Rencontres #1 – Padre Pio
Dans ce premier épisode de notre série « Rencontres », notre invité est Jean-Christophe Piot, alias Padre Pio sur Twitter.
La série « Rencontres » est née d’une envie de diversifier le format classique des épisodes du podcast Passion Médiévistes, pour toujours rencontrer des personnes qui font vivre le Moyen Âge aujourd’hui, sans forcément faire des études universitaires.
Dans cet épisode nous rencontrons Padre Pio, de son vrai nom Jean-Christophe Piot, un « vulgarisateur ». Il nous parle de sa passion pour l’histoire, pour le mythe de Mithra et pour Terry Pratchett, qu’il aime particulièrement pour son humour et son rapport spécifique à l’histoire. Chaque semaine il propose la chronique « Tu parles d’une histoire » sur Radio Nova et tient le blog « Déjà-vu » sur France Info.
L’Histoire ne prévoit pas tout, mais elle éclaire avantageusement le présent. A l’inverse, aujourd’hui nous aide à comprendre hier aussi, si si. Dans « Tu parles d’une histoire », Jean-Christophe Piot se fait l’accordéoniste du temps qui passe (compression/ extension) et rapproche hier et aujourd’hui. Coulisses facétieuses du passé, grandes dates incontournables : tout passe dans son tamis. Cela sautille, ça ironise, ça se moque et ça nous apprend. Tout ça en même temps.
Il a aussi récemment publié un livre, Avec un grand H – Chroniques historiques (Nova Editions) inspiré de 70 de ses chroniques.
Fanny : Vous commencez à le savoir si vous déjà écouté des hors séries du podcast : j’aime aller rencontrer des personnes qui font vivre le Moyen Âge aujourd’hui, qui transmettent le goût pour l’histoire médiévale au grand public et qui, à leur niveau, luttent contre les idées reçues sur cette belle période de 1000 ans. Comme les youtubeurs qui font des séries spécifiques différentes de leurs vidéos habituelles, nous inaugurons aujourd’hui le premier épisode de la série Rencontre de Passion Médiévistes. Des interviews d’historien, de vulgarisateur, de passionné ou autres… Et le parrain de cette série en quelques sorte, le premier invité est Padre Pio.
Bonjour !
Jean Christophe : Bonjour
Fanny : Comment tu veux que je t’appelle ? Padre ou Jean-Christophe ?
Jean Christophe : Mon vrai nom c’est Jean Christophe après c’est vrai que le mot Padre Pio s’est installé sur les réseaux.
Fanny : Je vais t’appeler Jean Christophe, ça sera plus naturel. Tu parles souvent d’histoire sur Internet, mais pas seulement. Depuis fin 2016, chaque dimanche tu as une chronique sur radio Nova “Tu parles d’une histoire”, et sur France Info tu tiens le blog “Déjà Vu”, depuis combien temps ?
Jean Christophe : Depuis… 2009 je crois sur France Info, et sur Nova ca fait 1 an et demi. On termine la saison et demi, et on recommence à priori en septembre.
Fanny : J’ai vu aussi que tu as fait des études d’histoire jusqu’à un DEA, l’ancêtre du master pour les plus jeunes d’entre nous, est ce que tu aurais aimé être prof d’histoire ?
Jean Christophe : Je me suis toujours posé la question. J’aurais aimé faire de la recherche en histoire, c’était pour ça que j’avais commencé, enfin que j’ai fait ce DEA. Et puis à l’époque j’ai été un petit peu mis dehors pour une question toute bête: c’était la dernière année du service militaire en France. Du coup, en gros, il fallait que je trouve assez rapidement une solution. Il y en avait deux pour y échapper – c’était vraiment la dernière année. La première c’était d’avoir des enfants, et c’était un peu court entre juin et septembre. La deuxième c’était de trouver un CDI. Donc un petit peu pris [par] la pression j’ai sauté sur le premier boulot qui venait. En me disant “je ferai ça un an et puis je recommence”. Et en fait une fois qu’on est pris dans le flux de la vie active… j’ai arrêté à ce moment-là.
Fanny : Et pendant ton DEA, tu travaillais sur quoi ?
Jean Christophe : Je travaillais sur le culte de Mithra dans les provinces de la Gaule romaine. Très naïvement au début je me souviens que j’avais commencé en me disant “je vais travailler sur Mithra”. Je me souviens encore du fou rire de mon prof qui m’avait dit “Il va peut être falloir réduire un petit peu le sujet”. Mais voilà, je m’intéressais beaucoup à l’histoire des religions païennes et celle-ci avait un côté assez chouette. C’est très graphique comme culte et en même temps il y a très peu de sources autre que de la statuaire et trois bouts d’inscription par ci par là, et puis de l’archéologie sur les lieux de cultes. On a vraiment pas grand chose. Et c’est un culte qui a été un des cultes orientaux qui s’est vraiment diffusé dans tout l’empire, ce qui n’est pas le cas de tous les cultes orientaux. Le seul autre c’est le Christianisme, et j’aimais bien cette concurrence des deux.
Fanny : Pourquoi tu t’es intéressé à l’histoire ?
Jean Christophe : Ça vient de loin je pense. J’ai une mère prof’ de lettres classiques, ça veut dire qu’à la maison on a énormément de bouquins qui tournent autour de problématiques liées à l’Antiquité, au Moyen Âge, beaucoup. J’ai un père médecin qui s’intéresse beaucoup à l’histoire de sa discipline. J’ai des grands parents qui adoraient ça. Après c’était de l’histoire très roman national, en tout cas très patriotique etc. Mais voilà j’ai baigné dans ça quand j’étais gamin. Et je crois que le déclic s’est fait par la BD en fait. C’est venu par Alix, ça je m’en souviens. C’est vraiment les premiers contenus où on me racontait l’histoire un peu autrement, par l’image.
Fanny : Tu peux nous dire que ce qu’est la BD Alix ?
Jean Christophe : Oui, Alix c’est une BD qui date des années 50-60 et qui a été scénarisée et dessinée par un monsieur qui s’appelait Jacques Martin et qui était un peu le papa de la bande dessinée historique en France avant que ça ne devienne… aujourd’hui c’est vraiment très très courant. C’est un peu l’ancêtre de tout ça, et ça a été surtout le premier à essayer d’y mettre un sérieux qu’il n’y avait pas forcément avant dans la BD classique. Il a voulu vraiment, et c’est le premier qui a travaillé avec des historiens sur ces bandes dessinées, avec beaucoup de rigueur. Évidemment aujourd’hui ça a vieilli sur plein de points, la recherche a avancé et les BD des années 50-60 ont vieillies… Mais voilà c’est le premier qui a eu cette démarche de se dire “bon, on va prendre l’Antiquité comme un grand terrain de jeu mais on va jouer avec des règles sérieuses”.
Fanny : A part l’Antiquité, tu as aussi un attachement particulier pour le Moyen Âge n‘est ce pas?
Jean Christophe : Bah bien sur ! Ça c’est venu par l’Antiquité tardive en fait. Petit à petit, par glissement j’ai commencé à m’intéresser au Moyen Âge effectivement. Avec l’Antiquité c’est ma période préféré, c’est vrai qu’après ça commence à m’ennuyer un peu plus.
Fanny : Et pourquoi tu aimes parler de cette période en particulier ?
Jean Christophe : C’est une période qui est très longue et très contrastée, y’a pas grand chose entre le Ve/VIe et le XIV/XVe siècle. C’est vaste, c’est quelque chose géographiquement qui est très intéressant , y’a des choses très très différentes. C’est truffé de thèmes passionnants. On voit un empire tomber, on voit des royaumes émerger, on voit la politique se former, on voit les systèmes socia[aux] changer. Et puis c’est lié beaucoup, faut l’avouer à des souvenirs d’enfance aussi. C’est un attachement qui est presque aussi… C’est dur de trouver… c’est un attachement au départ presque romantique. C’est des images qui me viennent, qui sont des images qu’on se forgent gamin quand on lit des choses sur la chevalerie, sur la sorcellerie, sur la vie, sur les blasons, sur les joutes… C’est né de ca. Et après évidemment plus on grandit plus on s’intéresse un peu aux dessous de tout ça.
Fanny : J’ai vu aussi que tu as publié des romans d’aventures historiques, donc l’histoire serait conciliable avec la fiction. Ce n’est pas trahir l’histoire que de la mettre en scène ?
Jean Christophe : Pour moi l’important c’est que la règle soit claire en fait: on peut évidemment écrire un roman historique, simplement il faut bien préciser que c’est un roman et que c’est pas de l’histoire. À partir du moment où le contrat est clair, on peut parfaitement jouer sur les interstices, ce qu’a fait une série comme Rome par exemple, ce que font les cinéastes. Tant que le jeu est clair, qu’on sait qu’on est vraiment dans une fiction, ça ne me pose aucun problème, au contraire je trouve que c’est l’occasion de faire un passer un certain nombre de choses. Quand c’est bien fait, ça permet d’avoir un regard assez juste, c’est le plaisir aussi de la reconstitution d’une époque quand c’est bien fait, quand les costumes sont fidèles, quand il y a eu un travail avec les historiens. Ça donne quelque chose, on sent une qualité qui est précieuse, pour faire passer à mon avis l’envie d’aller voir derrière le travail des scientifiques. Mais je pense que la fiction est un très bon moyen d’aller accrocher les gens. Pour moi c’est ça, c’est un hameçon.
Fanny : Et de quoi parlait tes romans ?
Jean Christophe : Le roman se situait au IIIe siècle et suivait les aventures d’un jeune médecin qui était un fidèle du culte de Mithra.
Fanny : Et il s’appelle comment donc ton roman ?
Jean Christophe : C’était Les Lions de Mithra. Mithra était un culte à mystères avec des grades, et les lions sont le grade pivot. Il y a 7 grades, le lion c’est le 4e, il y en a 3 avant, 3 après.
Fanny : Depuis 2004, tu écris sur l’histoire sur Internet, et depuis 2012 sur Twitter, mais tu es inscrit en 2009. Tu luttes notamment souvent contre les faux historiens, notamment Lorànt Deutsch etc. coucou à eux, c’est pas trop fatiguant ?
Jean Christophe : Si c’est épuisant parce que d’abord ils ont poids médiatique qui est assez écrasant, il y a vraiment 3 personnes qui dominent un peu la vulga’ historique, en tout cas en volume aujourd’hui : Deutsch, Ferrand et Berne. Et les trois partagent… Moi il y a quelque chose qui me choque, c’est que les trois partagent quand même une vision assez particulière de l’histoire, comme roman, comme roman national, comme roman patriotique. Il y a un topos chez eux qui les amène forcément à une histoire très “roi – bataille – princesse”. Je trouve que c’est l’histoire des années 50. Il y a quelque chose qui m’agace profondément là-dedans. On est très en retard sur la recherche historique dans ce qu’ils montrent. On radote sur toujours, toujours les mêmes sujets, toujours la cour de Louis XIV, toujours Léonard de Vinci, toujours les grands mythes, toujours Jeanne d’Arc, et toujours avec un ton très… assez peu scientifique finalement.
Fanny : Donc tu es essayes de défendre cette vision plus scientifique et de rétablir en quelque sorte la vérité ?
Jean Christophe : Alors la vérité c’est un concept particulier en histoire. En tout cas, l’idée que c’est plus compliqué que ça. Voilà, ça résume pas mal le travail de vulgarisateur : c’est de rappeler que “non, c’est plus compliqué que ça”, qu’on ne peut pas dire que “Henri IV c’était un bon roi et la poule au pot”… Je pense qu’on peut faire de la vulgarisation pas simpliste. Je pense qu’on peut faire de la vulgarisation sans avoir un agenda derrière en se disant qu’on va porter tel ou tel message, généralement assez royaliste dans le cas des trois que j’ai cité. Là-dessus c’est quelque chose contre lequel je m’élève. Il y a une idéologie derrière ça, et ça je trouve ça dangereux. Alors évidemment de leur côté ils répondent souvent de leur côté qu’il y a une autre idéologie en face, je crois que c’est faux, vraiment pour moi la vulgarisation doit être rigoureuse et son premier travail c’est de se rappeler qu’on est savant du travail des autres. Et que ce travail évolue dans le temps. Et que travailler aujourd’hui sur l’historiographie des années 50 c’est une erreur profonde.
Fanny : Et Twitter, c’est un bon espace pour parler d’histoire ?
Jean Christophe : En tout cas, c’est un espace. Un bon je ne sais pas, oui je pense. Parce qu’il y a quand même des possibilités de dialogue qui se créent avec les gens. Là-encore c’est cette idée de l’hameçon, on peut pointer des choses sur Twitter très facilement, on peut valoriser les choses très facilement. Y’a énormément de chercheurs qui sont sur Twitter et ça franchement, c’est vraiment super. Ça fait plaisir de voir une génération de chercheurs qui va porter son travail, sur un réseau comme ça. Je pense pas que c’est un mouvement qui était tellement naturel, et ça ça fait vraiment plaisir de le voir. Et oui oui je pense que c’est un bon sujet d’accroche, en sachant évidemment qu’il y a tous les défauts des réseaux sociaux aussi sur Twitter, et notamment la façon de se faire interpeller pas toujours agréable, mais en tout cas c’est à mon avis un bon espace de discussion. Un bon début de discussion.
Fanny : Tu réagis aussi beaucoup à l’actualité, un peu comme nos amis du blog Actuel Moyen Âge que j’ai déjà interviewé dans un hors-série du podcast. Est-ce que tu regardes aussi ce que font les autres personnes qui parlent du Moyen Âge sur Twitter et sur Internet en général ?
Jean Christophe : Bien sur ouais. Alors j’essaye de ne pas le faire juste avant de me mettre moi à travailler sur quelque chose, pour ne pas me laisser influencer par un ton, une manière d’être, une manière de faire. Mais bien sur, je suis avec plaisir ce qu’il se passe sur des médias qui ne sont pas forcément les miens. Je pense notamment à tout ce qui est Vlog, ça c’est un autre langage que celui que j’ai envie d’utiliser, mais par contre je trouve ça vraiment chouette. Je sais que j’avais commencé à m’intéresser, par exemple, à ce qui pouvait se faire en vidéo grâce à Confessions d’histoire qui est une chaîne Youtube que j’aime beaucoup. Mais voilà, y’a beaucoup de choses qui se font et qui sont vraiment très très bien, qui changent la manière dont on communique, dont on vulgarise. Ça sort aussi des grand canaux, des grands messes de type Prime Time sur France 2, ou Franck Ferrand à 13H. C’est très bien qu’il y ait d’autres choses.
Fanny : Donc toi tu fais plutôt de la radio, donc dans tes chroniques sur Nova pendant 5 mn tu racontes une histoire particulière, en quelque sorte des anecdotes extraordinaires. Comment est-ce que tu choisi le sujet et pourquoi tu choisis de t’intéresser à ces histoires-là ?
Jean Christophe : En 5mn tout le défi c’est de partir d’un point saillant et d’essayer de faire glisser derrière l’idée que ça, bah voilà, on a montré la grande tour du château et derrière y’a tout autre chose à découvrir, à aller creuser. En 5mn, c’est l’idée de montrer que derrière le personnage principal ou le sujet principal se cache quelque chose qui est absolument génial à aller découvrir. Mais pour ça, moi j’ai besoin d’une porte d’entrée, de l’oriflamme en fait sur le château et derrière on va, j’espère qu’une partie des gens se disent “Tiens c’est super j’ai envie d’aller lire quelque chose” sur, je ne sais pas moi, le Chicago des années 1880, sur la justice médiévale quand je parle de la Truie de Falaise, ce type de chose, de réflexe : “Est ce qu’il y a pas un bouquin sur lequel je pourrai en apprendre davantage sur ça ?”, sur la symbolique des animaux au Moyen Âge. Par exemple si quelqu’un va ouvrir un bouquin de Pastoureau c’est top!
Fanny : Et donc, tu travailles comment pour les faire ?
Jean Christophe : Soit il y a des sujets qui viennent de façon évidente, parce que je les ai vu passer dans l’actualité du mois précédent, soit c’est une idée qui me revient à la lecture d’un bouquin, soit je cherche en me disant “tiens ça fait longtemps que je n’ai pas fait quelque chose sur par exemple le Moyen Âge ou, la navigation, ou sur l’histoire industrielle etc.” Et j’essaye de varier le plus possible, en sachant que j’ai assez naturellement une tendance à revenir vers l’Antiquité et le Moyen Âge alors que la plupart des sujets faciles sont des sujets de contemporaine.
Fanny : Parce qu’on a plus de sources ?
Jean Christophe : Parce qu’on a plus de sources, et parce qu’elle est écrasante, je trouve, dans la vulgarisation au sens large.
Fanny : Tes chroniques sont d’ailleurs mises en son par Charlène Nouyoux qui a aussi réalisé la série sur la PMA avec Elodie Font et j’adore ce qu’elle fait, alors on l’embrasse très fort. Est-ce que tu avais déjà fait de la radio, du micro avant Nova ?
Jean Christophe : Oui mais y’a longtemps. J’ai 42 ans, et quand j’étais étudiant, donc y’a une bonne vingtaine d’année à Lyon j’animais une émission sur Radio Canut, une radio, une des grandes radios associatives lyonnaises, en tout cas une des plus vieilles, une radio un peu anar’ et libertaire. Et voilà, on était un groupe de copains, et on animait tous les jeudis soirs une émission de 2h.
Fanny : Pourquoi tu as voulu faire de la radio justement avec Nova ?
Jean Christophe : J’ai un rapport avec la radio qui est, c’est mon média préféré. J’aime beaucoup le son. J’aime beaucoup la voix. J’aime beaucoup le fait que c’est un univers extrêmement large. Qu’on peut emmener partout avec soit. J’aime bien qu’on me parle au creux de l’oreille.
Fanny : Et justement, est ce que tu écoutes des émissions, des podcasts d’histoire ?
Jean Christophe : J’ai une petite préférence pour tout ce qui se fait sur Radio France quand c’est de la radio classique. Et après, j’attrape beaucoup sur recommandation. De gens qui me disent “tiens t’a écouté ça ? c’est vraiment top !”, et puis après j je les télécharge puis ensuite ça rejoint ma longue liste de podcast. Et souvent je les écoute en conduisant sur des longs trajets. Je me fais une programmation, ça c’est aussi c’est l’avantage de la radio, c’est un des rares média qu’on peut écouter quand on conduit. Alors qu’on peut lire dans le train, dans la voiture on ne peut pas, et souvent je me programme ça.
Fanny : Et sur ton blog, sur France info, qui s‘appelle Déjà vu, quelle est ta démarche par rapport à tes chroniques sur Radio Nova ?
Jean Christophe : Déjà vu c’est un petit peu particulier, tout est dans le nom. L’idée était de partir, et ça c’est la demande de France TV – c’est d’ailleurs la seule sinon j’ai vraiment une liberté vraiment totale – l’idée est de partir d’un fait d’actualité, je sais pas, une Coupe du monde par exemple, ou la signature d’un joueur dans un grand club avec un très gros salaire, ça va être le prétexte de se dire : est-ce que c’est un phénomène contemporain ces fameux millionnaires en short ? Ou est ce qu’on peut trouver des exemples dans le passé ? Et là tout de suite je suis allé chercher du côté des conducteurs de char de l’empire romain et je réalise que certains ont fait des carrières inouïes et ont fini plus riche que l’empereur lui-même et bah on va raconter l’histoire de ce conducteur de char. L’idée est de toujours partir d’un phénomène contemporain et de se dire est ce qu’il y un a un précédent, ou quelque chose qui ressemble. Mai 68 on célèbre un cinquantenaire, est ce qu’il y a déjà eu des grèves dans l’université ? Ah bah oui, hein un peu oui, et la boum on parle des grèves dans l’université médiévale.
Fanny : Tu écris environ combien d’article en fréquence ?
Jean Christophe : 3 ou 4 par mois.
Fanny : Donc tu fais une chronique par semaine, tu écris 3 ou 4 articles par mois, et tu as un travail à côté ?
Jean Christophe : Oui. [rires] Je suis journaliste freelance, donc c’est un petit peu moi qui pilote mon activité. Enfin c’est ce que je me raconte. Après c’est un petit comme tout le monde, y’a des pics dans lesquels on est un peu plus chargé que d’autres. Mais honnêtement ça c’est de l’écriture plaisir donc c’est jamais la plus difficile à caler dans l’agenda.
Fanny : Je reviens à tes chroniques sur radio Nova, tu fais souvent référence à Terry Pratchett
Jean Christophe : Absolument.
Fanny : Pourquoi tu aimes cet auteur en particulier, qu’est-ce qu’il a de spécial et en quoi il peut nous éclairer sur l’histoire ?
Jean Christophe : Pratchett, un auteur anglais qui est mort y’a 3 – 4 ans maintenant, et pour moi c’est un petit peu Dickens version XXe siècle avec de l’humour. Pratchett a commencé par se servir de la fantasy pour en détourner tous les codes et sortir de l’esprit de sérieux qui traine autour de la fantasy façon LA fantasy de Tolkien et autres. Lui a créé un monde complètement farfelu et un monde qui évolue dans le temps. On passe du monde classique de la fantasy a un monde beaucoup plus gothique, victorien, à la fin des romans. Déjà c’est rare dans un univers, l’univers n’est pas stable il progresse, petit à petit la magie disparaît au profit de ce qu’il appelle les technomancies, puis la technologie tout court. Donc j’aimais bien cette idée, y’a déjà l’idée d’un mouvement historique, d’un progrès continu et de ce que fait le progrès technique aux populations, aux gens. Ça c’était un premier truc qui m’avait frappé, y’a chez Pratchett une idée du temps qui passe et de ce qu’il change. Et dans un deuxième temps, Pratchett c’est un humour référentiel et il n’arrête pas, mais c’est à chaque page, c’est quelqu’un qui était un très très fin connaisseur de son histoire anglaise, de l’histoire européenne, et c’est truffé, truffé, truffé littéralement de références en permanence à des faits historiques. Il a écrit un ouvrage entier qui s’appelle “Le régiment monstrueux” qui est quasiment illisible en anglais par exemple parce qu’il se sert de l’argot des guerres napoléoniennes. Déjà en français c’est pas facile alors en anglais c’est… [rires] infernal pour un francophone à lire. Y’a toujours chez lui un don de la référence et du détournement, il s’amuse beaucoup avec les philosophes grecs, il s’amuse beaucoup avec la Glorieuse Révolution, il s’amuse beaucoup avec les décapitations de rois etc. Y’a toujours une référence historique par page. C‘est phénoménal.
[ Extrait de Tu parles d’une histoire
“Hollywood raconte n’importe quoi sur les drakkars. Bon d’un côté je les comprends, le drakkar c’est comme le casque à cornes, le coup de hache à travers la gueule, ça fait tout de suite très très viking mais jamais un seul Viking n’a posé son cul dans un drakkar et pour cause le mot date du XIXè quand on découvre que les proues des navires vikings étaient souvent décorées d’une tête d’animal sculptée. Pas tellement des cochons d’inde trop mignons faut l’avouer, plutôt des loups, des aigles, ou des dragons. Et dragons en suédois moderne ça se dit drakkar. Voilà comment tous les navires vikings se sont retrouvé déguisés en drakkar.”]
Jean Christophe : La vulgarisation c’est quelque chose qui prend du temps pour être bien fait. 5mn sur Nova c’est une journée de travail de mon côté, c’est une journée de travail pour Charlène de l’autre. Deux jours pour 5 mn de radio. À la fin c’est, je pense que ça donne un côté très agréable, le travail n’est pas visible mais l’ensemble donne quelque chose assez chouette.
Fanny : On sent que c’est très travaillé, que sur l’ambiance et tout ça, on est dans l’ambiance…
Jean Christophe : Ah Charlène fait un boulot de dingue… elle va chercher des choses, elle se casse la tête pour aller chercher des ambiances et des sons, au lieu de céder à la facilité qui serait je sais pas, de coller trois bouts de flutiau sur un sujet médiéval. Elle va nettement plus loin que ça, et ça fait tout le sel du truc. Parce qu’il y a pas mal d’auditeurs qui s’amusent à essayer de repérer les références, à les retrouver. Un exemple dans le podcast sur l’histoire de la Truie de Falaise, tous les sons, toutes les musiques qu’elle a été cherchées ont un rapport avec le cochon. Toutes. Tous les morceaux, toutes les références y’a des bouts du film Delicatessen par exemple, des extraits. C’est ce genre de références quasi-geek qui fait que le podcast est très agréable, parce qu’il y a toujours un truc a trouver en fait.
Fanny : Est ce qu’il y a un sujet qui t’a un peu plus marqué dans les chroniques que tu as fait ?
Jean Christophe : Y’a des sujets pour lesquels… Un sujet qui était très compliqué c’est Gilles de Rais. Personnage emblématique, c’est très très difficile de le traiter de façon neutre.
Fanny : Tu peux nous rappeler en quelques mots qui c’était ?
Jean Christophe : Bien sûr, donc Gilles de Rais était un des officiers de Charles VII pendant la Guerre de cent ans, compagnon de Jeanne d’Arc pendant l’épisode où Jeanne d’Arc intervient sur les champs de bataille et puis seigneur de Tiffauges dans la Vendée actuelle, qui quitte la guerre, se replie dans son château, et là pendant une dizaine d’années commet un nombre de meurtres d’enfants sidérant. Il finit par être coincé, il est condamné, il est pendu et reste dans l’histoire comme le Barbe-Bleu des contes. Cette histoire du grand seigneur méchant homme. C’est l’incarnation même du tueur en série. On est je crois sur 300 morts supposés, une centaine de prouvés au procès. C’est une figure du mal. Et c’est une figure légendaire, tout le défi était de réussir à en parler sans tomber dans le spectaculaire, ou dans le morbide, et c’est vraiment très délicat à écrire. Parce que c’est très facile de céder à la pente du spectaculaire sur un sujet comme ça, alors qu’en fait derrière Gilles de Rais il y a des choses intéressantes sur ce que la guerre fait à des officiers comme ça. Pourquoi est-ce qu’il vire à ce point-là ? Qu’est-ce qu’il s’est passé dans sa tête ? C’est aussi une façon de parler de la manière dont la justice s’est organisée, la justice religieuse et la justice civile. Y’a des choses sérieuses à faire passer au travers d’un personnage qui est très écrasant et ça c’est pas facile à écrire.
Fanny : Est-ce que tu as rencontré des difficultés sur d’autres sujets ?
Jean Christophe : Plus on s’éloigne de sujet où je peux avoir accès à des sources récentes, alors “définitives” non, mais en tout cas solides, plus c’est compliqué. Et donc j’ai déjà lâché des sujets parce que je n’arrivais pas à trouver des sources suffisamment sérieuses, suffisamment crédibles. Je me souviens d’un sujet, en contemporaine, alors que pourtant d’habitude en contemporaine on a beaucoup plus de facilités à trouver des recherches…
Fanny : C’est trop facile pour vous… [rires]
Jean Christophe : Sur une histoire de match organisé pendant la guerre dans un des pays occupés par l’Allemagne nazie, et la légende voulait que toute l’équipe qui avait battu les footballeurs allemands avaient été exécutée dans les 30 minutes qui suivaient le match. En fait ça c’était une construction de la propagande soviétique. Alors oui, effectivement ils ont eu des ennuis parce qu’ils avaient battu les allemands mais beaucoup ont survécu, ça c’est pas fait aussi voilà : On les a pas tous amenés au bord d’une fosse commune dans la minute qui a suivi le match ce qui était un peu la légende qui trainait, et que je voulais raconter. Sauf que je découvre du compte que c’est une construction de contre-propagande. Et bon là on lâche le sujet parce que c’est impossible d’y voir clair. Petit à petit on réalise qu’il n’y a pas un point de la recherche qui fait que ça y’est on sait à peu près où on en est même s’il reste des zones d’ombres. Là il restait que des zones d’ombres.
Fanny : Oui tu n’as pas le temps de faire toi-même la recherche pour vraiment faire le clair,
Jean Christophe : C’est ça, aller chercher des sources ukrainiennes c’était un peu compliqué donc non non…
Fanny : … Quand même [rires]
Jean Christophe : C’est ça j’ai mes faiblesses. Et là c’était vraiment… Dans ces cas-là, plutôt que de mal faire quelque chose on le fait pas et on passe à un autre sujet
Fanny : Est-ce que tu as déjà eu des retours sur les chroniques que tu fais ?
Jean Christophe : Oh oui. Généralement ils sont plutôt bon, après on vit un peu dans une bulle aussi. Ça aussi c’est très agréable en radio, c’est le média, à mon avis, qui est le moins sujet à tout le trolling qu’on peut prendre sur d’autres chose. C’est très facile de mettre un commentaire assassin sous un billet de blog, ça l’est moins finalement sur une radio. Faut prendre le temps de chercher le contact de la radio pour dire “c’était vraiment nul !”. Donc les retours sont plutôt des retours personnels, des réactions… Souvent je retweet le podcast sur mon compte, et typiquement j’ai un petit retour avec les gens qui me disent lesquels ils préfèrent etc. Récemment j’ai eu des chouettes retours sur le point de vue d’ados de 12/13 ans et ça c’est super parce que je savais pas du tout si c’était accessible à des gamins de collège et bah manifestement ça l’est. Après y’a des auditeurs qui disent par contre sur ce sujet-là on va peut-être pas lui faire écouter ce numéro-là parce que là c’était un peu rude. Le sujet sur l’invention de la lobotomie par exemple, c’est vrai que c’est pas forcément à la portée d’un enfant de 8 ou 10 ans. Mais voilà, oui y’a des retours, et y’a un dialogue et ça c’est super. On me fait aussi des suggestions de sujets.
Fanny : Dans tes chroniques, elles sont quand même très accessibles; pas forcément besoin de connaître l’histoire pour les écouter
Jean Christophe : Non non c’est ça, j’essaye de viser vraiment un public assez large. Encore une fois c’est 5 minutes donc c’est la fois frustrant et à la fois la garantie de si les gens s’embêtent, ils ne s’embêtent pas longtemps. S’ils ne s’embêtent pas ils pourront aller chercher de temps en temps un bouquin ou un magazine de vulgarisation qui creuse un peu, et déjà ça c’est gagné.
Fanny : Pour finir ce premier épisode de la série Rencontre, je voudrais te demander donc Jean Christophe Piot, quel conseil tu donnerais à quelqu’un qui veut vulgariser l’histoire, qui veut réussir à parler d’histoire ?
Jean Christophe : Pour les chercheurs je pense qu’il faut vraiment continuer le mouvement qui est engagé d’aller parler directement de leur travail. Faut aussi qu’ils fassent confiances aux journalistes, qu’ils n’hésitent pas. Il y avait une vieille méfiance mais qui a tendance à se dissiper quand même. À beaucoup fonctionner par le bouche à oreille pour savoir quel sont les médias sérieux ou les journalistes qui travaillent bien. Et à pas hésiter à aller les voir pour trouver des pistes en fait. Les chercheurs ils cherchent, les journalistes vulgarisent, et les chercheurs peuvent faire un peu des deux. C’est leur atout: c’est qu’ils peuvent parler directement par tout un certain nombre d’outils, et ils peuvent aussi se tourner vers nous pour valoriser leur travail. C’est je pense il faut un peu de bienveillance et de confiance des uns envers les autres, c’est ce qui sert tout le monde à la fin. C’est une discipline tellement riche, tellement chouette que ça mérite d’avoir vraiment des échanges plus larges entre des éventuels passeurs comme on peut l’être de temps en temps tout en, vraiment, en multipliant les prises de parole directes. C’est pas les mêmes publics qui vont être ciblé mais dans tous les sens ça sert la discipline.
Fanny : Et bien donc merci beaucoup Jean Christophe Piot d’être venu inaugurer cette série Rencontres.
Jean Christophe : C’était un plaisir.
Fanny : Si vous voulez écouter d’autres épisodes où plein d’autres personnes ont parlé d’histoire, n’hésitez pas à écouter les épisodes normaux de Passion Médiévistes, y’a les hors-séries, y’a plein d’autres choses qui arrive en ce moment et j’espère que ça vous plaira. À bientôt !
Merci énormément à Marion et Bobu pour la retranscription !