’on utilise aujourd’hui. Donc c’est assez émouvant.

 

[F.C.M.] C’est très ressemblant.

 

[S.L.] C’est très ressemblant. Alors, la seule différence, c’est quand même la teinte, la teinte du verre, qui a cette teinte verdâtre, de verre dit « de fougère ». Des verres issus de sable et cendres forestières. Mais ça n’est que plus émouvant.

 

[F.C.M.] Alors il n’y a pas que des verres en verre à cette exposition. Il y a vraiment des objets assez divers. Si on va ici, on a d’autres objets en verre qui sont des contenants. Ils sont assez particuliers.

 

[S.L.] Ce sont des verres qui ne vont pas se trouver sur les tables, mais plutôt sur les rayonnages, et notamment les rayonnages des médecins. Nous sommes dans le verre qui est utilisé par la médecine et qui va devenir ainsi essentiel, justement, à cette profession, parce qu’il permet d’observer les urines, et l’urologie est l’un des rares moyens de diagnostic que possède le médecin à l’époque médiévale. Donc ce que vous avez devant vous, c’est une petite fiole, avec une panse en forme de poire, un col un peu large, un petit peu haut mais pas trop, mais très évasé avec des lèvres très plates, aplaties, qui permettent de le fermer en fait. Elle va permettre de transporter les urines du malade et d’aller les montrer au médecin qui va prendre sa « roue des urines » et déterminer, suivant la couleur, la texture, de quelle maladie souffre le patient.

 

[F.C.M.] On a aussi des objets ludiques, ces objets qui ont été trouvés dans des tombes, il me semble.

 

[S.L.] Oui, ce sont également des verres qui sont des verres soufflés en forme de sphère et vous avez ici un plateau qui comporte plusieurs pions de forme sphérique, décorés de spirales, vert-bleu à l’origine, qui ont un peu souffert, mais l’un d’entre eux est plus haut, l’un des pions. C’est un pion qui a un petite figure un peu conique et haute, c’est celle qui symbolise le roi. Le roi est protégé par une petite armée de pions et attaqué par une très grosse armée adverse. Le but du jeu va être effectivement de faire sortir le roi de son plateau. Et là, nous avons un jeu de stratégie, et ce qui est intéressant, c’est de noter que les Vikings ont beaucoup apprécié ces types de jeu, au point de les mettre dans leurs tombes, et on s’est même aperçu que c’était les tombes des chefs Viking qui étaient identifiées par ce type de jeu.

 

[F.C.M.] On va se diriger vers la troisième et dernière partie de l’exposition, donc le verre précieux et de précision, où là, le verre est travaillé de façon très particulière et on voit vraiment des objets un petit peu plus précieux que ce qu’on a vu jusqu’à présent. Notamment, on a des objets où on a de l’émail de verre.

 

[S.L.] Oui, là on est dans le travail soit du polissage, soit de la réduction en poudre du verre. Alors si on prend effectivement les verres d’émail, ces verres sont réduits en poudre, les couleurs sont bien triées, on va les déposer de façon très minutieuse sur une plaque de cuivre, et ce verre qui a été moulu sera porté à recuire, porté à un petit four et accompagné aussi d’opacifiants qui vont leur permettre de fondre rapidement, et donc de former des figures très colorées. On va juger de la qualité de l’émail par sa gamme de couleurs. Plus sa gamme est importante, plus on va pouvoir dire que c’est un travail sophistiqué. Et l’Église s’est emparée de ces objets. Ce seront toutes sortes d’objets liturgiques.

Ce sur quoi l’exposition met l’accent, c’est que, effectivement, ce sont des objets liturgiques, donc des plaques de reliures, des crosses, différents objets, des devants d’autel, etc., mais on a également un objet qui est un objet civil puisque c’est un manche de couteau qui est en émail, donc là c’est quelque chose d’extrêmement rare qui a été trouvé en fouille à Saint-Denis et c’est intéressant de voir ces objets qui ont aujourd’hui la plupart du temps disparu. Et à côté, vous voyez, une progression de ce type d’émaux. Les émaux, au XIVe siècle, vont quitter leur aspect opacifié pour retrouver une translucidité et là c’est Paris qui va… Tout à l’heure c’était plutôt Limoges qui dominait, ici ce sera Paris qui va passer maître dans ce travail de l’émail translucide.

 

[F.C.M.] Et si on avance aussi un petit peu, il y a un objet qui, quand j’ai visité l’exposition il y a quelques jours, m’a particulièrement interrogée, c’est un miroir. Aujourd’hui, il y en a très peu comme celui-là.

 

[S.L.] Ce miroir, qui provient de Vevey, en Suisse, est probablement et en tout cas le dernier exemplaire connu du type de miroir parabolique à couche de plomb. On n’est pas du tout dans l’argenture, pas du tout dans le mercure. C’est le plomb, qui est passé au revers de la paroi de verre, qui va permettre de créer un reflet. C’est une technique complètement perdue aujourd’hui, qui était vers 1500, à partir de la fin du XVe siècle, dominée par les Allemands. C’est probablement Nuremberg qui était passée maître dans cet art du miroir, qu’elle a exporté dans toute l’Europe, donc c’est assez intéressant et émouvant. Le fait que ce soit convexe va permettre de grossir, effectivement, et c’était l’aspect qui intéressait les hommes du Moyen Âge. C’était la grosse différence par rapport à leurs petits miroirs métalliques, qui étaient forcément de dimensions réduites. Ça avait un inconvénient, c’est que ça déformait également, donc le grand atout de la Renaissance va d’être d’arriver à maîtriser et à pouvoir fabriquer un miroir plan, un miroir plat.

 

[F.C.M.] Un dernier objet que j’aimerais que vous me présentiez : juste à côté du miroir, on a des lunettes et, à côté d’une lunette en particulier, on a un manuscrit où en fait on se rend compte que des lunettes ont été, comme si elles avaient été oubliées dans le manuscrit. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?

 

[S.L.] Alors vous êtes dans la forme de lunettes qui, après une certaine évolution, renonce au rivet central qui assemblait leur pont et qui permet de se poser sur le nez de façon plus confortable. On a donc des lunettes en cuir alors que jusqu’alors on avait des lunettes en bois, ou en corne, ou en os. Donc des lunettes en cuir, et probablement ce cuir est-il traité, donc c’est la teinte du cuir qui, dans ce livre dont vous parlez, qui sont des serments de Saint-Augustin, a laissé sa marque. Donc il faut imaginer que ces lunettes qui n’ont pas de branche, donc qui peuvent très facilement s’oublier dans un livre et s’aplatir, ont laissé leur empreinte et c’est le produit du cuir qui aurait marqué ces pages. Soit les lunettes étaient très neuves, soit de façon plus amusante, on peut penser que la personne s’est endormie longtemps ou a appuyé dessus et la marque est aujourd’hui indélébile.

 

[F.C.M.] Sur le site du Musée de Cluny, j’ai vu qu’il y avait beaucoup de visites guidées, pour vraiment rendre l’exposition plus accessible au grand public, et je voulais vous demander, aujourd’hui, est-ce que, à votre avis, le grand public, a toujours une image un peu archaïque du Moyen Âge, comme une période sombre, ou est-ce que vous pensez que les mentalités sont en train d’évoluer ?

 

[S.L.] Et bien je vous remercie de poser cette question parce que je trouve que c’est intéressant de rechercher un Moyen Âge qui n’est pas un Moyen Âge mythique mais au contraire qui est à la base de nos civilisations actuelles, et c’est quand même intéressant de se reposer la question du confort des maisons, avec vitres ou non-vitres, les premiers verres, que l’on trouve sur les tables des grands mais également dans les tavernes, les premiers objets que vont être les premiers contenants pour productions chimiques, pour tout ce développement qu’ils vont connaître par la suite, savoir que les premiers miroirs déformaient ou quand est-ce que sont apparues les premières lunettes.

Et finalement, il me semble que, effectivement, un musée du Moyen Âge, qui est riche comme le nôtre, de beaucoup d’objets de la vie quotidienne, peut justement donner ce reflet et finalement intéresser beaucoup plus que l’on imagine, et que le Moyen Âge, c’est pas quelque chose qui doit faire peur, au contraire. Quelque chose qui est à la fois familier, à la fois un peu désuet, et à la fois dans lequel on se reconnaît, à la fois aussi poétique. Vous avez tout autour de cette exposition des citations qui ont été prises et qui finalement nous font ressentir des éléments assez intéressants. Si je vous lis cette citation, qui se trouve dans les Mystères de Saint-Martin, à la fin du XVe siècle :

 

Veille à saisir tous ces vouars

Tiens les bien car, si tu les casses

À l’hoste, tu feras déplaisir

 

[NdT Transcription libre, n’ayant pas trouvé le texte d’origine. J’indique ici une modernisation personnelle :]

Veille à saisir tous ces verres

Tiens les bien car, si tu les casses

À l’hôte tu déplairas

 

Donc voilà, il y a ce petit côté un peu poétique qui reste accessible. Alors, pour rendre accessible l’exposition, on a prévu un petit film à l’entrée, qui nous explique d’où vient le verre, comment on le fabrique, quelles sont les spécificités de sa fabrication au Moyen Âge, et puis nous avons une petite vidéo également pour un type de verre particulier, qui est l’incrustation de verre. Nous avons un petit livret pour les enfants, puis beaucoup de petites cartelles un peu développées mais très simples à lire car elles ne font que quelques lignes qui peuvent évoquer plus que regarder.

 

[F.C.M.] Merci beaucoup Sophie Lagabrielle pour cette visite.

 

[S.L.] Merci beaucoup à vous.

 

[F.C.M.] J’invite tout le monde, si vous passez à Paris avant le 8 janvier 2018 à visiter cette exposition qui est magnifique, mais aussi à faire un tour dans tout le reste du Musée de Cluny pour une véritable immersion dans le Moyen Âge. Vous pouvez retrouver Passion Médiévistes sur SoundCloud, iTunes, et toutes les applications de podcast, mais aussi sur Facebook et Twitter, et je vous dis à bientôt pour un prochain épisode de Passion Médiévistes ou alors pour un prochain hors-série. Salut.

 

Merci à Liz pour la transcription et à Ilan pour la correction

Pour en savoir plus voici une sélection d’ouvrages extraites du riche catalogue de l’exposition « Le verre, un Moyen Âge inventif »:
  • Marcel Aubert , Le vitrail, Paris, 1946
  • James Barrellet, La Verrerie en France, de l’époque gallo-romaine à nos jours, 1954
  • Isabelle Biron (dir), Émaux sur métal du IXème au XIXème siècle. Histoire, technique et matériaux, Dijon, 2015
  • Danièle Foy, Le verre médiéval et son artisanat en France méditerranéenne, Paris, 1988
  • Pierre Pansier, Histoire des lunettes, Paris, 1901