Les épisodesPassion Médiévistes

Épisode 53 – Alexis et l’Adriatique au Moyen Âge

Quelles étaient les puissances qui sillonnaient l’Adriatique au Moyen Âge ?

Portrait Alexis Midol-Monnet
Portrait Alexis Midol-Monnet (Passion Médiévistes)

Dans cet épisode du podcast Passion Médiévistes, Alexis Midol-Monnet vous parle de son travail sur l’Adriatique médiévale. Son mémoire de Master 2, soutenu en 2020 sous la direction de Dominique Valérian et d’Ingrid Houssaye Michienzi, s’intitulait « Raguse devant l’avancée ottomane (1389-1481) : les motivations trans-adriatiques d’un compromis original« .

En l’écoutant vous en apprendrez plus sur le contexte historique en Adriatique à l’époque médiévale, sur la domination de Venise sur cet espace maritime, les puissances de la région dans les Balkans, et sur la République de Raguse.

 

L’Adriatique médiévale

Le littoral adriatique est très interconnecté au Moyen Âge. Il correspond sur le versant occidental à plusieurs puissances italiennes de Venise jusqu’à Bari, et du côté oriental aux états balkaniques comme la République de Raguse (aujourd’hui Dubrovnik en Croatie), le royaume de Bosnie médiévale, la Serbie, qui peuvent dépendre, selon les époques, de puissances comme l’empire byzantin, le royaume de Hongrie et l’empire ottoman. L’Adriatique est une mer très étroite, et malgré beaucoup de mouvements politiques sur ses rives, il y a un sentiment d’appartenance commune dans cette région.

Contrairement à aujourd’hui, où le commerce maritime est essentiellement atlantique, au Moyen Âge il y avait un commerce transnational très important en Adriatique. Cette histoire fait aujourd’hui l’objet d’une concurrence mémorielle dans certains pays, et explique des habitudes et des traits culturels. Alexis cite par exemple les Arbëreshes d’Italie, une population italienne qui a gardé une tradition albanaise vieille de plusieurs siècles.

« Dans les Pouilles et en Calabre […] on a encore une soixantaine [de] villages qui […] parlent le vieux albanais »

Chronologiquement, on a la république de Venise qui domine l’espace adriatique sur une grande partie de la période médiévale avant de subir la concurrence du royaume de Hongrie et du royaume de Naples. La république de Raguse émerge au milieu de ces conflits et concurrences en exploitant ces tensions pour s’émanciper progressivement de l’influence vénitienne et rejoindre la tutelle, beaucoup plus avantageuse, du royaume de Hongrie et devenir un sérieux rival à Venise.

 

La République de Raguse

Carte des principales villes de l'Adriatique avec les frontières actuelles
Carte des principales villes de l’Adriatique avec les frontières actuelles

Alexis Midol-Monnet vous raconte dans l’épisode qu’il existe deux légendes sur la fondation de la République de Raguse. Selon l’une, elle aurait été fondée par les habitants d’Épidaure fuyant les invasions slaves et avares. L’autre, qui correspond à la version « officielle » de la République de Raguse, lui donne une origine latine, avec un romain qui aurait profité de la désorganisation du haut Moyen-Âge pour récupérer les territoires de ses aïeuls. Au final, il aurait pu y avoir des populations grecques/slaves et des populations romaines venues d’Italie qui auraient travaillé ensemble pour bâtir une nouvelle ville en 714 sur le rocher de Raguse.

« [C’est] très romanesque, y a tout une légende comme quoi ils auraient pris [une] barque, ils seraient allés de l’autre côté de l’Adriatique pour récupérer la ville de Raguse. Personne ne sait vraiment si c’était sur le rocher de Raguse qu’ils sont arrivés »

L’invité nous explique aussi que la notion de République est assez différente de l’acceptation actuelle : il s’agit d’un système politique à la vénitienne, structurée par un patriciat conservateur gardien des traditions et avec un monopole législatif. Elle se réclame par ailleurs de l’héritage mémoriel de Rome avec un discours de la supériorité du modèle romain et de la culture latine.

Les recherches et les sources

Au-delà du modèle économique de Raguse déjà bien étudié, Alexis Midol-Monnet s’est attaché aux contradictions diplomatiques de cet état, qui était inféodé à la Hongrie, se revendiquait de tradition latine, avait officiellement Venise comme allié diplomatique, mais cherchait toujours à avoir des relations officieuses avec l’empire ottoman.

« On a plein de lettres, plein de courriers, pleins de sources qui le datent, même si c’était tabou, qu’elle ne pouvait pas le dire officiellement. »

Il a également étudié comment elle conciliait une politique migratoire vis-à-vis d’immigrés slaves et d’origine très diverses avec un système politique très conservateur et dogmatique, ce qui au final l’aidera à résister aux pressions ottomanes à une époque où les états balkaniques tombent les uns après les autres.

Pour ses recherches, il s’est principalement appuyé sur les archives générales de la ville de Dubrovnik (Državni arhiv u Dubrovniku), qui sont partiellement dépouillées, sur des chroniques écrites par des écrivains ragusains postérieurs comme Mavren Orbin, et sur des lettres entre les conseils politiques de Raguse et la chancellerie diplomatique des sultans ottomans. Ces sources sont pour la plupart numérisées ou éditées, mais demandent de nombreuses traductions depuis le vieux serbe et le latin, ainsi qu’en italien.  En conclusion, Alexis nous conseille de lire Les chemins de l’exil d’Alain Ducellier, un ouvrage de référence en français avec une bibliographie extrêmement complète.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Les mémoires de Alexis Midol-Monnet :

La porte d’entrée absolue, agréable à lire :

  • Ducellier (Alain), Doumerc (Bernard), Imhaus (Brünehilde), de Miceli (Jean), Les chemins de l’exil : Bouleversements de l’est européen et migrations vers l’Ouest à la fin du Moyen-Âge, Armand Colin, Paris, 1992.

Sur les Italiens venus à Raguse et les connexions trans-adriatiques :

  • Bettarini (Francesco), La comunità pratese di Ragusa (1414-1434) : crisi economica e migrazioni collettive nel tardo medioevo, Leo S. Olschki, Florence, 2012.
  • Sakellariou (Eleni), Southern Italy in the Late Middle Ages : Demographic, Institutional and Economic Change in the Kingdom of Naples, c.1440-c.1530, Brill-Leiden, Boston, 2012.

Sur les enjeux militaires, institutionnels

Sur les enjeux du développement économique régional

Sur les enjeux mémoriels actuels

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des textes suivants :

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Nora pour la rédaction de l’article qui accompagne cet épisode !